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Critiques de Éric Marty (19)
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La fille

Voici un drôle de livre, plutôt énigmatique : l'auteur situe l'intrigue à Landon, à l'extrême nord de la France, petite commune sinistrée, où voilà bien longtemps qu'un visage neuf n'a paru.

Mais ne cherchez pas le village sur une carte : c'est une création littéraire....



D'abord qui viendrait à Landon? si loin de tout centre comme de toute périphérie ?

Landon appartient aux traditions oubliées: l'on n'y arrive qu'à pied.



Le temps y croupit. Y existe une église désertée où le curé ne vient que pour célébrer Noël ou Pâques, à la gare , il ne passe plus de trains.

Ici les rues se nomment : ruelle des « Serpents », «  celle des Noyers »ou celle des Ecus, espèces de labyrinthes aux angles morts ou de coins aveugles propices aux baisers cachés , ou aux commérages .

Y subsiste un lavoir qui date du temps où les femmes venaient , une bassine à la main laver chemises, caleçons culottes et draps , de leurs voix chantantes de commères mouillées ...En fait un vieux blockhaus qui cacherait des étreintes fugaces ,...

Mais surtout l'auberge isolée , où l'on boit , se soûle et où l'on attend: moitié bordel moitié bistrot....

Dans cet univers confiné et restreint, figure Claudie ,La fille , en fait, c'est un garçon , une «  Créature » égarée parmi les garçons?

Ambiguïté entretenue tout au long du récit par le narrateur qui use du prénom Il ou Elle : «  les yeux bleus, et les longs cheveux,blonds, bleu regard qui ment, peau satinée, voix en arabesques ou en dentelle . »



L'écrivain joue «  à dessein avec son lecteur, le narrateur ,avec qui Claudie a connu une idylle lorsqu'ils étaient enfants protège

la fille.

Roué ,il joue sur les mots.



Claudie est une créature qui intrigue , fascine , interroge, scandalise ou séduit: apeuré , assoiffé, le front baigné de sueur .....

Protégée par le narrateur mais poursuivie par les frères Palacio : l'ainé , Massimo, tempes grisonnantes, mâchoires épaisses et mains énormes, Angelo, qui n'avait plus qu'un seul bras, Paolo , la calvitie naissante des rides sur le front, , toujours sournois ou amer , les dents pourries , s'emparent de Claudie, l'obligent à un streap- tease infâme , une cérémonie abjecte.

Qui aurait pu l'identifier?

Si méconnaissable : le visage triste, les yeux noircis, maquillée ,muette souvent, otage des autres , comme résignée , apeurée, avec une minuscule insolence., toutefois.

Les frères Palacio ,des brutes avinées qui ne pensent qu'à la posséder .

Ils n'oeuvreront que pour perdre l'enfance .

Claudie restera mystérieuse : on guettera en vain le son de sa voix, sonorité étrange qui file dans le vent.



Elle sera à coup sûr la proie , le gibier convoité dans cette auberge glauque.

Ce récit étrange prend des allures effrayantes à propos du genre, des ambiguïtés , des hésitations sexuelles ,émois et troubles amoureux , violence hors norme , humanité chancelante d'un petit village tout à l'écart du monde, errances des habitants , désirs du narrateur et de Claudie poursuivie et poursuivante ?

Qui croire ?

C'est cruel , dérangeant , surprenant, étonnant, merveilleusement écrit .



Si l'écriture n'avait été si belle , ciselée,petits fragments superbes : phrases courtes , percutantes, restreintes, des petits bijoux, ou phrases amples , descriptions détaillées, construites comme des séquences découpées pour un long métrage , j'aurais abandonné cet ouvrage troublant qui décrit trop bien les ambiguïtés de l'identité .. Cette créature «  La fille » qui donne son titre au livre...

Drôle d'ouvrage qui laisse pantois., jolie création littéraire .





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Le sexe des modernes

Je ne suis plus très sûr du moment ni des circonstances exactes où mes lectures féministes portant sur le genre m'ont conduit à nourrir une forte aversion pour la pensée de Judith Butler, en particulier pour sa réfutation du sexe binaire et pour ce qui me paraît être une confusion conceptuelle persistante entre sexe, genre, orientation sexuelle et identité genrée, et conséquemment à lui préférer une aspiration à l'extension du domaine du genre neutre en vue de lutter pour l'éradication des inégalités de genre. C'est donc avec de très grandes attentes que j'ai abordé cet impressionnant essai d'Eric Marty, que j'avais déjà lu avec stupéfaction dans son gros volume sur la réception de Sade au XXe siècle : en effet le sous-titre de celui-ci annonce une opposition entre la « pensée du Neutre » - associée aux Modernes – et la théorie du genre, dont Butler est devenue la principale théoricienne (dommage pour la modestie de Gayle Rubin...).

Mais l'ouvrage s'ouvre en surpassant de loin mes espoirs. Dans sa Première partie « Le Neutre/le genre : une question de méthode », il démontre avec une précision fulgurante que la théorie de Butler, pour consolider ses assises, a choisi de se valoir des fondements épistémologiques de la French Theory, c'est-à-dire de la pensée des philosophes structuralistes déconstructivistes français des années 60-70, de Lacan, Lévi-Strauss et Barthes jusqu'à Derrida et Foucault, mais en en détournant et trahissant systématiquement les concepts, que ce soit pour les adopter ou pour les attaquer, selon une méthode qui relève de la véritable malhonnêteté épistémologique. Si une importante déconstruction du système du genre avait déjà été entreprise par les Modernes français, par la pensée du Neutre ayant pour point d'attaque l'ordre symbolique, la réflexion de Butler, qui se développe dans les années 90-2000 de façon pas même univoque dans sa totalité, aboutit à une théorie du genre non seulement contradictoire avec le Neutre, mais qui, ayant pris un certain déterminisme psychosociologique comme postulat, est incommensurable avec ce même Neutre auquel pourtant elle se réfère, en équivoquant sur les concepts de « performatif » et de « resignification ». Concernant le premier concept, sont détournés Lacan, Althusser, Derrida, et d'une certaine manière Foucault ; dans le second, la trahison concerne surtout Sartre commentateur de Jean Genet.

Les deux parties successives de l'essai sont consacrées au Neutre. Celui-ci, dans les élaborations des Modernes qui sont étudiés avec une remarquable profondeur, dans toute leur pénible complexité rendue avec rigueur et clarté par Marty, n'a pas grand chose à voir avec la notion sociologique du même nom que je croyais connaître en grammaire et parce qu'utilisée par les féministes. Il s'agit là de constructions philosophiques, psychanalytiques (pour Lacan) et de critique littéraire (pour la plupart des autres) beaucoup plus abstraites, qui théorisent le sujet, la Loi, le phallus, et la perversion, dans des sens souvent très éloignés de ceux qu'on leur donne ordinairement. Néanmoins, comme point de départ littéraire, nous trouvons le Neutre souvent associé à la figure et/ou au statut ontologique du travesti, qui remet en jeu à la fois le modèle du genre et l'orientation sexuelle des uns et des autres.

Dans la troisième partie, « Le sujet du Neutre », l'on explore dans le détail la relation entre le Neutre et la perversion à travers la notion de castration chez Lacan et un castrat historique (Zambinella) chez Barthes, celle du masochisme chez Deleuze, celle de l'hymen et de l'invagination chez Derrida. Michel Foucault fait l'objet d'une quatrième partie qui lui est spécifiquement consacrée. En effet, il présente une double rupture : à la fois interne à son œuvre, entre Surveiller et punir et L'Histoire de la folie, d'une part, et La Volonté de savoir, qui date de 1976, d'autre part, mais aussi une rupture avec les Modernes, qui semble d'abord le rapprocher pour certains aspects de la philosophie américaine, et notamment du néolibéralisme, et de ce fait de Butler aussi. Pourtant cette partie sur Foucault « le post-européen » se développe en une thèse sur ces ruptures et en une antithèse sur la « question sexuelle » qui révèle encore une fois une incompatibilité radicale entre la théorie du genre et une notion sienne de « monosexualité ». Le remplacement de la loi par la norme, de la critique du savoir-pouvoir par le « biopouvoir » et enfin l'analyse de l'autobiographie de l'hermaphrodite du XIXe siècle Herculine Barbin ne rapproche par Foucault de Butler – ni vice versa...

