Cher monsieur Savater,
J’ai beaucoup aimé votre livre Sur l’art de vivre.
Je n’aurai pas la mesquinerie d’insister sur la légère erreur que vous avez commise page 250 en rebaptisant William cet immense acteur qu’était Richard Widmark (1914-2008), car c’est bien lui que vous vouliez évoquer, n’est-ce pas ?
J’ai en revanche été peiné de relever sous votre plume, en page 261 de votre ouvrage, ce qui me semble être une fâcheuse distorsion chronologique.
Vous relatez une anecdote – à l’authenticité douteuse mais jolie – mettant en scène un « jeune » Tourgueniev et Victor Hugo « déjà très vieux ». Voici le dialogue :
Hugo:
- Personne n’égale Goethe. Oh ! Ce Faust incomparable ! Et Les Brigands !
Tourgueniev, timide :
- Maître, Les Brigands est une œuvre de Schiller…
Hugo, superbe :
- Jeune homme, je n’ai pas besoin de lire Goethe pour savoir qu’il fut un génie.
Si j’ai insisté sur le « jeune homme » dont le créateur des Misérables est censé avoir gratifié son confrère russe, c’est qu’il est improbable qu’il se soit jamais adressé à lui de la sorte. Pourtant ils furent bel et bien contemporains et il n’est pas douteux qu’ils se rencontrèrent. Mais l’état civil, cher monsieur Savater, proteste contre votre vision d’un jeune Tourgueniev rendant visite à un Victor Hugo quasi-croulant.
En effet, né en 1802 et mort à 83 ans en 1885, Hugo s’offrit même le luxe de survivre à Tourgueniev qui était pourtant son cadet de 16 ans et disparut en 1883 peu avant ses 65 ans.
Un Victor Hugo « déjà très vieux » ne pouvait donc s’adresser qu’à un Tourgueniev n’étant plus un bouquet de printemps lui-même. Lui donner du « jeune homme » ne devrait alors être considéré que comme une taquinerie.
Or tout le monde sait très bien, et vous-même cher monsieur Savater ne l’ignorez sans doute pas, qu’à quatre-vingts ans passés Victor Hugo préférait taquiner les petites bonnes plutôt que les vieux messieurs russes.
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