Citations de François Blais (85)
Ce que le chasseur de démons appelait « puissance des ténèbres » recouvrait un champ sémantique très vaste aux contours très flous. Ainsi en parcourant les vidéos de sa chaîne YouTube, on retrouvait des titres comme:
- Quelque chose m’a suivi
- Une autre famille habite dans ma maison
- Slenderman: les origines
- Un poltergeist capté sur vidéo
- J’ai rencontré un Sasquatch
- Des traces de pas dans la neige
- J’ai grandi dans une ferme d’enfants
- J’ai trouvé un téléphone aux pouvoirs étranges
- Ce que la NASA vous cache
- J’ai découvert une pièce secrète chez moi
On était alors porté à se dire: « Cet imbécile ne croit tout de même pas à tout ça? » Pourtant oui, il y croyait.
Ce que beaucoup de gens auraient appelé l’enfer, Joey appelait cela un mardi après-midi.
Si je m’inventais des amis, ils ne seraient pas comme Thomas. J’inventerais du monde moins bizarre.
Si un enfant disparaissait, il pensait à Marc Dutroux avant de penser à Slenderman.
Écoute, je viens de trouver ça sur Wikipédia. ‘’ Sack Man, ou Bag Man, ou el hombre del Saco, ou l’homme au sac. Personnage légendaire apparaissant dans plusieurs cultures, il s’apparente au croquemitaine français ou au bonhomme Sept-Heures canadien.
Personne pour l’accueillir. C’était de bonne guerre :les responsables du bureau de Montréal prenaient sans doute mal qu’on ait confié le dossier Désilets à un agent étranger. On avait estimé en haut lieu que les agents québécois étaient susceptibles de faire preuve de complaisance à l’endroit d’un héros national. L’agent trouvait cette allégation injustifiée, voire carrément insultante, mais il savait qu’il était inutile d’expliquer à ses collègues montréalais que la décision s’était prise au-dessus de sa tête, que personnellement il aurait préféré demeurer en Scanie. Les gens de Montréal savaient déjà tout cela, seulement l’agent incarnait cette décision. L’on s’en tiendrait à son égard à la politesse la plus élémentaire. Cela lui convenait parfaitement.
L’agent avait profité des quelques minutes qu’avait duré le trajet entre Göteborg et Kristiansand pour survoler son ordre de mission. Il estimait qu’il pourrait être de retour à Ängelholm avant le coucher du soleil, malgré les cinq heures de décalage. Faire ses politesses aux gens du bureau de Montréal, soumettre la premika de Théodore Désilets au questionnaire de Czerkawski et prendre son empreinte neuronale, manger un morceau, bâcler son rapport et le faire approuver par Augustin. Cela serait serré, mais c’était jouable.
- Anna! Je sais que tu es là! Descend. Je ne te ferai pas de mal.
Pas de réponse.
-Bon, OK, oui, je vais te faire du mal. Mais je vais te faire beaucoup moins de mal si tu descends tout de suite. P.224
C’est niaiseux, je sais, mais depuis l’été 1994 j’ai décidé qu’il était important que je n’oublie jamais Mélanie Cabay.
Chaque fois qu’elle sort le soir vous avez peur qu’elle ne revienne pas, c’est plus fort que vous. Mais elle revient toujours. Jusqu’au soir où elle ne revient pas, parce qu’elle a croisé la route d’un monstre qui s’est servi d’elle pour assouvir ses pulsions et l’a ensuite jetée, comme un déchet, dans un boisé de la montée Dumais, à Mascouche. Et voilà, c’est fini. Votre vie est finie.
Je n’aurais jamais d’enfants.
Qui a tué Mélanie Cabay? Comment pourrais-je le savoir? Je ne suis qu’un épais avec une connexion Internet.
(...) je ne mis pas longtemps à découvrir qu'il avait une personnalité foncièrement puérile. Cela passe souvent pour un trait de caractère positif auprès des imbéciles associant l'enfance à la candeur et à la capacité d'émerveillement, alors que, dans les faits, les enfants sont des êtres histrioniques et capricieux, d'une capacité d'empathie limitée et aimant arracher les ailes des insectes, juste pour voir.
Les gens de ma génération, nourris de cinéma américain et de jeux vidéos, s'attendent à ce que chaque histoire aboutisse à un dénouement, heureux ou malheureux, à ce que chaque action entreprise présente un honnête pourcentage de réussite. On a beau savoir que la vie n'est pas une partie de Final Fantasy, on éprouve chaque fois quelque chose comme de l'indignation, une vague envie de demander un remboursement, quand on frappe un mur.
"On le réalise de plus en plus: on devrait se souvenir des noms des victimes plutôt que de ceux des assassins." .
(...) j'ai continué à siroter mon café en regardant la pluie tomber sur le champ de blé d'Inde de monsieur Gélinas. Le voisin de gauche de monsieur Gélinas a trois vaches, celui de droite cultive (entre autres) des pommes de terre et moi je n'ai personne à qui dire que ça fait comme un pâté chinois à l'état sauvage.
Moi je me dis qu'un internaute qui ne s'intéresse pas aux vidéos de chats ni au cul, c'est un peu comme quelqu'un qui va au casino juste pour prendre un verre. Tu passes à côté du principal.
"Si tu étais morte six fois à la seconde en Afrique au lieu de mourir une seule fois à Ahuntsic, si tu avais été huit cent mille Tutsis plutôt qu’une petite blanche de la classe moyenne, ce sont des types du calibre de Gil Courtemanche ou Jean-Christophe Ruffin qui écriraient des livres sur toi, Cabay. Des gars des ligues majeures. Tu vas dire que ça te fait une belle jambe et je suis d’accord: il aurait été préférable que tu ne meures pas du tout et que jamais personne n’écrive de livre sur toi."
- (...) Ça appartient à personne.
- Tout appartient à quelqu'un.
- C'est abandonné depuis des années. Le propriétaire est mort.
- Comment tu le sais?
- Je pense qu'il s'appelait Gédéon (...).
- D'accord, mais qu'est-ce qui te dit que ce Gédéon est mort?
- Tous les Gédéon sont morts...
Jude: Dans ce cas, on a juste à inscrire «roman» sur la couverture et tout le monde n'y verra que du feu. On appelle n'importe quoi « roman », de nos jours.
Moi : C'est vrai. Mais ma première objection tient toujours: aucun éditeur ne va accepter de verser une grosse avance à des auteurs inconnus.
Après avoir lu ces lignes, j'ai corné la page et j'ai crié à Jude de venir me rejoindre au salon toutes affaires cessantes (ça tombait bien: il ne faisait justement rien du tout), pour une de ces séances de brainstorming dont on a le chic. «Ça nous prend un titre, lui ai-je annoncé.
-D'accord, moi je veux être duc.
- Arrête de faire le clown, je veux dire un titre pour notre livre.
-Ah. Je pensais que tu en avais déjà trouvé un.
- Non, pour le moment il s'appelle encore Document 1, mais ça c'est l'idée de Microsoft Word. On peut sûrement faire mieux.
-Ça presse pas.
-C'est vrai, mais si on remet toujours au lendemain, on va se ramasser à la veille de l'envoyer et il va encore s'appeler Document 1.
Et ta sœur va encore nous accuser de procrastination.
-C'est de velléitaires qu'elle nous traite, mais j'avoue que ça revient un peu au même. Alors, as-tu une idée ?
Euh.. on pourrait consulter Dany Laferrière. C'est un pro des titres.