Pour finir, le deuxième coup de grâce à la théorie du genre, après les travestis des Modernes, lui est porté aujourd'hui par le militantisme des trans... qui sont bien décidés à s'opposer au non-binaire, naturellement, et dont l'un(e) a pu très significativement invectiver : « Fuck you Judith Butler ! » (p. 500). Je n'en saurais dire autant, bien entendu...
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Le sexe des modernes

Ouvrage monumentale par la taille et l'érudition, Le sexe des Modernes est souvent brillant et toujours clair. Dans cette entreprise de généalogie intellectuelle, Marty opère un découpage entre la théorie de Judith Butler et celles, multiples, des intellectuels français qu'il nomme "Modernes". Ce découpage permet de mieux éclairer ces deux "gestes intellectuels". D'un côté, l'audace théorique de Butler, laquelle se sert, de façon parfois redoutable et détournée, de ces grandes figures pour dynamiter la binarité du genre. De l'autre, la créativité conceptuelle folle des Modernes, qui inventent « une pensée du Neutre », geste de suspension du masculin-féminin. La démonstration de Marty, limpide, permet de nuancer la filiation couramment associée entre ces deux moments de l’histoire des idées. En effet, Marty rappelle l’influence du pragmatisme américain et l’importance du « social » chez Butler, à distance de la théorie française, spéculative et empreinte de romantisme. Certains passages sont de haute volée (le chapitre sur Foucault), d’autres moins marquants (la partie sur Barthes et Deleuze), certains très éclairants (l’explication sur Lacan et Levi Strauss), d’autres moins accessibles (sur le très hermétique Derrida). En bref, un livre dense et passionnant.
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Le coeur de la jeune Chinoise

Eric Marty nous offre une plongée dans un Paris à feu et à sang. Tout commence par une arrestation ratée. Les services de police veulent mettre la main sur le leader de la Ligne Rouge, un mouvement révolutionnaire d'extrême gauche. A la place, il tombe sur une jeune femme égorgée, la compagne de Politzer un des membre du Comité Permanent du mouvement. Ce dernier s'est réfugié chez une jeune prostituée chinoise. Entre indic décapité dans le métro, enlèvement, populisme et senteurs d’Asie, un jeu de piste infernal se met en place entre la police et les membres de la Ligne Rouge.

Ce thriller politique foisonne de détails et de digressions idéologiques. Le texte, extrêmement travaillé, va à son rythme, un peu lent à mon goût. Beaucoup de personnages, des histoires parallèles, une réflexion sur le plaisir de tuer, un regard critique sur la société spectacle, un récit très précis, trop peut-être... J'ai lu ce livre avec intérêt mais sans passion. Je n'ai pas été transportée dans ce Paris peuplé d'activistes déjantés, de flics en déroute, de prostituées au cœur tendre. Je m'y suis même parfois ennuyée.

Certes, je suis mitigée, mais cette lecture n'est demeure pas moins étonnante et digne d'intérêt
Lien : http://bloglavieestbelle.ove..
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Pourquoi le XXème siècle a t-il pris Sade au séri..

Selon mon pragmatisme rustique et robuste, Sade est un auteur littéraire, aussi novateur et influent soit-il. Dès lors, les hommes et femmes de lettres postérieurs auraient pu garder le choix habituel entre : ne pas le lire surtout tant que ses ouvrages étaient difficilement accessibles, le lire en toute discrétion, comme l'ont fait de nombreux écrivains du XIXe siècle – Stendhal, Chateaubriand, Balzac... – ou enfin le lire pour nourrir, explicitement ou implicitement, leur propre poétique : Baudelaire, Apollinaire, Breton, Char... Mais là n'est pas l'objet de cet essai. Dans l'après-guerre, plus exactement entre 1947 et 1975, les philosophes le « l'école française » - appelés par Marty « les Modernes » - se sont emparé de Sade par des lectures absolument fascinées, éblouies, symboliques, dogmatiques, mais aussi transposées, anachroniques, tellement éloignées des textes qu'elles ont pu s'avérer, d'une œuvre à l'autre du même penseur, fondamentalement divergentes voire contradictoires, comme chez Pierre Klossowski et Maurice Blanchot. Oublieux de la précaution minime de distinguer entre l'auteur et l’œuvre, entre les paroles et actes de personnages de fiction et la pensée philosophique qu'on peut prêter à l'auteur, ces penseurs du signe, du symbole, du mythe et de la structure semblent n'avoir fait de Sade que le héraut de leur propre haine de la bourgeoisie, surtout de la petite-bourgeoisie, dans une démarche de philosophie politique cependant très peu voire pas du tout assumée : c'est cela que l'auteur qualifie de « prendre Sade au sérieux ».

La geste de cet engouement commence et se termine par une polémique avec deux philosophes étrangers : Adorno et Pasolini, issus de pays qui avait récemment connu et lutté contre le fascisme.

« Quel est le lien entre le début et la fin, entre Adorno et Pasolini ? Entre Pasolini, le poète-cinéaste, catholique, communiste et italien, et Adorno, l'ami de Walter Banjamin, l'un des fondateurs de l'école de Francfort, philosophe qui, au travers d'un renouvellement capital du marxisme européen, a été à l'origine d'une "théorie critique" radicalement neuve ? En ce qui nous concerne, c'est simple. Leur intervention se concrétise par la commune assimilation de Sade au fascisme, assimilation contre laquelle se construira précisément le "sérieux" moderne des Français : de Bataille à Barthes, de Blanchot à Foucault, de Klossowski à Sollers, toute la Modernité va s'employer à renverser l'hypothèse, à l'effacer, à la faire oublier. Cette dénazification de Sade est cruciale pour la Modernité. Elle est à lire en parallèle avec celle menée par ailleurs en faveur de Nietzsche. » (p. 41).



Mais voici où le bât blesse : le lecteur qui, comme moi, s'attendait à une analyse politique, ne serait-ce qu'en partant du simple constat que cette période que l'auteur dénomme globalement « le XXe siècle » coïncide en réalité assez exactement avec les Trente glorieuses, le lecteur qui pense qu'il eût été fertile de critiquer, à l'instar de Dany-Robert Dufour, les prétentions « révolutionnaires » et « anti-capitalistes » des philosophes et intellectuels français de l'époque, se trouve absolument et irrémédiablement déçu. Il n'y a rien de politique ni de « raisonné » dans cette appropriation fantasmatique de Sade, et les concepts étudiés sont d'une telle abstraction, leur éloignement des textes cités d'un tel arbitraire – par ex. lorsque (le second) Blanchot fait un homosexuel et un pervers, « sujet dont l'impuissance est un "désir sans désir" » du héros de La Maladie de la mort de Marguerite Duras (cit. p. 420) – que je propose de transformer le titre de l'essai de la manière suivante : « Comment les philosophes français des Trente glorieuses ont déraisonné sur Sade dans leur fascination pour la perversion ».

Pour ce faire, tout passe à la moulinette : de la Bible à la psychanalyse, de Kant et Hegel – les deux apparemment fort mal ou très malicieusement compris – à la sémiologie, « ad maiorem perversionis gloriam »... Marty se fait-il leur complice, tout en dénonçant leurs errements ? Je ne parviens pas à répondre à cette question (donc je suis incapable de noter cet essai). Il est néanmoins certain que le sophisme qui caractérise ces « déraisonnements », à l'exception partielle de ceux de Michel Foucault, à mon avis, a vocation à faire passer ces penseur, y compris peut-être le Sartre de l'Être et le néant et la Simone de Beauvoir de Faut-il brûler Sade ? (1955), pour de fieffés coquins !



