Édith Azam compose un recueil entier autour d’un moment de la journée ô combien signifiant : le crépuscule. Ce mot fait sens – on pourrait penser au fameux Crépuscule des dieux de Nietzsche, mais le recueil se démarque radicalement de l’idéologie nietzschéenne. Le crépuscule c’est la fin : celle du jour, de la vie, d’un état, d’une idée, etc. Le titre Animal-Crépuscule est ici d’une évidence absolue.
L’économie poétique
Le recueil se signale tout d’abord par l’économie de ses moyens, économie poétique ; Edith Azam donne le plus de poids et de signifiance aux mots employés, toujours avec pondération, aux espaces, comme aux brisures des vers, mais son choix se porte également sur une économie des « personnages » constituant l’univers intradiégétique. Si on exclut le crépuscule, cinq mots reviennent de manière récursive : Oiseaux, loups, chèvres, auxquels s’ajoutent les êtres humains (nous) et Montagne, affublé d’une majuscule qui transforme le substantif en nom propre ; opérant une personnification. Cette composition n’est pas anodine ; les oiseaux et les loups incarnent la vie sauvage sous ses deux aspects : les prédateurs et les proies, les chèvres représentent les animaux domestiques, exploités par les êtres humains. Montagne enfin condense la diversité minérale, en atteignant par la même occasion le statut de personnage. C’est autour de ce jeu de synthèse que se noue l’économie du texte. Notons la proximité sémantique entre économie et écologie, les deux formés par le préfixe oîkos « la maison », c’est à dire un lieu clos ; impliquant la gestion de son espace, un équilibre. Une économie est un équilibre des biens, ou des actions en vue d’une fin donnée, l’écologie concerne celle des capacités de survie de chaque éléments présent dans un même lieu, un même oîkos. L’absence de séparation entre les éléments intradiégétiques participe donc à cette économie-écologie du livre, elle figure ce que la taxinomie aurait énoncé à travers des concepts dans le cadre d’un essai.
29
Les oiseaux sont montés
sur les cornes des chèvres
les chèvres sur les loups
les loups sur nos épaules
et nous :
sur Montagne.
Ensemble on a gravé
des mots sur les parois
des croquis des esquisses
pour que les vents s’y frottent
et les portent au loin.
Avant que tout ne disparaisse
qu’il reste quelque part
quelque chose du monde
tel qu’on aurait
voulut qu’il soit.
Les loups
grattaient la terre
dessinaient sur le sol
leur gueule d’ange
inachevé.
Dans ce poème, tous les éléments sont mis sur un même pied d’égalité, Edith Azam englobe judicieusement Montagne dans l’économie biologique, puisque l’ordre minéral participe (bien que passivement) à la survie des espèces. À l’instar des autres personnages, Montagne parle un langage qui lui est propre, à travers ses rivières, elle souffre tout autant que les animaux de l’attaque acharnée du crépuscule qui l’entaille et l’empourpre. Chacune de ses parties se retrouve donc menacées par la venue du crépuscule : véritable force agissante dont la finalité est l’anéantissement du macrocosme en présence.
7
Si beau
le soleil
sa danse démente le soleil
les lueurs fiévreuses le soleil
gelé
nous hallucinait.
La catastrophe
était sublime.
Le livre prend, sous certains aspects, les contours de la fable ou de la légende épique ; un combat entre la vie (élargie par le minéral) et le crépuscule, qui fait survenir la fin de leurs capacités de survie. Ce thème est, à l’évidence, en lien étroit avec la thématique écologique – le crépuscule vient mettre un terme à la vie naturelle. Mais si cette lecture est séduisante, elle est réductrice et minimiserait le sens d’un livre dont le point de fuite ne se semble pas être uniquement l’anthropocène. Il s’agit avant tout d’une idée de la fin, au sens philosophique, une fin qu’aucun langage ne peut nommer, ni concevoir.
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