Augustin Trapenard reçoit
Emma Doude van Troostwijk, venue parler de son premier roman "
Ceux qui appartiennent au jour". C'est l'histoire d'une jeune femme qui revient voir sa famille de pasteur installée dans le presbytère d'un village. L'héritage est au coeur de ce roman, puisque l'autrice s'est inspirée de son grand-père alors atteint de pertes de mémoires. Au fil des pages, on découvre trois parcours de vulnérabilité masculine, à travers les personnages du grand-père atteint de pertes de mémoires, du père en proie à un burn-out et du frère qui s'interroge son futur en tant que pasteur. Pour la jeune autrice, ce roman a été l'occasion de se questionner sur le rapport avec le passé et notamment ses erreurs, sur le présent de ce monde qui "brûle jusqu'au bout". Elle a ensuite expliqué s'être interrogée sur le futur et plus précisément le sens à donner à la vie. Une question à laquelle répond la narratrice, à travers l'héritage et la transmission en racontant des histoires pour ne pas oublier.
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Ma mère "entoure la nuque de Nicolaas et dit, tu sais, écrire une prédication c’est un peu comme parler d’amour. "
(page 43).
Nicolaas soupire. Il forme un mot, le laisse planer un instant. À quoi ça sert. Je le regarde droit dans les yeux. Mama dit, à quoi ça sert quoi ? Nicolaas reprend son souffle. À quoi ça sert que je devienne pasteur si plus personne. Papa dit, si plus personne ne se souvient ? Je réplique, bah regarde Papa et Opa, ils ne se rappellent de rien mais ils existent et c’est chouette quand même. Papa me donne un coup de coude. Nicolaas rit. Mama se lève. Par-dessus son épaule, sa voix résonne, un pasteur, ça sert à garder les histoires vivantes Nicolaas, c’est déjà bien, raconter des histoires.
Devant la porte sur laquelle est marqué bureau du Pasteur, je m'arrête. Quand j'étais petite, j'interdisais à tout le monde d'approcher.Je faisais barrage avec mon corps d'enfant, mettais l'index devant la bouche en signe de silence.Chut, Papa pense.Aujourd'hui encore, mes contours projetés sur le blanc de la porte, j'hésite. (...)
Devant moi, le dos de mon père est assoupi.Les bras étendus contre la pile d'ouvrages à lire, la tête écrasée sur la page 222 de la Bible.Il ne pense plus.Il se repose.
( p.19)
Je pourrais dire que je tiens à eux comme à la prunelle de mes yeux. Je pourrais dire aussi qu’ils sont les pommes de mon regard
Nicolas soupire.Il dit, je me demande.Nous on ne croit plus en Dieu, mais tu penses qu'avec tout ce qu' il se passe, Dieu il croit encore en nous ?
( p.102)
Le même puzzle cinq cents pièces sur la table du salon depuis mon retour. Opa et moi passons des heures devant l'image inachevée. Je fais semblant d'attraper une pièce et de chercher sa place. Opa regarde chaque bout comme s'il découvrait un nouveau monde. Il sifflote, dit ah j'ai trouvé, et pose la pièce à un endroit improbable. Notre puzzle ne ressemble pas du tout à l'image lisse de la boîte. C'est un patchwork de couleurs. Parfois, je lui donne une pièce en disant, le plus innocemment possible, essaie de la mettre là, peut-être que. Quand la pièce correspond, il applaudit fort, il dit, tu m'as bien eu. Parfois il ne dit rien. Il savoure sa victoire en silence.
En français ils ne tiennent qu'à un fil.En néerlandais, ils appartiennent au jour.Het zijn mensen van de dag.
( p.134)
Je pourrais dire que je tiens à eux comme à la prunelle de mes yeux. Je pourrais dire aussi qu'ils sont les pommes de mon regard. Iemands oogappel zijn.
Ce matin, Papa s'est effondré. Il s'est cassé. On s'est assis tous les deux sur le muret devant la maison. On n'a pas bougé beaucoup, lui ne le pouvait plus. Moi, je lui caressais gentiment le dos comme à un cheval qu'on endort. J'ai parlé. Je sais que j'ai parlé parce que j'avais cette sensation étrange d'entendre les notes des choses. Je ne sais plus de quoi. Je sais que j'ai parlé et je vois encore mon père avachi sur moi, soudain devenu un très vieil homme.
Nous on ne croit plus en Dieu, mais tu penses qu’avec tout ce qu’il se passe, Dieu il croit encore en nous ?