Un policier quelque peu inhabituel, mais c’est sans doute davantage lié à son contexte très espagnol que la lectrice francophone que je suis connaît en fait très peu, étant beaucoup plus habituée aux polars français, belges aussi bien sûr, ou nord-américains, qu’à une histoire particulièrement exceptionnelle (quoique…) – qui, de plus, est assez sombre ! Il faut dire : je lis beaucoup de policiers (et thrillers), si bien que je deviens difficile… et j’ai lu récemment quelques livres qui sont devenus des coups de cœur absolus du genre, du coup j’étais d’autant plus attentive ! A noter que j’avais remarqué ce livre depuis plusieurs mois en libraire, mais me suis tout à coup décidé à le prendre à cause de deux challenges !
L’autrice nous convie donc dans la ville basque de Vitoria, et oublie d’emblée (ou est-ce un choix éditorial ?) de préciser que le nom complet est Vitoria-Gasteiz – le premier en espagnol, le second en basque, si bien que les deux sont accolés pour donner son nom « officiel » à la ville. En outre, c’est apparemment cette ville qui est la Ville Blanche… mais malgré le fait qu’on se promène dans ses rues et alentours, au fil des meurtres et des errances du personnage principal, cela n’est mentionné à aucun moment, ni pourquoi cette ville porte un tel nom. À part le culte à la Vierge Blanche qui est assez central dans ce livre, le lecteur n’a guère d’indices pour faire le lien entre le lieu et son nom. Certes, nous ne sommes pas dans un guide touristique, mais quand on donne autant d’importance à des lieux et que le titre s’y rapporte, pourquoi ne pas l’expliciter un peu plus clairement ? Peut-être est-ce transcendant pour les lecteurs espagnols ? mais une fois encore : pas pour moi. Cela dit, comme mentionné plus haut : je ne pense pas que ce soit le fait de l’autrice qui, en toute logique, s’adresse avant tout à un public compatriote ; mais la traductrice et/ou l’éditeur avaient peut-être un rôle à jouer – que ce soit sous forme de notes de bas de page, certes vite barbantes, ou une « note du traducteur » plus complète en début ou fin de volume ? ? On a bien toute une page consacrée à l’eguzkilore !
N.B. j’ai lu plusieurs critiques qui disent qu’on découvre le passé de la ville et qu’on apprend « plein de choses » sur Vitoria et la culture basque. Ah bon, vraiment ? Moi je n’ai rien appris de particulier sur le passé de la ville, seulement une histoire particulière d’un couple bien précis, mais qui aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. On explore aussi les environs de la ville, certaines réalités campagnardes d’antan, mais qui, là aussi, auraient pu se passer dans nos campagnes et, à mes yeux, n’apportent pas d’éclairage pertinent sur l’histoire de ce pays basque en particulier ! Le plus marquant est la référence constante aux fêtes de la Virgen Blanca… mais dont on parle comme d’un fait connu (ou qu’on peut consulter sur Wikipedia), sans que ce soit expliqué de façon « didactique »… Oui, un certain nombre de faits locaux sont exposés, c’est même là toute l’ambiance basco-espagnole dont je parlais, c’est indéniable ; mais pour moi ce n’est pas ça, expliquer ! – et, dès lors, comment peut-on « apprendre » ? Clairement, l’autrice s’adresse à un public qui connaît, ou qui a une culture suffisamment proche pour appréhender certaines subtilités sans avoir l’impression de creuser un puits de questions auxquelles il n’y a pas vraiment de réponses… ou en tout cas je n’ai pas réussi à me les approprier à travers ce livre.
Je disais donc, on l’a peut-être compris : j’ai eu du mal à bien entrer dans ce livre, et cela a duré une bonne première moitié. Comme mentionné ci-dessus : c’est l’ambiance très locale, basco-espagnole qui m’a un peu gênée.
