Les nouveautés Futuro de mars 2023
Je puis me rappeler le jour et l'heure où, pour la première fois, mon regard se posa
sur ce garçon qui allait devenir la source de mon plus grand bonheur et de mon plus grand désespoir.
Je savais qu’un million de soldats étaient morts à Verdun. Mais ce n’étaient là que des abstractions, des chiffres, des statistiques, des informations. On ne peut souffrir pour un million d’êtres.
Mais ces trois enfants, je les avais connus, je les avais vus de mes propres yeux, c’était tout à fait différent. Qu’avaient-ils fait, qu’avaient fait leurs pauvres parents pour mériter un tel sort ?
Je puis me rappeler le jour et l'heure où, pour la première fois, mon regard se posa sur ce garçon qui allait devenir la source de mon plus grand bonheur et de mon plus grand désespoir.
Je ne puis me rappeler exactement le jour où je décidai qu'il fallait que Conrad devînt mon ami, mais je ne doutais pas qu'il le deviendrait. Jusqu'à son arrivée, j'avais été sans ami. Il n'y avait pas, dans ma classe, un seul garçon qui répondît à mon romanesque idéal de l'amitié, pas un seul que j'admirais réellement, pour qui j'aurai volontiers donné ma vie et qui eût compris mon exigence d'une confiance, d'une abnégation et d'un loyalisme absolus.
Je ne puis guère me rappeler ce que Conrad me dit ce jour-là ni ce que je lui dis. Tout ce que je sais est que, pendant une heure, nous marchâmes de long en large comme deux jeunes amoureux, encore nerveux, encore intimidés, mais je savais en quelque sorte que ce n’était là qu’un commencement et que, dès lors, ma vie ne serait plus morne et vide, mais pleine d’espoir et de richesse pour tous deux.
La politique était l’affaire des adultes et nous avions nos propres problèmes à résoudre. Et celui que nous trouvions le plus urgent était d’apprendre à faire de la vie le meilleur usage possible, indépendamment de découvrir le but de la vie, si tant est qu’elle en eût un, et quelle serait la condition humaine dans cet effrayant et incommensurable cosmos. C’étaient là des questions d’une réelle et éternelle importance, beaucoup plus essentielles pour nous que l’existence de personnages aussi éphémères et ridicules que Hitler et Mussolini.
La mort sape notre confiance dans la vie en nous montrant qu'en fin de compte tout est également futile devant les tênèbres finales.
Mon père détestait le sionisme. L'idée même lui paraissait insensée. Réclamer la Palestine après 2000 ans n'avait pas pour lui plus de sens que si les Italiens revendiquaient l'Allemagne parce qu'elle avait jadis été occupée par les Romains. Cela ne pouvait mener qu'à d'incessantes effusions de sang car les Juifs auraient à lutter contre tout le monde arabe.
Jusqu'à son arrivée, j'avais été sans ami. Il n'y avait pas, dans ma classe, un seul garçon qui répondît à mon romanesque idéal de l'amitié, pas un seul que j'admirais réellement, pour qui j'aurais volontiers donné ma vie et qui eût compris mon exigence d'une confiance, d'une abnégation et d'un loyalisme absolus.
Il entra dans ma vie en février 1932 pour n'en jamais sortir. Plus d'un quart de siècle a passé depuis lors, plus de neuf mille journées fastidieuses et décousues, que le sentiment de l'effort ou du travail sans espérance contribuait à rendre vides, des année et des jours, nombre d'entre eux aussi morts que les feuilles desséchées d'un arbre mort.