Chronique de Pascale Frey sur onlalu à propos de l'ouvrage "Un certain monde", d'Elizabeth Harrower, paru aux éditions Rivages en février 2016.
Laura avait lu des livres. Dans chacun, à l'exception de certaines histoires dramatiques situées à d'autres époques et mettant en scène des personnages et des circonstances ridiculement éloignés d'elle, tout se terminait bien pour l’héroïne. Et si leur projets avortaient et qu'il n'y avait plus aucun espoir, cela semblait toujours dû à un extraordinaire malentendu. Les jeunes filles et leur amoureux se précipitaient alors en riant vers un avenir de rêve. N’était-elle pas une jeune héroïne ?
" Il y avait, dans la cuisine, un long couteau à lame courbe. N'était ce - pas, chez Félix la secrète conscience que ses souriantes et implicites menaces de sang et de mort effrayaient sa femme jusqu'à la moelle qui le poussait , en pleine nuit, à déclencher ses ultimes et sinistres scènes dans la cuisine avec son dangereux arsenal d' instruments métalliques aux lames acérées ?"
Son visage lisse, ses grands yeux couleur d'ambre étaient impénétrables. Elle faisait penser à un parc qui n'aurait jamais enlevé ses panneaux Défense de marcher sur la pelouse .
Dans In India, il y avait un passage qu’elle connaissait très bien.
Aux temps anciens, des communautés entières utilisaient la méthode de résistance passive pour régler un différend. La technique consistait à rester assis sans bouger dans un endroit public, sans manger et exposé aux intempéries, jusqu’à ce que le souverain accédât aux revendications de son peuple. Parfois, quand il était par trop tyrannique, ses sujets quittaient le pays, laissant le souverain vivre dans la solitude afin de s’amender. Dans l’Inde ancienne, le devoir d’un homme sage était d’abandonner le royaume quand toutes les méthodes utilisées pour délivrer un roi de ses mauvais penchants avaient échoué.
Elle écrivit à son frère Edward: "Il faut qu'il se passe quelque chose sans tarder. Ca ne peut pas continuer ainsi. Toutes mes relations se trouvent en Angleterre. Vivre dans cette banlieue est hors de question. Les filles ne s'en plaignent pas. Elles sont bien les filles de leur père.
Elle cria de nouveau: "Nous sommes merveilleusement heureux! L'exaltation, tu connais ça?"
Assise dans un coin du canapé, Anna sourit. "De loin."
Elle sortait avec eux et les écoutait. Leurs problèmes se résumaient à un seul: l'absence d'une épouse, d'une vraie vie de famille. Hommes en surnombre, objets perdus que personne ne venait réclamer, ils rêvaient d'être un jour retrouvés.
Ils échangèrent un regard. Et pendant les trois ou quatre secondes qu'il dura, volets grands ouverts, il y eut le sang, il y eut l'oxygène, il y eut les couleurs tapageuses et la violence de leur vraie vie.
C’était étrange de ne faire de projets que le matin pour l’après-midi et le soir, alors que le jour suivant, la semaine suivante n’étaient qu’un vide informe et l’année suivante, ou les cinq années suivantes, semblables à l’espace au-delà de l’univers. Elle avait la sensation d’avoir égaré un plaisir vital dont elle n’avait qu’un vague souvenir, ou bien une partie d’elle-même. Il n’y avait pas de place pour le rêve.
Elle faisait penser à quelqu’un qui, ayant avec courage effectué tous les préparatifs d’une opération susceptible d’abréger sa vie, comprend avec un terrible serrement de cœur, à l’instant où descend le masque d’anesthésie, que cette chose épouvantable est réelle, inévitable, et qu’il ne servirait à rien de résister ni de hurler.