Citations de Emmanuel Godo (28)
Le sépulcre de fleurs pourquoi le refuserais-tu
Tes souvenirs n'ont pas plus d'épaisseur qu'un papier
Qu'aurait déchiré une main imprudente
Ils flottent à la surface d'une eau capricieuse
Les amants réunis
Dans le sommeil invisible et pluvieux de la mort
Le silence fait surgir les visages
Qui te sourient et te protègent
Quand ils regardent le vide devant eux
Tu y prends la place qui te revient
Dans les souvenirs ceux qu'on aime attendent
De s'animer dans les cadres étroits
De la chambre et de la mémoire
Et quand ils le décident le passé redevient présent
C'est le début de l'éternité perceptible un instant
Dans une gloire indéniable et tremblée
L'image cesse d'être image
Et tu assistes ému aux larmes
Aux noces de la jeune fille que fut ta mère
Avec la silhouette de ton père déjà parti l'attendre
À l'envers de la vie dans la cour
De la grande maison sous l'église
Tu n'es pas distrait par tes pas
Sur le gravier du cimetière
Tu ne te laisses pas emporter
Tu sais que les sépulcres de mots
Sont incertains mais tenaces
Tu te demandes en repensant
À la grimace tremblante de ton visage
Ridé de larmes et de ta voix enfin délivrée
De l'insignifiance
Si les mères en mourant
Ne nous remettent pas au monde
Pour une autre enfance
Plus grave et plus tranquille
(extrait de " Journal de poésie (2009-2014) " - pp. 20-21).
Journal de poésie (2009-2014)
VEZELAY
Pour Jean-Pierre Lemaire
Extrait 2
Au silence des fantômes
Dans les sous-bois
Le pas craque
Sur le tapis de feuilles
Et de branches
Dans la pénombre des lisières
L’eau dort sans méfiance
La petite fille se fait silhouette
Ma joie
Mon puits de larmes
Le détour est un art
Autour de la colline
Et du dieu qui se tait
Pour ne pas nous effrayer
La marche
Une prière
Qui attise en nous
Un feu
Imprévisible
Et doux
p.19
A MES FILLES
Vous me lirez quand je serai mort
et ce sera bien ainsi
Car tout ce que j'ai écrit je l'ai écrit
dans cette ombre paisible
Juste à côté de vous dans le silence heureux
Où les mots se laissent entendre dans une clarté
Qui n'existe que là
Et lorsque vous me lirez ce sera
comme si une voix glissait
De l'autre côté des futaies et venait vous rappeler
Qu'il existe une autre manière
de parler donc de vivre
Et que le monde n'est pas cette fête triste
qu'on en fait
Pour vous empêcher de vivre
toute la vie qui vous appelle
L'écho des voix évaporées fait de nous d'étranges coquillages.
Quand on tend l'oreille sur notre vide, on entend le bruissement d'une mer intérieure vaste comme le mystère du temps.
Les hommes glissent comme des poissons
Derrière la lumière de lune des fenêtres
Combien de fois par semaine faut-il changer l'eau du théâtre ?
Sur l'écran de télé les morts heureux demandent
Qu'on applaudisse leur imitation de la joie
Mes trois plantes n'ont jamais tremblé
Quand je fais entrer le vent à petites toux dans la maison.
Journal de poésie (2009-2014)
PROSE
Dans le roman que je n’écrirai jamais
Il y aurait eu cette phrase
Il portait
Vestige de l’élégance des anciens dimanches
Des chaussures de cuir blanc
Il y en aurait eu des détours
Pour que la phrase puisse venir à point
Et avec elle la silhouette d’un homme
Qui marche devant sa pauvreté
Traversant la rue à pas de corde
À côté de cette peur que la vie leur fait tomber dessus
Cette sorte de défaite qui accable les hommes
Et que lui conjurait avec cette paire de chaussures blanches
Que la poussière ne grisait pas suffisamment
Pour qu’on ne puisse reconnaître des
Chaussures blanches
Et avec elles l’élégance
Toute l’élégance
Des anciens dimanches
Ou de ce qu’on appelle ainsi
Cette manière que les hommes ont parfois
De glisser sur leurs peurs
D’en faire un tapis de verre
Et de glisser dessus
Comme sur le parquet de bois blond
Des guinguettes ou des thés dansants
Des anciens dimanches
p.16-17
Avant de poser son bâton, le pèlerin professionnel achève son tour du monde. Après l’Amérique, Bruxelles. […]. Le Claudel bruxellois est un homme qui vieillit. Il se rase la moustache, manière d’inaugurer la vieillesse, la vraie. Sa surdité va croissant. Avec elle resurgit la grande hantise de Claudel ― d’être séparé, coupé des autres, du monde. A quoi s’ajoutent des problèmes d’anémie. Heureusement ses relations avec le roi Albert Ier sont très amicales. A sa mort en février 1934, Claudel pleure un ami. Autre source de joie ; sa rencontre avec les peintures flamandes et hollandaises ; Rubens, Vermeer. Il aime que chez les flamands la question de l’existence de Dieu soit pour eux si forte, qu’ils la posent à chaque élément de la création. Leur foi s’exprime non pas en tant que pieuse reproduction de la nature, mais en ce que chaque imitation, chaque figuration opère comme une humble interrogation de ce monde qui en cache un autre.
