Frantz Delplanque

Finalement mes activités de tueur ne s'étaient interrompues que trois mois.
La faute à pas de chance.
Nul ne peut échapper à ses aptitudes profondes, elles s'exercent là où elles doivent s’exercer. Prenez un médecin par exemple : où qu'il aille, il peut peut- être sûr de tomber sur un accident, un malade qui fait une crise ou un enfant qui a avalé une arrête de travers.
En attendant, j'avais commis un trente-troisième homicide. J'étais passé du statut de professionnel à celui d'amateur, certes, mais je me retrouvais à nouveau sur la mauvaise pente. Est-ce que j'étais comme tous ces retraités qui ne peuvent s'empêcher d'exercer une activité bénévole dans leur domaine de compétence ? Je n'en dormis pas de la nuit.

"Chaque heure blesse, la dernière tue ", dit un proverbe basque.

Elle venait de découvrir Valentin, qui depuis notre arrivée s'était tenu bien sagement en retrait - plus précisément, il était en train de négocier de l'herbe avec des ados et il devait y avoir eu une séance de dégustation, voire une comparative assez élaborée, à en juger par la taille de ses yeux - de simples fentes pour laisser passer ses droits à l'illusion.

_ As-tu déjà vu le cadavre d'une femme que tu as aimée, Paco ?
Il répondit après un long moment suspendu - un moment qui ressemblait à un oiseau de proie tournoyant dans les airs au-dessus d'une petite souris, minuscule, trop petite pour être dévorée.
_ J'ai déjà vu cela en effet. Et j'ai aussi porté dans mes bras le cadavre de mon petit-fils. C'est quelque chose que je n'oublierai jamais.
_ Excuse-moi, dis-je.
_ Tu veux me demander pardon pour ma vie de Gitan ?
Nous restâmes sans voix. Puis il murmura pour lui-même :
_ Il y a des nuits plus obscures que d'autres - des nuits de deuil à la fin desquelles on se dit que le jour ne se lèvera plus.

Il régnait dans le hall de la clinique une fraîcheur climatisée, parfumée au désinfectant. En tendant la narine, je perçus également des effluves de Shalimar.
La secrétaire à l'accueil était une vraie bourgeoise - ici ils avaient éradiqué le prolétariat.

Je ne crois pas en Dieu, mais je saurais reconnaître un miracle si j'en voyais un.

LE TRAQUEUR - Je peux te parler, je sais
ce que c'est. La rancune est une petite bête à
la mâchoire de fauve. Quand elle a fini
d'entrer chez toi, elle s'accroche, taciturne,
au sommet de ton crâne. Ça fait un petit nid
de migraine et d'insomnie. Et tu as beau te
laver la peau du visage à l'eau douce, trem-
per tout ton corps dans l'huile trois fois
bénite, aucun remède pour ton mal de tête,
jusqu'à ce que tu donnes à manger à la petite
bête du foie de ton plus bel ennemi.

Kossi Efoui, "Que la terre vous soit légère"

Je me souviens aussi d'une femme au regard de faucon qui se tenait toujours à ses côtés, comme posée sur son avant-bras.
_ Contrairement aux épouses de la plupart des parrains, m'expliqua Valentin, Antonia n'est pas une ancienne pute. Plutôt le genre « grande bourgeoise » élevée par l'Opus Dei. Avec cette pointe de vulgarité ibérique qu'on retrouve dans le chorizo et la Manzanilla.

J'avais un peu connu le mari de Mme Martinez y Vasquez de son vivant. Il ressemblait à un Mr. Bean à la peau brune et aux paupièrs tombantes.Nerveux et volubile comme sont les Espagnols. Avec cet air de toujours avoir à se justifier. Ajoutons qu'il avait le regard fuyant et le bec mâchonnant et crachouillant les pipas de l'hispanique. Néanmoins, c'était lui qui régentait l'insécurité dans une région de plusieurs millions d'habitants.
Dans les provinces du pays basque espagnol et de l'Aragon, il était difficile de prétendre faire mourir quiconque de manière violente sans en avoir reçu préalablement l'autorisation du Señor Martinez.

Quand j'ai garé la Twingo devant la Grange aux Belles, il était plus d'une heure du matin. Ma technique pour retrouver Flamby était simple : la tournée des pires endroits.
Comme les lieux de perdition ne manquent pas autour de Largos, ça pouvait prendre du temps. À la troisième adresse, le Cobra Club, où je venais de faire chou blanc, je m'étais décidé à interroger les spécialistes de la question : l'un d'eux titubait au milieu de la route, je j'avais attrapé par le col :
_ Eh, mec ! C'est quoi pour toi l'endroit le plus cool pour se défoncer la tête avec de l'alcool moyennant des prix abordables ?
_ Je dirais la Grange aux Belles, si tu supportes la musique country et les serveuses topless qui ont les seins qui tombent.
Voilà, nous y étions. Une lueur d'espoir réchauffa mon âme en constatant à quel point l'endroit était minable.J'avais bu un rhum dans chacune des boîtes précédentes, mais j'avais encore assez les yeux en face des trous pour m'apercevoir que cet établissement était taillé sur mesure pour le pire des losers. Le pire du pire était la Grange aux Belles.
Je ne fus donc pas surpris d'y trouver mon héros.

J’observais notre reflet dans le miroir. Son nombril orné d’un piercing, juste au niveau de mon visage. On aurait dit que je m’adressais à son ventre. Elle a allumé le sèche-cheveux et nous en avons profité pour ne plus nous parler. Mes cheveux redeviennent d’un blanc éclatant en séchant. Avant ça, j’avais fait mes exercices de méditation dans les dunes, près d’un blockhaus où des gens sexuellement motivés se donnent rendez-vous, même en plein jour. Ça entrait et ça sortait de là comme d’une église à l’heure de la messe. Surtout des messieurs. Ces choses-là n’arrivaient pas quand j’avais vingt ans. J’ai eu envie de lui dire : « Si vous saviez comme le monde a changé, mademoiselle ». Mais elle m’aurait pris pour un vieux con.