Venons-en donc à essayer de résumer ce « Comment... » :

« Nous sommes là, plus que jamais, dans le discours de la Modernité au sens aussi où le Sade historique, empirique, individuel, anecdotique s'est effacé pour devenir "concept" de ce qu'il représente : l'opposition de structure entre l'essence silencieuse de la violence d'État et celle, au contraire, entièrement exprimée de la violence comme supplice. Le texte sadien est devenu un opérateur par où se révèle un dispositif discursif parfaitement établi et formalisé bien au-delà de la question particulière de l’œuvre de Sade. » (p. 84)



In : « Maurice Blanchot et la négation sadienne », une négation qui est transcendantale :

« Il apparaît clairement que le Pervers – et c'est le plus important – est celui qui sort le sujet des impasses de toutes les dialectiques de la conscience, ce leurre dans lequel la pensée bourgeoise – l'humanisme – a condamné l'homme à tourner en rond comme pour lui interdire à jamais toute possibilité d'une véritable transformation du monde. C'est parce qu'il nous sort de cette prison sans murs qu'est la conscience, et qu'il déplace entièrement les questions, que le sujet pervers est bien le sujet de la praxis, son unique agent. La praxis est ce qui permet de dissiper les brumes, les impasses, les leurres de l'intériorité, et d'accéder au Réel. Cette critique de la conscience par la praxis deviendra l'axiome de la Modernité, présent partout dans des formules toujours plus denses et plus fortes [...] » (p. 100)



« Nous sommes là dans le Sade de Blanchot, un Sade dont le prodigieux génie consiste à dévoiler dans un infini sans limites la négativité du monde que l'ordre vise à camoufler, que le discours de l'ordre tente de dissimuler, que les appareils idéologiques de l'ordre ont pour tâche de masquer afin de toujours rendre les révoltes niaises, timides, sans portée. Tâche à laquelle l'humanisme, le progressisme de gauche, participent en camouflant, derrière la bonne image de l'homme universel déjà là, fictivement déjà là, la radicalité, l'ampleur et la violence des combats à mener, la radicalité, l'ampleur et la violence du refus de ce monde. » (p. 118)



In : « Foucault : déraisonner avec Sade à l'Âge moderne » : double figure de Sade dans l'Histoire de la folie :

« Mais il y a un second Sade dans l'Histoire de la folie. Un second Sade qui, lui, apparaît monumental et mythique, comme une figure majeure qui recueille le secret primitif et immémorial de la déraison, et lui donne, pour l'avenir, un sens prophétique, un Sade qui, de ce fait, devient le plus brûlant des noms puisqu'il apparaît comme le premier d'une série nominale que Foucault va répéter sur un mode incantatoire tout au long de son livre : Hölderlin, Nerval, Nietzsche, Van Gogh, Artaud... » (p. 141)



In : « Lacan et la chose sadienne » :

« Le protagoniste sadien n'exclut nullement la réciprocité, comme on le voit, et bien au contraire suppose l'universalité de son propre désir. Son fantasme de domination absolue et d'emprise sur autrui va jusqu'à supposer la victime toujours consentante et toujours désirante, fondamentalement complice, complice à son corps défendant.

Enfin, le parallèle Kant / Sade pèche, comme chez Adorno ou Simone de Beauvoir d'ailleurs, par le fait que Lacan ne retient de Kant que l'énoncé de la loi fondamentale qui restreint l'action morale à sa possibilité d'être le principe d'une législation universelle. Comme les autres, il omet de citer les développements ultérieurs de Kant, et le plus fameux, qui interdit radicalement toute analogie avec Sade, à savoir la maxime qui ordonne de ne jamais employer le sujet humain comme moyen, mais de le voir comme une fin. » (p. 176)



« C'est ainsi que l'on peut saisir, à sa racine même, la fascination éprouvée par Lacan à l'égard de Sade, fascination qui contredit violemment la leçon de déontologie clinique qu'il lui inflige parallèlement, et dont il tente te corseter sa fascination : ce qu'apporte Sade et qui est inestimable, c'est qu'il nous enseigne tout simplement à découvrir "les lois du prochain comme tel".

Le prochain que Sade permet de découvrir n'est nullement le semblable dont nous faisons notre reflet et avec quoi nous le confondons : confusion qui suppose une même méconnaissance que celle qui caractérise notre Moi en tant qu'il est pris de part en part dans le registre de l'Imaginaire. Le Prochain, à l'inverse, est le véritable autre, celui que nous possédons quand nous faisons l'amour. Le dévoilement du Prochain, comme le plus radicalement autre, est la voie par où nous débordons de la captivation imaginaire de l'autre par l'image leurrante du semblable. L'accès à l'espace du Prochain comme tel a pour chemin a jouissance sexuelle en tant que non sublimée. » (pp. 204-205)



« Cette logique antianthropocentriste est capitale ; elle est l'élément qui participe bien entendu à la fascination que Sade provoque dans un XXe siècle parcouru intensément par l'antihumanisme radical : nier le crime, le nier ontologiquement, renvoie l'homme à une position dé-narcissisante, entièrement dégagée de la glu de l'Imaginaire humaniste. » (p. 212)



In : « Sacher-Masoch, la ruse deleuzienne » : en se penchant sur Sacher-Masoch, Deleuze se situe au cœur du débat sur Sade :

« Le nom de Sade, il est vrai, n'apparaît nulle part dans le Nietzsche, mais cette absence témoigne sans aucun doute du projet profond de Deleuze, tant au travers de Nietzsche qu'au travers de Sacher-Masoch, celui, paradoxal, de produire "un sadisme sans Sade", un sadisme strictement deleuzien. Mais est-ce si paradoxal ? La pensée profonde de Deleuze, à propos de Sacher-Masoch, n'est-elle pas que le sujet masochiste est précisément celui qui produit fantasmatiquement un sadisme sans le sadique, au sens par exemple où […] le bourreau est une pure création de ce sujet masochiste, au sens où le sujet masochiste est celui qui se réalise dans la construction d'un sadisme dont il se fait l'objet, au sens où l'essence du masochisme est en fait un sadisme projeté sur autrui, et en ce sens idéal ? » (pp. 300-301)



In : « Pierre Klossowski [II], un Sade puissance deux » : non plus l'auteur de Sade mon prochain (1947), mais celui de la conférence : « Signe et perversion chez Sade » (mai 1966) et du numéro spécial de la revue Tel Quel daté de l'hiver 1967 :

« La sémiologie klossowskienne, perpétuant le geste pervers, autorise celui-ci à s'établir comme discours en se greffant sur le discours de la généralité, dans ses interstices, et permet à cette occasion de vérifier que la perversion est la loi secrète du monde. Cette "découverte" n'induit nullement une critique de la société car la perversion se nierait elle-même en se métamorphosant en critique sociale. Mais la perversion triomphe d'autant plus qu'elle voit clairement dans les institutions mêmes les conditions de son exercice et de sa domination. S'il y a "subversion" dans le geste pervers, c'est dans la mesure où, par son geste singulier, il prend place au cœur même des pratiques sociales et les vide d'un coup de toute expression, de tous contenus ordinaires, et les retourne en actes vides, opaques, ayant rompu avec les lois ancestrales de la communication humaine. » (p. 333)



In : « Écrire Sade par Philippe Sollers » : principalement sur le texte de Sollers daté 1989 et présenté comme une œuvre apocryphe de Sade, intitulée Contre l'Être suprême.



In : « Roland Barthes et le neutre sadien » : où il est question du « Plastron », de la castration dans S/Z, de la sublimation et de la Beauté, de la Photographie/Pornographie, mais incroyablement le mystère n'est pas éclairci du lien qui unit les trois personnages dans le titre de l'essai de 1970 : Sade, Fourier, Loyola...



Épilogue : « Pasolini, Blanchot, Levinas » : Pasolini, dans un dépassement du film Salò ou les 120 Journées de Sodome, par une analyse des positions politiques et socio-sexuelles – paradoxales – de l'auteur des Écrits corsaires et des Lettres luthériennes ;

Blanchot :

« L'occasion de cette prise de distance, ce n'est pas un hasard, est constituée par les nombreux débats des années 80 relatifs au désengagement des intellectuels par rapport à l'un des signifiants majeurs du siècle, le signifiant "communisme". Blanchot publie en 1983 un livre singulier au titre étrange, La Communauté inavouable, dans la maison d'édition – Minuit – qui en 1949 a édité son Lautréamont et Sade. Le livre est composé de deux textes distincts, "La communauté négative", qui, à partir du mot "communisme", propose un commentaire très sinueux de la communauté chez Georges Bataille, et d'autre part "La communauté des amants", le plus important pour nous, consacré au très beau récit de Marguerite Duras, La Maladie de la mort. » (p. 411)

Levinas :

« Levinas qu'on a rencontré si souvent dans notre exploration de Sade. Aux côtés de Lacan, dans le déploiement du concept de Création contre l'ontologie et le sans fin de l'Être, par-dessus Deleuze, au travers du masochisme où la cruauté de la Loi, cette cruauté qui s'accroît à mesure que j'y adhère, est justifiée, divinisée par Levinas, dans un rapport à l'Autre, et d'où a disparu toute perversité. Nous le retrouvons enfin avec Blanchot contre Sade.