De retour en France en 1905, Claudel cherche le repos auprès de sa sœur Louise. Il écrit « Partage de midi », avec la sensation d’être parvenu au tournant majeur de sa vie, à ce qu’il appellera, dans ses « Mémoires improvisées », un changement de versant. Il écrit à Francis Jammes : « Vous savez que je fais un drame qui n’est autre que l’histoire un peu arrangée de mon aventure. Il faut que je l’écrive, j’en suis possédé depuis des années, et cela me sort par tous les pores. D’un autre côté je me demande s’il convient à un chrétien de peindre des passions coupables. »
On consacre sa vie au transport …
On consacre sa vie au transport
D’une histoire qu’on ne sait pas raconter
On la protège contre les brigands
Et les faussaires de grand chemin
Comme des riens de lumière
Qu’on apporte à un roi
On serait prêt à se jeter
À la gorge de la nuit
Pour sauver le feu
De ce pauvre trésor
Il tient dans deux ou trois cartons
Que seul le roi pourra ouvrir
Une légende japonaise prétend que la grande île repose sur un poisson qui se débat de temps à autre : « L’homme d’ici est comme le fils d’une mère très respectée, mais malheureusement épileptique. » Le 1 er septembre 1923, cette mère épileptique a une crise d’une violence inouïe. La terre tremble à Yokohama. La maison de l’ambassadeur est détruite. […]. La terre a tremblé, le feu a pris. Arbres exfoliés, terre noircie, maisons détruites, blessés affreusement mutilés, cadavres. Le séisme fait plus de deux cents mille morts. Une jeune femme prend entre ses mains une grosse cigale et murmure qu’elle ne chante plus.
« Avant, dit Claudel, j’essayais de donner jour à mon drame intérieur, comme je le pouvais, tandis que là je le domine et lui impose une forme. » Le thème de l’héroïsme y domine toujours, même si ceux de la famille et de la terre font leur apparition. La dimension religieuse reste prépondérante, quoique perpendiculaire. Pensée de Coûfontaine, née aveugle, est le symbole de l’amour eucharistique : « Tout chrétien a des rapports avec Dieu, des rapports d’aveugle, somme toute, puisque nous avons des rapports intimes avec Dieu, aussi intimes qu’ils peuvent l’être puisqu’il s’agit d’une véritable assimilation et, cependant, ces rapports d’amour se font dans la nuit la plus complète.
On vous vendra toute votre vie du toc, du clinquant, du vide maquillé en vitesse : ne vous laissez pas voler votre âme ! Notre époque assassine les âmes.
Comme un qui retourne vers la maison abandonnée
Et se rend compte à l’approche sans même
L’épreuve du seuil
Qu’il n’a jamais cessé de l’habiter
En pensée comme en rêve
Tout au long du voyage qui le menait ailleurs
Vers cet oubli bruyant qu’on appelle le monde
J’ai fait retour au pays natal
Ouvert aux quatre vents
Sans drapeau et sans haine
Ce lieu de nulle part aux fondations errantes
Où tout a commencé
La parole les abords lumineux de l’absence
La forme inexacte de ton visage
J’ai retrouvé l’usage du silence
Je suis redevenu poète
Sans savoir si j’appelais poésie
Le lieu lui-même ses parages les sentiers inaperçus
L’attente évanouie ma mémoire capricieuse
La promesse toujours nouvelle
p.9
Journal de poésie (2009-2014)
VEZELAY
Pour Jean-Pierre Lemaire
Extrait 1
Labours de pierres
Chemins effacés
Par le jeu des hommes
Dans la terre serrée
Nos empreintes éphémères
Et lourdes
La vie comme une énigme
Déchiffrable soudain
Les trois bonds d’un chevreuil
Dans le visible
Sur la route
Le salut de l’inconnu
L’esprit envolé
Le sourire du simple
Qui dit
Je connais le chemin le plus court
Mais il monte
À la maladrerie
Le rire
Pour tenter de tenir tête
p.18
Journal de poésie (2009-2014)
SAINTE-VICTOIRE
Extrait 1
Des femmes promènent des chiens à tête d’enfant
Avec des yeux d’inquiétude couleur de montagne
Elles vous fixent à travers leurs franges
Comme pour savoir ce qu’il y a après
La communion du dimanche
Si au barrage on pouvait une fois se jeter dans le vide
Les bras en croix pour voir ce qui advient
Si jamais une ascension se cachait dans la chute
Et si de la beauté éparpillée sur les chemins
On peut faire quelque chose d’autre qu’un poème
p.15
L'homme contemporain, privé des moyens d'écouter sa vie intérieure, de la construire, de l'alimenter sérieusement, est menacé de manquer la rencontre avec la vérité - qui est en même temps la grandeur - dont toute vie est porteuse.
De la deuxième vie, de la vie de l'écriture silencieuse, faite en soi, sans autre moyen que l'écoute du va-et-vient des phrases, des fragments d'oeuvre sans destination, il est possible de dire encore autre chose...imperceptible détachement du monde
les livres paraissent bien pauvrement écrits, et d'une rigidité de corset, quand on les compare aux ondoiements de la langue intérieure.
Journal de poésie (2009-2014)
SAINTE-VICTOIRE
Extrait 2
Il y a aussi les promeneurs au visage émacié
Contrefaisant bien avant qu’on les croise la disparition
Marchant avec méthode comme des protestants échappés
D’une très ancienne déroute de l’histoire
Retenant leur souffle si jamais au détour du sentier
Ils trouvaient de l’inconnu
Un frère
Parti les attendre sur l’autre rive
p.15
Journal de poésie (2009-2014)
Extrait 4
Le mitan de la vie ce n’était donc pas se connaître mortel
Mais se redécouvrir de loin fidèle à la nuit qui chemine
Sans autre guide que l’ange au visage d’hier
Que bouleversait la voix venue souffler ses mots
Au milieu des ténèbres et voici que dans la forêt féroce
Dans le paysage de quarantaine
Ressurgit sans crier gare l’heure du poète
De l’enfant qui croit à la nuit, du roi pauvre
Dans le silence de la mémoire voici
Le temps de l’offrande
De l’aube attentive
Du recueillement de tout ce qui fut épars
p.14