Frances Trollope

En vérité, elle est tout l’opposé, elle a des idées très nobles et généreuses sur l’argent et sur l’emploi que doit en faire une veuve qui tient toute sa fortune de son mari, au cas où elle ne se remarierait pas. J’espère vraiment qu’on ne sera pas assez méchant pour dire qu’elle est avare, parce qu’elle a choisi de ne pas dépenser la totalité de son argent, ce serait abominable, car ses motifs sont des plus nobles !

Cette dame, cependant, à la vue de sa remarquable belle-sœur, accomplit très honorablement sa part du contrat plus tôt conclu avec ses filles. Elle sourit fort gracieusement aux exclamations de ravissement que poussait son affectionnée parente à sa vue, sans rien laisser paraître de ses sentiments, à l’exception de la hâte qu’elle mit à se retirer dans le coin le plus éloigné de la pièce, où elle se cacha presque derrière un pilier.

Eh bien, une fois dans ma vie, je me permettrai une folie. Enfilez vite votre autre robe, votre chapeau, votre châle et allons à la boutique du coin. Je n’avais pas l’intention de sortir aujourd’hui, il fait un vent à vous injecter les yeux de sang, mais la boutique est tout près. Seulement, Agnès, si vous faites un beau mariage, j’aime à croire que vous n’oublierez jamais ce que vous me devez !

Plusieurs circonstances favorables vinrent aplanir les difficultés redoutées par Agnès. En premier lieu, sa robe, pour laquelle, si elle avait pu parler franchement, elle n’avait pas le plus léger penchant, avait pris, grâce à son imagination pleine de goût, une tournure qui l’avait surprise elle-même. Même si en y travaillant elle avait eu un idéal crêpe noir en tête, elle avait peu d’espoir de réussir à lui donner forme.

Une jeune nymphe, quelle expression haïssable ! Une créature si élégante, si délicate. Je vous jure, colonel Hubert, que vous baissez considérablement dans mon estime de ne pas avoir la finesse de percevoir qu’il doit y avoir eu, en plus de ce lien probablement par alliance ou demi-sang, des circonstances particulières qui ont conduit à une association si incongrue.

Vous êtes un vieux célibataire, odieux et rabougri, et je vous hais de tout mon cœur et de toute mon âme ! s’écria le jeune homme. Sur mon honneur, je frémis à l’idée que, dans une dizaine d’années, je puisse être aussi dur, froid et insensible que vous ! Voyons, soyez honnête, pouvez-vous vous souvenir de ce que vous auriez éprouvé à la vue de l’ange en deuil, auquel vous venez de m’arracher, quand vous aviez vingt-deux ans ?

. Je voudrais bien, mon enfant, vous voir renoncer à porter ce voile épais sur la figure. Il est très beau, je le sais bien, et donne certainement à votre deuil une tournure fort élégante, mais on ne peut voir votre visage que sous une certaine lumière.

Elle savait qu’Agnès était plus jeune qu’elle, et peut-être même plus belle, mais, et cela ne faisait que confirmer son opinion, pour tourner la tête à un jeune homme, une physionomie animée, des manières vives réussissaient mieux que toute la beauté du monde.

Il n’était jamais venu à l’idée d’Agnès qu’elle pût avoir quoi que ce fût à dire dans l’affaire et, une fois encore, elle apparut dans la partie la plus animée de Clifton, telle une rose trémière aux côtés d’une bella donna.

Vous êtes certainement très jolie, mais vous manquez de savoir-faire dans la façon de vous arranger. Vous n’avez pas la désinvolture et la tournure que j’avais à votre âge, Agnès, et, en vérité, je ne vois pas Agnès, et, je ne vois pas comment y remédier. Je soupçonne votre tante d’attirer encore plus de regards sur elle que vous avec votre jeunesse. Quel dommage ! Mais j’ai toujours eu la réputation de savoir magnifiquement m’habiller.

Quelle drôle de fille vous êtes ! Vous semblez ne pas vous intéresser à ce que vous mangez. Je suis un peu plus gourmande, je sais ce qui est bon et je l’apprécie, c’est la faute de ce cher Barnaby. Si jamais vous avez la chance, Agnès, d’être l’idole d’un époux, comme je l’étais, vous apprendrez à aimer la bonne nourriture. C’est une chose qui grandit en même temps que nous, je crois. Mais je dois dire que, vu le trou dans lequel vous a mise tante Betsy, il y a peu de chance que vous abusiez sur ce point. Jerningham, donnez-moi cette goutte de bière, maintenant allez manger le plus vite possible et priez la petite Ketty de vous montrer le chemin pour aller chez Mrs Duval.

