Et comme si les mauvais souvenirs ne suffisaient pas, il savait maintenant que sa foldingue de “mère” avait eu raison durant toutes ces années. L’heure du Jugement dernier avait sonné pour lui et un gros serpent était là pour le lui rappeler.
Ce mariage d’amour avait surpris tout le monde. Depuis le temps, chacun savait que Miss Beatrice était la vieille folle qui se postait régulièrement sur un promontoire aux abords du parking du Pink Slipper et menaçait de damnation éternelle les clients arrivant ou quittant l’établissement en hurlant dans un porte-voix. Elle avait accusé Forrest d’inciter son premier mari, le père de mon amie Clarice, à la tromper. Ainsi, éviter aux autres hommes de suivre le même chemin de débauche était devenu sa mission dans la vie.
Maman préférait les chansons plus gaies et graveleuses – avec paroles coquines truffées de blagues crues sur les saucisses, les beignets à la confiture, et les Cadillac roses. Les ballades sombres comme celle-ci plaisaient plus à papa. Pour lui, le summum du bonheur, c’était de se serrer contre maman dans le canapé et de fredonner tout en écoutant une ode aux affres de l’amour. Il hochait la tête en rythme, comme pour soutenir un chanteur abattu, assis avec eux, croassant son malheur.
C’était une chanson d’amour. Enfin, cela commençait ainsi. Les paroles évoquaient un homme amoureux d’une femme qui était sa raison de vivre. Mais comme c’était un blues, cette femme n’arrêtait pas de lui briser le cœur et lorsqu’il passait l’éponge, elle le remerciait en l’ensevelissant sous une montagne de souffrances. La mélodie magnifique s’envolait dans les aigus et plongeait dans les graves, chaque couplet célébrant bonheur euphorique et douleur déchirante.
Il y avait eu tant de si beaux moments avec James, les enfants et les Suprêmes, tant de jours que je souhaitais emporter avec moi quand j'entrerais dans l'autre vie, quelle qu'elle soit. Et si je pouvais me débarrasser des mauvais moments comme d'une vieille peau mal ajustée, ce serait pas mal non plus.
Par ailleurs, la vodka était discrète car elle n'affectait pas l'haleine. Si l'on s'en contentait et si l'on savait se tenir, personne n'allait vous raconter d'horreurs sur votre compte, quel que soit le nombre de tasses avalées.