Il y a quelque chose sans doute de signifiant dans ce retour de Levinas à propos de Sade, lui qui n'en a jamais parlé, et qui ne l'a peut-être jamais lu. La facilité serait d'y voir la réponse du Bien au Mal. Facilité sans pertinence puisque si Sade a pu si facilement triompher au XXe siècle, c'est que le Bien était désormais hors course, passé dans les poubelles de l'histoire, et pas même donné comme remède au désespoir des indigents, des victimes, des enfants de la mort. Facilité sans pertinence puisque Levinas pose sans cesse la possibilité d'une tromperie du Bien, possibilité jamais dissipée dans son œuvre. » (p. 427)



Excipit [en guise de bonus!] :

« Cette "zone infranchissable" que Genet ici désigne est donc le lieu sadien, ce lieu dont Sade ne témoigne pas, et qui pourtant est le lieu géométrique où tout converge. Cette zone est le lieu exact de l'Autre, c'est le lieu même de l'altérité. Genet, dans un éclaircissement foudroyant de l'acte sadien – le "coup" –, le localise dans un non-lieu magnifique – la "zone infranchissable" –, le nomme dans une plénitude sans ombre – "la beauté" –, et offre à cette aura l'incarnation qui la rend visible – "le visage".

Nous sommes, avec la victime, à l'abri du regard sadique, à l'abri de sa violence, à l'abri du sérieux et du comique de ce regard ». (p. 440)
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Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au séri..

Selon mon pragmatisme rustique et robuste, Sade est un auteur littéraire, aussi novateur et influent soit-il. Dès lors, les hommes et femmes de lettres postérieurs auraient pu garder le choix habituel entre : ne pas le lire surtout tant que ses ouvrages étaient difficilement accessibles, le lire en toute discrétion, comme l'ont fait de nombreux écrivains du XIXe siècle – Stendhal, Chateaubriand, Balzac... – ou enfin le lire pour nourrir, explicitement ou implicitement, leur propre poétique : Baudelaire, Apollinaire, Breton, Char... Mais là n'est pas l'objet de cet essai. Dans l'après-guerre, plus exactement entre 1947 et 1975, les philosophes le « l'école française » - appelés par Marty « les Modernes » - se sont emparé de Sade par des lectures absolument fascinées, éblouies, symboliques, dogmatiques, mais aussi transposées, anachroniques, tellement éloignées des textes qu'elles ont pu s'avérer, d'une œuvre à l'autre du même penseur, fondamentalement divergentes voire contradictoires, comme chez Pierre Klossowski et Maurice Blanchot. Oublieux de la précaution minime de distinguer entre l'auteur et l’œuvre, entre les paroles et actes de personnages de fiction et la pensée philosophique qu'on peut prêter à l'auteur, ces penseurs du signe, du symbole, du mythe et de la structure semblent n'avoir fait de Sade que le héraut de leur propre haine de la bourgeoisie, surtout de la petite-bourgeoisie, dans une démarche de philosophie politique cependant très peu voire pas du tout assumée : c'est cela que l'auteur qualifie de « prendre Sade au sérieux ».

La geste de cet engouement commence et se termine par une polémique avec deux philosophes étrangers : Adorno et Pasolini, issus de pays qui avait récemment connu et lutté contre le fascisme.

« Quel est le lien entre le début et la fin, entre Adorno et Pasolini ? Entre Pasolini, le poète-cinéaste, catholique, communiste et italien, et Adorno, l'ami de Walter Banjamin, l'un des fondateurs de l'école de Francfort, philosophe qui, au travers d'un renouvellement capital du marxisme européen, a été à l'origine d'une "théorie critique" radicalement neuve ? En ce qui nous concerne, c'est simple. Leur intervention se concrétise par la commune assimilation de Sade au fascisme, assimilation contre laquelle se construira précisément le "sérieux" moderne des Français : de Bataille à Barthes, de Blanchot à Foucault, de Klossowski à Sollers, toute la Modernité va s'employer à renverser l'hypothèse, à l'effacer, à la faire oublier. Cette dénazification de Sade est cruciale pour la Modernité. Elle est à lire en parallèle avec celle menée par ailleurs en faveur de Nietzsche. » (p. 41).



Mais voici où le bât blesse : le lecteur qui, comme moi, s'attendait à une analyse politique, ne serait-ce qu'en partant du simple constat que cette période que l'auteur dénomme globalement « le XXe siècle » coïncide en réalité assez exactement avec les Trente glorieuses, le lecteur qui pense qu'il eût été fertile de critiquer, à l'instar de Dany-Robert Dufour, les prétentions « révolutionnaires » et « anti-capitalistes » des philosophes et intellectuels français de l'époque, se trouve absolument et irrémédiablement déçu. Il n'y a rien de politique ni de « raisonné » dans cette appropriation fantasmatique de Sade, et les concepts étudiés sont d'une telle abstraction, leur éloignement des textes cités d'un tel arbitraire – par ex. lorsque (le second) Blanchot fait un homosexuel et un pervers, « sujet dont l'impuissance est un "désir sans désir" » du héros de La Maladie de la mort de Marguerite Duras (cit. p. 420) – que je propose de transformer le titre de l'essai de la manière suivante : « Comment les philosophes français des Trente glorieuses ont déraisonné sur Sade dans leur fascination pour la perversion ».

Pour ce faire, tout passe à la moulinette : de la Bible à la psychanalyse, de Kant et Hegel – les deux apparemment fort mal ou très malicieusement compris – à la sémiologie, « ad maiorem perversionis gloriam »... Marty se fait-il leur complice, tout en dénonçant leurs errements ? Je ne parviens pas à répondre à cette question (donc je suis incapable de noter cet essai). Il est néanmoins certain que le sophisme qui caractérise ces « déraisonnements », à l'exception partielle de ceux de Michel Foucault, à mon avis, a vocation à faire passer ces penseur, y compris peut-être le Sartre de l'Être et le néant et la Simone de Beauvoir de Faut-il brûler Sade ? (1955), pour de fieffés coquins !



Venons-en donc à essayer de résumer ce « Comment... » :

« Nous sommes là, plus que jamais, dans le discours de la Modernité au sens aussi où le Sade historique, empirique, individuel, anecdotique s'est effacé pour devenir "concept" de ce qu'il représente : l'opposition de structure entre l'essence silencieuse de la violence d'État et celle, au contraire, entièrement exprimée de la violence comme supplice. Le texte sadien est devenu un opérateur par où se révèle un dispositif discursif parfaitement établi et formalisé bien au-delà de la question particulière de l’œuvre de Sade. » (p. 84)



In : « Maurice Blanchot et la négation sadienne », une négation qui est transcendantale :

« Il apparaît clairement que le Pervers – et c'est le plus important – est celui qui sort le sujet des impasses de toutes les dialectiques de la conscience, ce leurre dans lequel la pensée bourgeoise – l'humanisme – a condamné l'homme à tourner en rond comme pour lui interdire à jamais toute possibilité d'une véritable transformation du monde. C'est parce qu'il nous sort de cette prison sans murs qu'est la conscience, et qu'il déplace entièrement les questions, que le sujet pervers est bien le sujet de la praxis, son unique agent. La praxis est ce qui permet de dissiper les brumes, les impasses, les leurres de l'intériorité, et d'accéder au Réel. Cette critique de la conscience par la praxis deviendra l'axiome de la Modernité, présent partout dans des formules toujours plus denses et plus fortes [...] » (p. 100)



« Nous sommes là dans le Sade de Blanchot, un Sade dont le prodigieux génie consiste à dévoiler dans un infini sans limites la négativité du monde que l'ordre vise à camoufler, que le discours de l'ordre tente de dissimuler, que les appareils idéologiques de l'ordre ont pour tâche de masquer afin de toujours rendre les révoltes niaises, timides, sans portée. Tâche à laquelle l'humanisme, le progressisme de gauche, participent en camouflant, derrière la bonne image de l'homme universel déjà là, fictivement déjà là, la radicalité, l'ampleur et la violence des combats à mener, la radicalité, l'ampleur et la violence du refus de ce monde. » (p. 118)



In : « Foucault : déraisonner avec Sade à l'Âge moderne » : double figure de Sade dans l'Histoire de la folie :

« Mais il y a un second Sade dans l'Histoire de la folie. Un second Sade qui, lui, apparaît monumental et mythique, comme une figure majeure qui recueille le secret primitif et immémorial de la déraison, et lui donne, pour l'avenir, un sens prophétique, un Sade qui, de ce fait, devient le plus brûlant des noms puisqu'il apparaît comme le premier d'une série nominale que Foucault va répéter sur un mode incantatoire tout au long de son livre : Hölderlin, Nerval, Nietzsche, Van Gogh, Artaud... » (p. 141)



In : « Lacan et la chose sadienne » :

« Le protagoniste sadien n'exclut nullement la réciprocité, comme on le voit, et bien au contraire suppose l'universalité de son propre désir. Son fantasme de domination absolue et d'emprise sur autrui va jusqu'à supposer la victime toujours consentante et toujours désirante, fondamentalement complice, complice à son corps défendant.