J’oublie de préciser, j’aurais peut-être dû le dire d’emblée : j’ai appris l’espagnol, et je le parle même plutôt convenablement, après plusieurs voyages en Amérique latine notamment. Mais ici c’est différent, rien que les noms des protagonistes sont surprenants et il faut un temps d’adaptation pour être certain qu’on a bien compris qui est qui. Pour citer un exemple : le personnage principal s’appelle Unai, mais on l’appelle le plus souvent par son surnom « Kraken » (qui lui a été collé à l’adolescence à cause d’une croissance aléatoire ; surnom inspiré du monstre légendaire, qui n’a rien de basque ni d’espagnol soit dit en passant), ou bien encore ses supérieurs l’appellent par son nom « Ayala »… sauf que son nom complet López de Ayala, alors ?! tout cela, une fois encore, est très espagnol, et déconcertant quand on y est confronté à chaque page. Autre exemple : on nous présente d’emblée sa coéquipière comme « Esti », ok c’est inhabituel mais ça passe, pourquoi pas après tout. Mais quand tout à coup elle devient Estíbaliz, d’abord je me suis demandé si on parlait bien de la même, eh bien oui, alors est-ce son prénom complet ou son nom ? et en fait c’est bien son prénom… mais à part très localement dans ce pays basque profond et si peu connu du lecteur francophone lambda, qui connaît un tel prénom ? (et bien sûr, çà et là on lui donne aussi son nom de famille « coupé », quand Ruiz de Gauna est limité à Gauna)
Au-delà de cette adaptation nécessaire à une culture certes intéressante, mais trop locale pour être appréhendée avec aisance, ce sont les dialogues qui m’ont posé problème. Car, pour moi, la plupart ne sont pas des dialogues… Les divers protagonistes donnent leur avis, leurs idées, partagent avec les autres, à coup de longues tirades en forme de monologues, sans aucune interruption. On n’entend pas les toussotements de leurs interlocuteurs, les pieds des chaises qui raclent le sol, le bruit de leurs pas rythmés sur le sol (lors de leur footing matinal) ou du verre qu’on pose un peu trop brusquement sur la table d’un bar ; on ne voit pas les interlocuteurs acquiescer ou au contraire lever les yeux au ciel. Non, c’est une suite de (longs) monologues que personne ne tiendrait jamais dans une conversation orale normale ! Pire : on a même parfois des incursions dans un vocabulaire recherché, intéressant certes, mais qui ajoute à l’absence de naturel. Or, il ne suffit pas de mettre un tiret devant le paragraphe d’un cours magistral pour en faire un dialogue !… Il faut que ce dialogue vive, qu’on ait l’impression de l’entendre comme si c’étaient des voisins dont on surprend la conversation : il aurait fallu alléger le discours, et ajouter quelques tirets pour glisser les interventions des interlocuteurs, et le tout serait devenu beaucoup plus digeste et agréable.
Et pour terminer sur ce départ raté : c’est aussi dans cette première moitié du livre que l’autrice insère l’histoire d’un médecin dans les années 1970, sans aucun lien apparent, de quelque façon que ce soit, avec les événements en cours en 2016. Ces chapitres apparaissent à un rythme espacé mais régulier. Au premier, on est intrigué ; au deuxième, encore un peu plus ; au troisième, c’est l’irritation qui apparaît : va-t-elle enfin nous donner une clé, aussi petite soit-elle, au lieu de nous mener en bateau de cette façon qui finirait par me faire décrocher ? car le suspense, c’est bien, mais un suspense un peu trop plat et sans aucun indice, c’est surtout lassant.
Et puis, passé les 50% affichés sur ma liseuse, enfin ! devrais-je dire, je ne sais pas si l’autrice a joué avec ses effets, ou si elle s’est elle-même laissé aller à écrire de façon plus spontanée et dès lors plus entraînante, mais tout à coup l’intrigue s’accélère, l’action s’emballe, des liens se font dans la tête du lecteur, avec juste assez de ruse de la part de l’autrice pour qu’aucune réponse ne soit jamais donnée. Au contraire : chaque nouvelle « clé » (car enfin de vrais indices sont semés et semblent prendre sens) ouvrent une porte qui va nous conduire à une nouvelle pièce apparemment vide où tout est à recommencer. L’autrice nous balade, au sens propre comme au sens figuré, et on se prend au jeu. Tour à tour on suit la police avec impatience quand on comprend qu’on est sur la même longueur d’ondes qu’eux (mais on aboutit à l’une ou l’autre impasse presque systématiquement), parfois on a envie de les secouer car on a compris certaines choses avant eux, ou au contraire on ne voit pas trop vers où ils vont mais on les suit sans hésiter. L’intrigue est devenue haletante, un vrai échange avec le lecteur !