Quel plaisir. J’ai quelque chose à vous montrer, Agnès, une si belle écharpe, de la vraie blonde de France… C’est horriblement cher, j’en ai peur, mais tout le monde s’accorde à dire que la respectabilité d’une jeune fille dépend entièrement du genre de son chaperon. Il est bien certain que je ne voudrais pas permettre à l’enfant de ma pauvre sœur de venir avec moi si j’étais pauvrement mise, non, j’aimerais mieux m’enfuir ! Je m’étonne que Mrs Duval ne m’envoie pas mes affaires. Peut-être attend-elle que je lui envoie mon turban, elle va y ajuster mes plumes. C’est une grande faveur, je vous assure, elle s’est montrée si déférente envers Elizabeth Peters. Si j’avais su quelle sorte de gens étaient les Peters, j’aurais prié Barnaby de laisser son affaire quelque temps à Mr Dobbs pour m’emmener les voir.

Il était impossible également de trouver plus fascinant que l’apparence générale du major Allen et, si une enquête plus approfondie prouvait qu’il était, comme il en avait l’apparence, un homme riche et à la mode, le monde entier ne pouvait offrir à la veuve un adorateur qu’elle désirât davantage captiver.

Ce visage et cette attitude, qui, à eux seuls, suffisaient à attirer l’attention, étaient mis plus en évidence encore par sa toilette, qui, tout en étant, comme elle, réellement belle, devenait déplaisante par son ostentation. Un chapeau en satin brillant, couleur lavande, extraordinairement grand et jeté hardiment en arrière, laissait s’extraire une quantité de dentelles parsemées à foison de fleurs de toutes les couleurs, tandis qu’une immense plume, dite « saule pleureur », se balançait à chaque mouvement de tête et venait à l’occasion se reposer sur son épaule.

De nombreux regards, comme elle le savait parfaitement, étaient fixés sur elle, en raison de son apparence plutôt frappante. Elle était bien plus grande que la moyenne et imposante, quoique sans embonpoint, sa silhouette était celle de ce que bien des gens, comme Mr Peters, auraient qualifiée de « femme superbe » et que beaucoup d’autres, comme Mrs Peters, auraient qualifiée de grosse, disgracieuse et commune.

Bien des gens, s’ils se trouvaient à la tête d’une fortune comme la mienne, dépenseraient trois fois plus que moi, mais je me dis sans cesse : ce pauvre cher Barnaby, tout en m’aimant plus que tout au monde, aimait sa propre sœur et ses enfants tendrement, donc puisqu’il m’a tout laissé, et il a gagné une bonne fortune, je vous assure, je me tiens pour engagée en dépensant beaucoup pour ma propre nièce et à en épargner beaucoup pour ses nièces à lui.

Si admirer la beauté de cette douce jeune fille avec l’enthousiasme par lequel d’autres contemplent un tableau de choix est une faute de goût, je plaide coupable, car c’est avec difficulté que je la quitte des yeux. En ce qui concerne mon orgueil, maman, si jamais ce sentiment empoisonnait mon âme, au point de me faire fuir ce qui est bon, de peur que cela me mette en contact avec ce qui est de mauvais goût, soyez reconnaissante qu’Agnès ait croisé mon chemin et m’ait rendue capable de déceler mes erreurs.

Mon cœur a été fasciné, ou plutôt conquis, par la plus remarquable combinaison inconsciente de la beauté, de la grâce, des talents et de la gentillesse, ce que je n’avais jamais rencontré. Au lieu d’être trompé, mon jugement est en éveil devant un sujet si délicat. Jamais je n’avais ressenti la différence entre un esprit humain et un autre, avant d’écouter Agnès répondre innocemment à mes questions sur sa vie passée. C’était comme ouvrir les pages de quelque livre sacré et y trouver ce que la vérité, l’innocence et un tempérament doux peuvent faire de nous.

En vérité, il aurait été sot que nous gâchions le plaisir d’être aimables envers Agnès et que nous nous comportions mal avec la veuve de l’oncle Barnaby simplement parce que vous n’aimez pas les femmes grandes et massives aux yeux noirs, qui mettent du rouge et parlent beau. Avouez, en toute honnêteté, que vous êtes trop bien établie à Clifton pour craindre de déchoir en étant vue en compagnie de Mrs Barnaby, même sans l’incomparable élégance de sa nièce pour la racheter.

Alors que tout le monde disait que votre pauvre mère aurait pu faire fortune en chantant. Mais vous ne vous intéressez qu’aux livres, aux livres, aux livres, pour quel profit, j’aimerais le savoir.