Enfin, le parallèle Kant / Sade pèche, comme chez Adorno ou Simone de Beauvoir d'ailleurs, par le fait que Lacan ne retient de Kant que l'énoncé de la loi fondamentale qui restreint l'action morale à sa possibilité d'être le principe d'une législation universelle. Comme les autres, il omet de citer les développements ultérieurs de Kant, et le plus fameux, qui interdit radicalement toute analogie avec Sade, à savoir la maxime qui ordonne de ne jamais employer le sujet humain comme moyen, mais de le voir comme une fin. » (p. 176)



« C'est ainsi que l'on peut saisir, à sa racine même, la fascination éprouvée par Lacan à l'égard de Sade, fascination qui contredit violemment la leçon de déontologie clinique qu'il lui inflige parallèlement, et dont il tente te corseter sa fascination : ce qu'apporte Sade et qui est inestimable, c'est qu'il nous enseigne tout simplement à découvrir "les lois du prochain comme tel".

Le prochain que Sade permet de découvrir n'est nullement le semblable dont nous faisons notre reflet et avec quoi nous le confondons : confusion qui suppose une même méconnaissance que celle qui caractérise notre Moi en tant qu'il est pris de part en part dans le registre de l'Imaginaire. Le Prochain, à l'inverse, est le véritable autre, celui que nous possédons quand nous faisons l'amour. Le dévoilement du Prochain, comme le plus radicalement autre, est la voie par où nous débordons de la captivation imaginaire de l'autre par l'image leurrante du semblable. L'accès à l'espace du Prochain comme tel a pour chemin a jouissance sexuelle en tant que non sublimée. » (pp. 204-205)



« Cette logique antianthropocentriste est capitale ; elle est l'élément qui participe bien entendu à la fascination que Sade provoque dans un XXe siècle parcouru intensément par l'antihumanisme radical : nier le crime, le nier ontologiquement, renvoie l'homme à une position dé-narcissisante, entièrement dégagée de la glu de l'Imaginaire humaniste. » (p. 212)



In : « Sacher-Masoch, la ruse deleuzienne » : en se penchant sur Sacher-Masoch, Deleuze se situe au cœur du débat sur Sade :

« Le nom de Sade, il est vrai, n'apparaît nulle part dans le Nietzsche, mais cette absence témoigne sans aucun doute du projet profond de Deleuze, tant au travers de Nietzsche qu'au travers de Sacher-Masoch, celui, paradoxal, de produire "un sadisme sans Sade", un sadisme strictement deleuzien. Mais est-ce si paradoxal ? La pensée profonde de Deleuze, à propos de Sacher-Masoch, n'est-elle pas que le sujet masochiste est précisément celui qui produit fantasmatiquement un sadisme sans le sadique, au sens par exemple où […] le bourreau est une pure création de ce sujet masochiste, au sens où le sujet masochiste est celui qui se réalise dans la construction d'un sadisme dont il se fait l'objet, au sens où l'essence du masochisme est en fait un sadisme projeté sur autrui, et en ce sens idéal ? » (pp. 300-301)



In : « Pierre Klossowski [II], un Sade puissance deux » : non plus l'auteur de Sade mon prochain (1947), mais celui de la conférence : « Signe et perversion chez Sade » (mai 1966) et du numéro spécial de la revue Tel Quel daté de l'hiver 1967 :

« La sémiologie klossowskienne, perpétuant le geste pervers, autorise celui-ci à s'établir comme discours en se greffant sur le discours de la généralité, dans ses interstices, et permet à cette occasion de vérifier que la perversion est la loi secrète du monde. Cette "découverte" n'induit nullement une critique de la société car la perversion se nierait elle-même en se métamorphosant en critique sociale. Mais la perversion triomphe d'autant plus qu'elle voit clairement dans les institutions mêmes les conditions de son exercice et de sa domination. S'il y a "subversion" dans le geste pervers, c'est dans la mesure où, par son geste singulier, il prend place au cœur même des pratiques sociales et les vide d'un coup de toute expression, de tous contenus ordinaires, et les retourne en actes vides, opaques, ayant rompu avec les lois ancestrales de la communication humaine. » (p. 333)



In : « Écrire Sade par Philippe Sollers » : principalement sur le texte de Sollers daté 1989 et présenté comme une œuvre apocryphe de Sade, intitulée Contre l'Être suprême.



In : « Roland Barthes et le neutre sadien » : où il est question du « Plastron », de la castration dans S/Z, de la sublimation et de la Beauté, de la Photographie/Pornographie, mais incroyablement le mystère n'est pas éclairci du lien qui unit les trois personnages dans le titre de l'essai de 1970 : Sade, Fourier, Loyola...



Épilogue : « Pasolini, Blanchot, Levinas » : Pasolini, dans un dépassement du film Salò ou les 120 Journées de Sodome, par une analyse des positions politiques et socio-sexuelles – paradoxales – de l'auteur des Écrits corsaires et des Lettres luthériennes ;

Blanchot :

« L'occasion de cette prise de distance, ce n'est pas un hasard, est constituée par les nombreux débats des années 80 relatifs au désengagement des intellectuels par rapport à l'un des signifiants majeurs du siècle, le signifiant "communisme". Blanchot publie en 1983 un livre singulier au titre étrange, La Communauté inavouable, dans la maison d'édition – Minuit – qui en 1949 a édité son Lautréamont et Sade. Le livre est composé de deux textes distincts, "La communauté négative", qui, à partir du mot "communisme", propose un commentaire très sinueux de la communauté chez Georges Bataille, et d'autre part "La communauté des amants", le plus important pour nous, consacré au très beau récit de Marguerite Duras, La Maladie de la mort. » (p. 411)

Levinas :

« Levinas qu'on a rencontré si souvent dans notre exploration de Sade. Aux côtés de Lacan, dans le déploiement du concept de Création contre l'ontologie et le sans fin de l'Être, par-dessus Deleuze, au travers du masochisme où la cruauté de la Loi, cette cruauté qui s'accroît à mesure que j'y adhère, est justifiée, divinisée par Levinas, dans un rapport à l'Autre, et d'où a disparu toute perversité. Nous le retrouvons enfin avec Blanchot contre Sade.

Il y a quelque chose sans doute de signifiant dans ce retour de Levinas à propos de Sade, lui qui n'en a jamais parlé, et qui ne l'a peut-être jamais lu. La facilité serait d'y voir la réponse du Bien au Mal. Facilité sans pertinence puisque si Sade a pu si facilement triompher au XXe siècle, c'est que le Bien était désormais hors course, passé dans les poubelles de l'histoire, et pas même donné comme remède au désespoir des indigents, des victimes, des enfants de la mort. Facilité sans pertinence puisque Levinas pose sans cesse la possibilité d'une tromperie du Bien, possibilité jamais dissipée dans son œuvre. » (p. 427)



Excipit [en guise de bonus!] :

« Cette "zone infranchissable" que Genet ici désigne est donc le lieu sadien, ce lieu dont Sade ne témoigne pas, et qui pourtant est le lieu géométrique où tout converge. Cette zone est le lieu exact de l'Autre, c'est le lieu même de l'altérité. Genet, dans un éclaircissement foudroyant de l'acte sadien – le "coup" –, le localise dans un non-lieu magnifique – la "zone infranchissable" –, le nomme dans une plénitude sans ombre – "la beauté" –, et offre à cette aura l'incarnation qui la rend visible – "le visage".

Nous sommes, avec la victime, à l'abri du regard sadique, à l'abri de sa violence, à l'abri du sérieux et du comique de ce regard ». (p. 440)
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Le coeur de la jeune Chinoise

Un groupe d'activistes d'extrême gauche sème la terreur dans le Paris contemporain en enlevant et assassinant.

