Tant que la menace est floue, qu'elle vient de l'éclatement d'un obus qu'on ne voit pas arriver, d'une rafale de mitrailleuse ou d'une fusillade inattendue, qui peuvent ou non frapper, le courage est encore facile ; mais si la mort est là, tapie, vigilante, prête à fondre et à empoigner, s'il faut aller au devant d'elle en la regardant au fond des yeux, alors les cheveux se dressent, la gorge s'étrangle, les yeux se voilent,les jambes ploient, les veines se vident, toutes les fibres tremblent, la vie entière s'enfuit ; alors le courage consiste en un effort surhumain pour vaincre sa peur ; alors la volonté doit se roidir, se tendre comme une corde, comme la corde du boucher qui traîne sa victime à l'abattoir.

Au début de l'hiver, le retour du prince, en compagnie de son oncle le duc, de sa femme et de sa fille suscita un regain de curiosité. L'impatience était grande de voir de ses propres yeux cette jeune princesse dont on portait aux nues la beauté. Il fallut bien convenir, malgré toute la méfiance avec laquelle on accueillait les hyperboles anticipées, que la réalité dépassait toute imagination. La beauté blanche et blonde, délicate et vaporeuse de la jeune fille était sans précédent chez les vice-rois, car cette vieille race espagnole, en se mêlant à des éléments insulaires mi-grecs, mi-sarrasins, avait peu à peu perdu sa pureté et sa noblesse. Quelle différence existait-il, par exemple, entre un dom Blasco et n'importe quel frocard issu de travailleurs de la glèbe, ou entre donna Ferdinanda et une vieille fileuse quelconque ? Pourtant, à la génération précédente, le comte Raimondo faisait exception à la règle et voici que Teresa semblait venir directement d'une vieille cellule intacte du sang castillan le plus pur. Grande, les épaules étroites, une taille qu'elle prenait presque dans ses mains et dont la sveltesse accusait la courbe des hanches, Teresa avait une élégance naturelle, un port noble et charmant qui perçait même sous la gaucherie de la collégienne engoncée si longtemps dans un uniforme disgracieux.
"Plus ils sont riches, ces animaux-là, plus ils sont pingres."
Des légendes couraient sur lui et ses soldats de la 5è compagnie : la découverte inattendue du disparu, la réapparition du mort, sa protection mystérieuse par la neige, une récupération laborieuse au milieu des balles, le récit passé de bouche en bouche avait produit une impression profonde.Le talus derrière le baraquement était du matin au soir l'objet d'un pèlerinage. Tous les combattants avaient intériorisé le spectacle de ces boucheries, la vision de tous ses morts aimés et regrettés, mais aucun ne nourrissait autant la réflexion que celui-ci. Les plus simples d'esprit restaient là, comme s'ils attendaient autre chose, miracle plus grand, peut-être - qui sais ? - une résurrection.