- Il y a des choses que je suis incapable de faire, même si je le veux.
- Quoi, par exemple ?
- Il y a tant de choses avec lesquelles j’ai énormément de difficultés. Je ne peux pas me rendre dans un lieu inconnu sans plan. Je me trouble quand on me demande de faire plus d’une chose à la fois. Les gens emploient des termes que je ne comprends pas ou on des expressions du visage impossibles à décrypter. Ils attendent de moi des réponses que je ne peux leur fournir.
- Peut-être que si tu ne peux faire tout cela, ce n’est pas parce que tu n’en as pas les capacités, mais parce que tu ne t’es jamais trouvé dans la situation où tu devais les faire.
Les explications sur mon état se fondent sur la supposition que la façon dont je me comporte n'est pas normale. (...) je me considère différent dans ma façon de penser, de parler et d'agir, mais pas comme quelqu'un d'anormal ou de malade. Mais comment expliquer la différence aux gens ? Cela les arrange d'avoir un terme prétendumment scientifique. (p.70)
l y a tant de choses avec lesquelles j’ai énormément de difficultés. Je ne peux pas me rendre dans un lieu inconnu sans plan. Je me trouble quand on me demande de faire plus d’une chose à la fois. Les gens emploient des termes que je ne comprends pas ou ont des expressions du visage impossible à décrypter. Ils attendent de moi des réponses que je ne peux pas leur fournir.
- Mais cet été, tu dois te conformer aux règles du... monde réel. - Le monde réel... Je répète ces trois mots après Arturo, son expression préférée. - Oui, c'est ça, le monde réel. Si vague et large soit cette expression, je sens ce qu'elle signifie ainsi que les difficultés qui vont avec. Me conformer aux règles du monde réel, cela veut dire, par exemple, engager de petites conversations avec les autres. Cela veut dire éviter de parler de ma passion particulière. Cela veut dire regarder les gens dans les yeux et leur serrer la main. Cela veut dire faire des choses "au pied levé", comme on dit à Paterson: faire des choses qui n'étaient pas prévues au programme. Cela peut impliquer d'aller dans des endroits que je ne connais pas, des rues pleines de bruit et de désordre.
- Marcelo ? Tu es prêt ?
Je lève mon pouce : cela veut dire que je suis prêt.
- D'accord. Je te pousse...
Et il me fait glisser dans le tunnel de la machine. J'aime bien cette sensation d'être enfermé. Les lumières ne me gênent pas trop, mais je ferme néanmoins les yeux.
- N'oublie pas de lever le doigt dès que tu entendras la musique mentale, celle de ta tête.
Il y a un haut-parleur dans le tunnel. C'est de là que sort la voix du docteur Malone.
J'attends la musique. Elle finit toujours par arriver. Le plus dur, c'est de penser à lever le doigt. Il y a une minuscule caméra qui permet au docteur Malone et à Toby de m'observer depuis la cabine de contrôle.
- Marcelo, Marcelo...
La voix de Toby est lointaine. J'aime bien Toby. C'est un médecin, tout comme le docteur Malone, mais il ne veut pas que je l'appelle «docteur». Un jour, je l'ai fait, et il m'a repris : «Toby, s'il te plaît.» Il a le visage constellé de taches de rousseur.
Stephen Holmes raccroche et pose aussitôt ses pieds sur le plateau de verre de son bureau. Il n'y a rien d'autre dessus que le téléphone et un stylo argenté.
- Assieds-toi, Gump, assieds-toi.
-Je ne m'appelle pas Gump. Je m'appelle Marcelo Sandoval.
-Oui, bien sûr. Asseyez-vous, monsieur Marcelo Sandoval.
Stephen Holmes prononce mon prénom Marchelo au lieu de Marselo, comme il se doit.
Si seulement ces usages étaient logiques. Si seulement les règles étaient aussi simples que "Ne fais rien aux autres qui pourrait les blesser". Si cela était la seule et unique règle, j'aurais cinquante pour cent de chances de l'appliquer correctement. (...) Telles qu'elles sont, les raisons pour lesquelles une chose se fait ou pas semblent arbitraires. (p.56-57)
- Est-ce que je pense que les gens qui laissent mourir des enfants ou qui se font exploser au nom de Dieu se trompent ? Oui je le pense. Ils commencent bien et finissent mal. Ils débutent saintement et terminent diaboliquement. Le désir de faire ce qui est juste est-il de même nature que celui qui pousse les gens à refuser une transfusion à leur enfant mourant ou à se faire exploser ou à se venger ? Que puis-je te dire ? Oui, c'est essentiellement le même. C'est la même sève qui monte de la terre, migre dans les racines, puis s'insinue dans le tronc jusqu'à atteindre les branches. Ensuite, il y a le choix. Si la sève pénètre dans telle branche, une bonne branche, elle portera des fruits, de beaux fruits, nourrissants. Si elle pénètre dans telle autre, mauvaise, elle ne donnera aucun fruit, hormis peut-être une vieille figue toute desséchée? Mais la sève, la sève est la même, seuls les fruits sont différents. (p.333)
J'ai alors une sorte d'illumination. Cela semble incroyable que je ne m'en rende compte que maintenant, mais c'est pourtant la vérité : nous avons tous nos mauvais côtés. (...) Une fois que nous avons découvert nos mauvais côtés, nous pouvons nous montrer capables de pardon, de charité, d'humilité. (p.360-361)
Elle sourit rarement. Elle est concentrée sur ce qu'elle fait comme un rayon laser. Elle est polie avec les gens, dit "s'il vous plaît" et "merci" dès que la situation l'exige, plaisante avec eux ou les remet à leur place quand on la cherche, mais elle a toujours l'air de réagir, sans jamais prendre l'initiative, et ses réactions sont parfaitement mesurées. On dirait un soleil qui ne voudrait pas briller trop fort. (p.130)