Je ne suis pas arrivée à entrer dans l'histoire. Il y a beaucoup trop de personnages. De plus l'auteur passe très souvent du rêve à la réalité ce qui fait que l'on se perd. Son écriture avec beaucoup de phrases très courtes m'a beaucoup dérangée et a plombé le récit au lieu de le rythmer.

Moi qui en général aime les thrillers, j'ai plutôt eu l'impression de lire un livre philosophico politique. Il est certes intéressant au niveau d'une certaine analyse de notre société et de certains de ses citoyens mais pas toujours aisé à comprendre pour qui ne connait pas la psychologie.

Je n'ai pas été emballée par l'histoire et me suis un peu forcée pour le terminer.

Il faut par contre reconnaître à Éric Marty tout son travail de recherches aussi bien politiques, psychologiques que sociologiques.

Il m'est toujours difficile de dire que je n'ai pas aimé un livre, sachant le travail et l'investissement qu'a fourni l'auteur.



Je remercie les éditions du Seuil qui m'ont fait parvenir ce livre gratuitement.



www.seuil.com

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Pourquoi le XXème siècle a t-il pris Sade au séri..

Critique de Maxime Rovere pour le Magazine Littéraire



La littérature n'a pas pour vocation de produire des ouvrages gentiment destinés à une consommation sereine par des amateurs désoeuvrés. Le marquis de Sade, plus que tout autre, a fabriqué des oeuvres écrites pour faire mal. « Personne, disait Georges Bataille, à moins de rester sourd, n'achève les Cent Vingt Journées que malade » (La Littérature et le Mal, éd. Gallimard). Lorsqu'un livre n'est plus destiné à satisfaire le désir mais à l'écarteler, dévoilant ses fondements les plus secrets, ses prolongements les plus affreux, il n'offre à ses lecteurs que deux options. La première consiste à mettre le livre à l'index, à l'enfermer dans l'enfer des bibliothèques, autrement dit à le refouler. La seconde option consiste à contempler en face le sujet qui s'y énonce. Or il a fallu attendre le XXe siècle pour que notre regard croise celui du marquis de Sade. Pourquoi, et qu'a-t-on vu ?

Il y a deux manières de présenter la réponse qu'Éric Marty tente d'apporter à cette question. Voici la version simplifiée : la montée puis l'avènement du fascisme et du nazisme ont marqué l'accomplissement, dans le concret de l'histoire, des horreurs que Sade avait décrites comme des possibles du désir. Brutalement surgi sur le devant de la scène, le sujet sadien est alors devenu une question fondamentale. La fascination intellectuelle qu'il a exercée serait donc un effet secondaire de la brutalité historique du XXe siècle. Cependant, dans le détail de l'analyse, Marty fait preuve d'une subtilité qui affine grandement cette réponse. En étudiant quatre grandes périodes de réflexions sur Sade, il dessine un parcours qui n'est pas exempt de contradictions. La première, qui prélude au « sérieux » accordé à Sade, est d'abord le fruit d'un travail d'éditeur : entre 1931 et 1935, Maurice Heine publie pour la première fois Les 120 Journées de Sodome. L'écrivain qui apparaît dans le paysage intellectuel français a alors les traits d'un génie calomnié, d'un révolutionnaire embastillé, bref d'un fantasme, à la fois littéraire et érotique, qui tient autant du cauchemar que de la rêverie. La seconde période s'ouvre d'un coup en 1947 - Sade, année zéro. Klossowski publie Sade mon prochain, et l'article d'Adorno et de Horkheimer, « Juliette ou Raison et morale » (1944), est enfin traduit en français. La question biographique s'éloigne et laisse naître un problème d'ordre conceptuel : pour Adorno, Sade est celui qui a découvert le premier la réification de l'humain. Par rebond, le fondateur de l'École de Francfort montre que la raison bourgeoise, son désir de maîtrise et sa fabrique de prescriptions mènent directement à Sade sitôt qu'ils sont privés de finalité. Ce que Marty résume ainsi : «Sade est le chaînon manquant entre Kant et Auschwitz» (p. 48).

C'est le début d'une lecture qui place l'écrivain entre les mains des philosophes. Dans la France des années 1950, ils s'en servent comme d'un poison contre l'hégémonie de Hegel : à « l'homme intégral » que celui-ci conçoit comme le citoyen de l'État universel et homogène, Klossowski oppose ainsi une version sadienne ; car Sade a découvert, au contact de la Révolution, que « l'homme intégral » est fondamentalement un sujet aristocrate, qui a fait de ses excès une norme. Dans le sillage de cette interprétation, Bataille et Blanchot entreprennent de généraliser la grandeur négative, en opérant la « dénazification » de Sade : de même qu'ils placent leurs lectures au-delà de l'expérience commune de la lecture, ils situent la violence sadienne au-delà de celle d'un simple bourreau. De cette manière, le marquis n'est pas tout à fait intégré à l'espace littéraire, mais il est en tout cas dénoué de l'Histoire.

Le temps est donc venu, au début des années 1960, pour que Foucault, Deleuze et Lacan affrontent Sade afin d'élaborer une nouvelle forme de rationalisme, susceptible de se laisser traverser par la folie, et donc par la figure défigurante de l'auteur de Justine. Éric Marty montre très bien que les hésitations de Foucault, qui voit alternativement en lui l'incarnation de la contestation puis de la société disciplinaire, témoignent de la résistance de Sade aux catégories du philosophe. Quelque chose échappe - et c'est Cela que Lacan tente à son tour de désigner comme un impératif de jouissance, confinant à la cruauté dans son rapport à l'Autre. Deleuze enfin aborde ce terrain à rebours, en préférant au sadisme une version inversée, le masochisme : « Il s'agit, avec Sacher-Masoch, de surmonter la tentation sadienne (tentation d'orgueil) en la dépassant par l'humour masochiste » (p. 277). Dans tous les cas, Sade incarne une forme irréductible d'antipositivisme, indispensable pour renouveler la pensée philosophique. Enfin, en 1967, s'ouvre une quatrième période : dans le numéro de Tel quel qu'ils lui consacrent, Barthes, Sollers et Klossowski (encore !) font subir à Sade son tournant linguistique. Le voici désormais fer de lance d'une sémiologie expérimentale. Ainsi, pour Barthes, ce que Sade nie, c'est avant tout la réalité, au profit du langage.

Au terme de cette étude magistrale, un doute plane sur la démonstration. De touches d'ironie en réserves appuyées, Éric Marty a sans cesse suggéré que les théoriciens avaient plus ou moins manqué l'essentiel. Mais le « ratage perpétuel constitué par les "lectures" de Sade » pourrait aussi pointer une tentation, contre laquelle l'auteur lutte lui-même avec courage, consistant à ne reconnaître comme véritablement « sérieuse » que l'incarnation historique de Sade. En commençant avec le film Salo ou les 120 Journées de Sodome (1975), le livre ne rend-il pas immédiatement sensible le lien entre Sade et l'histoire ? À cette lumière, tout se passe comme si Pasolini refermait en 1975 la boucle où se sont égarés les interprètes qui le séparent d'Adorno (1944). Il y a là une ambiguïté peut-être irréductible : l'ouvrage laisse deviner une interprétation inverse à celle qu'affiche le titre ; après tout, il n'est pas impossible que les auteurs du XXe siècle n'aient pas seulement pris Sade au sérieux. Cette dimension, celle de l'humour, montre que Sade est définitivement irréductible.
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Le sexe des modernes

Disjoindre le sexe et le genre est un geste éminemment moderne, théoriser cette dissociation l’est plus encore.



Ce livre est d’une certaine manière l’histoire de ce geste. Il nous mène des grandes entreprises déconstructrices de la Modernité des années 1960-1980 jusqu’au triomphe contemporain de la théorie du genre : de Sartre, Lacan, Deleuze, Barthes, Derrida ou Foucault jusqu’à Judith Butler.



Pourtant, parce qu’il s’agit d’un objet aussi fuyant que précieux, le sexe des Modernes est aussi un révélateur. Loin d’être tout à fait commun aux deux espaces intellectuels que sont l’Europe et les États-Unis, il est peut-être témoin de leurs divisions : disputes, équivoques, héritages détournés, et guerres silencieuses ou avouées…



Il s’agit ici non seulement d’éclairer des doctrines récentes que la confusion des temps travaille à obscurcir, mais d’explorer ce qui s’est déplacé au tournant des XXe et XXIe siècles entre le continent européen et le continent américain. Transmission ou au contraire fracture ?