Pour tout dire : même les dialogues, tellement lourds au début, semblent désormais naturels… ou alors, ce livre est-il tellement devenu un page-turner dans sa deuxième moitié, qu’on ne voit plus les défauts tellement apparents au début ?
En tout cas, on va de rebondissement en révélation, de retournement de situation en surprise. On met les indices bout à bout et on croit comprendre et puis non… donc notre attention ne cesse d’être entretenue. Ça ne s’arrête plus, c’est trépidant, et on s’attache plus que jamais aux pas d’Unai qui deviendrait presque, vraiment sympathique.
L’écriture, à mes yeux, est donc assez inégale. Intéressante mais trop recherchée et peu naturelle dans la première moitié, et puis tout à coup plus qu’emballante dans la seconde moitié – et tant mieux car ainsi on ferme le livre sur une note très positive ; mais j’aurais préféré une plus grande fluidité dès le début, et ainsi une plus belle harmonie sur l’ensemble !
Quant aux personnages, pour moi le plus attachant a été… le tueur ! avant même qu’on sache exactement qui c’est, mais quand on comprend ses motivations, et malgré tout le mal qu’il a fait, il est probablement celui qui touche le plus profondément. En revanche, parmi les « bons », l’autrice n’a pas réussi à être convaincante dans la dimension dramatique qu’elle semble vouloir leur donner. Elle nous raconte l’histoire d’Unai dans un de ces dialogues qui n’en est pas un, une histoire (triste, évidemment) dans laquelle il y a bien une certaine émotion… mais qui ne parvient pas tout à fait à toucher, sans doute à cause de son ton trop magistral, si bien qu’on en ressort davantage avec un sentiment de frustration étonnée qu’une réelle compassion. De même, l’histoire d’amour naissante d’Unai semble prometteuse. Elle est à peine évoquée, mais on la « sent », c’est presque beau dans une certaine langueur… et puis quand tout à coup elle se concrétise, c’est presque brutal et on ne comprend plus où sont les vrais sentiments – en tout cas, pour le coup, je n’ai pas réussi à suivre le cheminement de notre anti-héros, dans cette histoire qui occupe quand même une place importante…
Enfin, c’est plutôt un certain nombre de personnages secondaires qui, à cause de leur côté un peu abrupt, dans le sens où ils sont moins « travaillés » que la vie présentée d’Unai, et dès lors plus crédibles, sont émouvants à leur façon aux yeux du lecteur : mention pour les deux hackers avec qui la police va « travailler », ou le grand-père d’Unai et sa sagesse populaire liée aussi à son grand âge.
Ainsi donc, je ne peux pas dire que ce livre ne m’ait pas plu, au contraire, je suis même assez curieuse de lire le 2e tome (qui date de 2017 dans sa version espagnole !). Mais l’ambiance très locale déconcertante (et que ni le traducteur, ni l’éditeur n’ont veillé à éclairer davantage, de quelque façon que ce soit) et l’écriture assez inégale (lente et style « cours magistral » dans la première moitié, puis heureusement haletante ensuite) laisse un sentiment malgré tout mitigé, de même que l’attachement aux personnages est aléatoire : on aime le tueur ou certains personnages secondaires très typés, tandis que les personnages principaux ne parviennent pas tout à fait à toucher. J’espère être davantage (dans le sens « plus positivement) surprise avec le 2e tome… que, non, je ne tenterai pas de lire en espagnol (même si j’ai zyeuté le début sur ma Kindle), on attendra sagement sa sortie en français !
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