Car le moment est venu d’interroger le partage du sexe et du genre sous l’angle de son histoire puisque cette histoire est la nôtre, et sans doute plus que jamais.
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Le sexe des modernes

Avec son nouveau livre, l’essayiste retourne à Barthes, Foucault ou Derrida pour mettre en perspective et repenser la notion de genre définie par Judith Butler il y a trente ans.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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Le coeur de la jeune Chinoise

"Le cœur de la jeune chinoise" est un roman déroutant. Thriller politique, histoire de cœur, de meurtrier, c'est tout ça à la fois.

On suit l'organisation terroriste La Ligne Rouge, dirigée par Mao. Organisation ultra-gauchiste, qui comme tout terroriste de gauche qui se respecte, en veut à tout capitaliste qui a réussi ou qui semble avoir réussi.

Politzer en est un des membres les plus actifs... et les plus étranges. A se demander si l'idéologie prônée par l'organisation est la raison réelle qui l'a poussé à s'engager, je pencherai plus pour le côté terroriste de la chose. Après avoir assassiné d'une manière très sordide sa compagne, membre elle aussi de Ligne Rouge, il va tomber par hasard sur Lu, jeune prostituée chinoise avec qui il va s'enfuir. Ensuite, des morts, beaucoup de morts, toutes plus inutiles les unes que les autres.

J'ai eu énormément de mal à entrer dans ce roman, déjà, de par la tonne de personnages (parfois, il faut s'accrocher), et par la complexité apparente du raisonnement de Ligne Rouge. En fait, le chef de l'organisation se cache derrière des discours grandiloquents pour justifier les actes terroristes, mais leurs idées et leur révolution ne les mène nulle part. Finalement, on s'interroge : ne seraient-ils terroristes que par goût du sang, tous ?

Et puis, à un moment, l'organisation devient carrément une toile de fond très lointaine, le personnage important, c'est Politzer et lui, il n'a qu'une idée en tête, retrouver Lu. Quand on sait pourquoi, on se dit qu'il a vraiment un énorme grain, celui-là ! C'est là que l'histoire part en vrille complète, de thriller politique, on passe à une sorte de roman policier, où l'on suit le meurtrier... Très étrange procédé, qui fait qu'on se perd un peu.

Il y aurait sans doute beaucoup à dire encore sur ce roman déboussolant, mais alors cette critique balancerait des spoils à tort et à travers et s'éterniserait tellement il y a de chemins de traverse dans ce livre. Donc je m'arrêterais là.

C'est un livre qui ne m'a pas déplu, mais qui ne m'a pas plu. En fait, je ne sais pas s'il m'a plu ou pas. C'est là chose extraordinaire pour moi. Mais je ne pense pas que j'en garderai un souvenir impérissable, enfin l'avenir me le dira.
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Le coeur de la jeune Chinoise

Eric Marty propose un livre assez déroutant. D'abord dans l'écriture. En effet on passe d'un personnage à un autre, du rêve à la réalité, de l'évocation du passé au présent sans balise. Pas de Guillemets, d'italiques, de sauts de lignes, de changements de chapitres. Ce n'est pas plus gênant que cela lorsqu'on lit l'esprit alerte, frais, vif, mais après une longue journée dans la chaleur de sa couette et le brouillard de la fatigue...

Du coup j'ai relégué ce livre aux débuts de matinée, après le café quand je suis au mieux de mes capacités.



J'ai été aussi déstabilisée par tous les discours philosophico-psycho-politique. Là c'est carrément un problème d'intérêt pour la chose (philosophique, politique ou psychologique). Je n'avais pas la bave aux lèvres mais il m'a fallu relire des passages (en vain d'ailleurs).

On pourrait considérer ces deux choses comme de la maladresse de la part de l'auteur mais je pense qu'il a adopté ce style délibérement pour rajouter à la confusion, à l'absurde.



Tout le monde semble courir dans ce roman. Ils ne savent pas trop après quoi, après qui, ils fuient, poursuivent, traquent mais sans véritables visions. Quand au groupuscule de gauche, ses dirigeants assomment avec leurs discours creux auxquels je ne suis pas sure qu'ils croient eux-même.



On oublie presque la trame de l'histoire: Politzer se réveille près de sa maîtresse , morte égorgée. Il va fuir la police, qui le pourchasse parce qu'il est un terroriste ET un meurtrier.



Son groupe monte des opérations de plus en plus sanglantes et de plus en plus ridicules (l'idéologie autour de l'action 24 est incroyable tellement l'argumentaire est stupide!).

A tout ceci se mêle une jeune chinoise, prostituée, objet de désir pour un flic légèrement pourri. C'est une jeune fille un peu naïve qui va accueillir Politzer et l'aider sur la base d'un horoscope. Un présentateur de télévision dénuée de moral et père d'une jeune fille anorexique et angoissée. Un psychiatre imbu de lui-même et consultant pour la police. Un dirigeant terroriste, bon père de famille mais à l'idéologie extrême.

Tout ce petit monde est lié du manière ou d'une autre.



Le plus étrange pour ce livre classé thriller c'est que l'on ne cherche pas l'identité du coupable, ou le mobile ou la prochaine victime. Comme les personnages on courre jusqu'à la dernière page pour savoir si tout ceci a une raison, une justification.

Et à la dernière page on a la réponse que l'on connaît depuis le début, que l'on connaît avant même d'ouvrir le livre.
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Le coeur de la jeune Chinoise

Le coeur de la Jeune chinoise nous raconte l'histoire d'un groupuscule terroriste d'extrême gauche pisté par la brigade policière de Gonzales-Roux. Au milieu de ces deux camps, Lu une jeune prostituée chinoise...

Je n'essaierai pas de résumer ce roman bien trop complexe pour que cela soit possible.



Beaucoup de points très positifs : l'évident travail de l'auteur sur l'activisme politique, la richesse de son roman, il y a aussi l'écriture sèche et saccadée avec de nombreuses énumérations et des phrases courtes qui donnent un rythme particulier au livre, une sensation de fuite en avant perdue d'avance. Il y a cette désespérance du combat que l'on sent derrière chaque page, il y a la violence si bien racontée.

Mais pourtant j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages, j'ai aussi eu du mal à faire dans ma tête le film de cette histoire à m'y attacher et par conséquent c'est laborieusement que je suis arrivée jusqu'à la fin.

Pourtant et étrangement je conseille cette lecture, il y a ici la trame d'un grand roman, certaines scènes sont exceptionnelles et l'écriture est parfois d'une grande beauté.

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La fille

"La fille", c'est Claudie.



Elle ne s'appelle pas Claudie, d'ailleurs -nous ne connaîtrons pas son véritable prénom-, mais c'est ainsi que toute le monde la surnomme.

Ou le surnomme, car Claudie est en réalité un garçon. Un garçon pas comme les autres, à la blondeur soyeuse et délicate, à la voix fluette, au corps gracieux.



Elle habite Landon, bourgade peuplée de villageois taiseux et brutaux, aux physiques au mieux banals, au pire repoussants. On le devine, ce village, dans le Nord, mais il pourrait tout aussi bien être au bout du monde, tant on a le sentiment que ses habitants y vivent en autarcie. De même, il semble hors du temps, figé dans une grisaille indéfinie, constituant un univers étriqué, où même la misère est sans flamboyance, où les rues sont vides même les soirs de printemps.



Claudie y fait figure de poupée exotique, sa douceur et sa joliesse sont comme une porte ouverte sur un ailleurs... Elle exerce une sorte de fascination, et, sans doute, réveille aussi chez certains les pires instincts.



Vous avez remarqué ? Moi aussi je dis "elle"... probablement parce que dans cette histoire, la voix de Claudie, on ne l'entend jamais. Tout comme on ne sait ni ce qu'elle ressent, ni ce qu'elle fait lorsqu'elle se retrouve, le soir, chez ses parents aimants, loin du regard des autres.



C'est le narrateur qui nous parle d'elle, qui nous guide tout au long du récit. Jeune adulte, il revient à Landon après une absence de dix ans. Ses motivations ne sont pas très claires, tout ce qu'on sait c'est qu'il recherche Claudie, et qu'il la trouve, en train de faire un numéro de strip-tease improvisé, sur une table du bistrot du village, qui, à l'occasion, fait aussi office de bordel...



Il revient par flash-backs sur les quelques mois qu'enfant, il a passé avec Claudie qui l'avait tacitement choisi comme unique ami. Les deux écoliers ont vécu une chaste idylle enfantine, le narrateur n'échappant pas au charme éthérée de "la fille". Il met en place, doucement, tous les éléments qui aboutiront au drame les impliquant, tous les deux, ainsi que le terne M. Schwul, cet instituteur à la personnalité floue et au physique visqueux, qui n'est pas sans évoquer le Monsieur Ouine de Bernanos...



Ces souvenirs sont évoqués avec justesse, les sensations de l'enfance sont convoquées sans puérilité inutile, avec une poésie qui les rend très prégnantes (je pense notamment à un très beau passage sur l'odeur de l'eau qui bout...).



Disposant de son seul regard comme point de vue, le lecteur perçoit Claudie avec une sorte de distance qui la rend comme impalpable, nimbée d'une aura presque irréelle et étrange.



A l'image de son héroïne, "La fille" est un roman troublant et glauque, fait de touches d'ombres, de sous-entendus, dans lequel la perversion et la violence rodent sournoisement.



Une belle réussite.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Le coeur de la jeune Chinoise

Très rare chez moi mais je n'ai pas pu lire ce bouquin qui m'a barbée dès le début, j'ai persisté afin de voir si la suite m'emballerait davantage mais non!

Une histoire de groupes terroristes issus du P.C.R, dans Paris, les pseudos, les personnages, les femmes, tout est "zarbi" là-dedans, faut sûrement s'accrocher plus que moi pour aller jusqu'au bout, mais lire doit être un plaisir et non une contrainte non?
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La fille

JEAN-MARIE PLANES Sud Ouest 22 mars 2015



Dans le village de Landon, à l’extrême nord de la France... » Peut-être le personnage principal de « La Fille », roman d’Éric Marty, apparaît-il dès l’incipit. Ne cherchez pas Landon sur une carte. C’est un village littéraire. Situé aux frontières (certains noms, Mme Wicke, M.Schwul sonnent fla- mand, sonnent allemand), avec sa ville haute, sa ville basse, l’église qui eut son suisse, le lavoir aux anciens battements, avec sa rue Longue, sa rue au xClous, sa place des Aires,son allée des Noyers, et même (qui peut s’y aventurer ?) sa ruelle aux Serpents, labyrinthe plein d’« angles morts, de coins aveugles » propices aux commérages ou aux baisers, avec son auberge isolée, moitié bistrot, moitié bordel, avec son silence quipèse,qui étouffe, Landon appartient au XIXe siècle. À la tradition na- turaliste. « La crasse tapisse désormais ma bouche.Elle est devenue en un instant un‘‘goût’’dont on veut se débarrasser.Elle est devenue le goût de Landon. Le goût de tous les Landonnais.» Sommes-nous chez Zola? «Le lundi soir est jour de lune,dit-on dans les chaumières. » Sommes-

nous chez Maupassant ?

Minable curée

À Landon, lieu vague, en un temps incertain(il arrive au narrateur de se demander, quand l’instituteur évoque la guerre,s’il parle de 70,de 14 ou de 40),deux écoliers sont amis.Voire plus, puisque ce narrateur dont on sait peu de chose–des parents pâles et fades, une délicieuse et exotique voisine, MmeKhalifa – subit, depuis l’enfance, la fascination exercée par Claudie. Ce prénom de fille n’est pas celui de l’état civil. Mais Claudie est- elle une fille, égarée pour sa perte parmi les garçons ? Tout au long du récit, parlant de Claudie, le narrateur-copain use du pronom «il»,ou, indifféremment du pronom «elle». Les longs cheveux blonds, les yeux

« L’écrivain, avec beaucoup de subtilité, et une aimable rouerie, joue sur l’incertitude des villageois, du narrateur, du lecteur »

clairs (Rimbaud parlait du «bleu regard qui ment »), la peau satinée, la voix, la voix surtout, «tout en arabesques, en dentelle, faite de petits brillants»,sont féminins.Les mines aussi, les peurs, le mutisme accoutu- mé, la grâce. Oui, vite, dans les rues, à l’école, Claudie est « la fille ». L’est- elle vraiment ?

L’écrivain, avec beaucoup de subtilité, et une aimable rouerie, joue sur l’incertitude des condisciples, des villageois, du narrateur, du lec-

teur : « Tu t’intéresses à moi parce que tu crois, comme les autres, que j’ai une fente en bas du ventre.» Mais non, ça n’est pas cela qui nous inté- resse. Ce récit ne saurait être(ou pas simplement) une série de variations émouvantes, effrayantes, sur les genres, leurs ambiguïtés, leur transla- tion. C’est une histoire qui fait peur. Une fiction où s’entrelacent les dé- sirs, les faiblesses et les lâchetés ordinaires,la haine quotidienne.Une

histoire de poursuite idiote,de minable curée, d’agneau immolé.

Depuis toujours, à Landon, Claudie est «la proie,le joli gibier».Le fut-elle réellement pour M. Schwul, ce professeur si étrange,mythomane que vénère le narrateur ? Innocent ou coupable, M.Schwul ira rejoindre la troupe des victimes du Mal.

Maupassant?Tout ce drame s’inscrit dans l’héritage, terrible et glorieux, de Bernanos. Claudie c’est Mouchette, aussi attendrissante, plus perverse. C’est une Mouchette qui serait, comme le narrateur, comme les Landonnais, comme les frères Palacio,ces pitoyables Dalton de l’infamie, au service des forces mauvaises. Celles-là qui œuvrent dans ce monde pour perdre l’enfance, les frais émois du trouble amoureux, les hésitations sur l’identité sexuelle, la confiance dans les vieux maîtres, pour achever les villages à demi morts, leur église, leurs ruelles, leur lavoir.

Abondant en scènes fortes (le strip-tease de Claudie, enlevant les gants de Rita Hayworth,l’assassinat de M.Schwul,le bain de Mme Khalifa), «LaFille» ne cesse de surprendre,de déranger.Souvent ce roman éblouit.





À LIRE

★★★★ « La Fille », d’Éric Marty, éd. du Seuil, 298 p., 19 €.

Et aussi,

« Les Palmiers sauvages », éd. Con- fluences, 80 p., 10 €.
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Le coeur de la jeune Chinoise

Réflexion sur l'aspect tragique du militantisme et sur le désir de mort, doublé d'un hommage au Nada de Jean-Patrick Manchette [...] et au jazz de Charles Mingus.
Lien : http://www.lemonde.fr/livres..
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Le coeur de la jeune Chinoise

Lectrice boulimique de "thriller" politique, généralement peu intéressée par les auteurs français, je me suis d'emblée laissée emporter par la fuite de Politzer et celle de la jeune chinoise. Le Paris de leurs péripéties tumultueuses est tout à fait inhabituel. J'en veux pour preuve la description du quartier chinois, et tout particulièrement, celle de l'immeuble extravagant et réel qui abrite une partie de la communauté (Je me promets d'aller le visiter bientôt...) C'est là une des grandes réussites du roman que d'exposer avec finesse, précision réaliste, et poésie "amoureuse" des lieux pour le moins improbables. L'autre réussite tient à mon sens à l'inscription fragmentaire du "discours" idéologique de la Ligne rouge, cette organisation d'extrême-gauche qui sème la violence dans la ville. Un roman pour le moins déroutant - et palpitant, puisque c'est aussi une affaire de coeur. Le lecteur, à son tour enquêteur, se plaira à identifier sous les masques et les personnages quelques figures actives (ou désactivées, aujourd'hui) de notre société du spectacle.
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Pourquoi le XXème siècle a t-il pris Sade au séri..

lu vite à la fnac
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Détective consultant britannique, je suis connu pour mon sens aigu de l'observation. J'acquiers la célébrité grâce à mon collègue et ami, le docteur Watson, qui aime relater mes exploits dans le Strand Magazine. Quand je n'enquête pas pour arrêter de redoutables criminels comme Moriarty ou le Colonel Sebastian Moran, j'aime jouer du violon ou écrire de « passionnantes » monographies sur les cendres de cigarettes. Je suis... (Indice : c'est presque moi !)

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