Débat enregistré le 01 octobre 2022 à l'occasion des Rencontres Chaland 2022 à Nérac. Avec Loo Hui Phang, David Prudhomme et Frédéric Poincelet, animé par Jean-Christophe Ogier
… c'était un soir, au Banana Café. J'étais bourré et j'avais plus de coke. Mon boss m'avait déjà avancé la moitié de mon salaire la semaine précédente. Je passais de table en table avec mon plateau quand j'ai vu un ancien dealer qui m'avait souvent dragué, avant. Il m'a dit qu'il en avait de la bonne. Je me suis fait sodomiser dans les toilettes pour cinq grammes.
Le corps, parlons-en. Avec ce que vous lui avez fait subir… Vous pourriez tomber amoureux d’un lampadaire, tellement vos hormones sont sens dessus dessous depuis que vous avez arrêté de prendre des drogues. De grâce, attendez un peu avant de vous lancer dans une histoire d’amour. Dans quelques mois, vos obsessions du moment vous sembleront dérisoires.
Lorsque tu as envie de consommer, essaye de reconnaître l’émotion qui se cache derrière cette envie. Peur, honte, colère ou culpabilité. Pendant des années, tu as consommé des drogues pour masquer tes émotions.
Avec le clean, nos goûts changent, c’est normal. Nos aspirations aussi.
Ce fut une période très difficile, toute mon attention était portée sur le fait de ne pas rechuter. Petit à petit, le paysage autour de moi s’est éclairci. Je réalisais que je pouvais vivre sans trembler, sans être en manque. La seule chose que je redoutais, c’était de mener une vie moyenne. Bosser, prendre le métro, dormir à moitié.
Mais faut pas croire qu’un shoot d’héroïne c’est une expérience ultime. Nager un kilomètre dans une piscine, c’est aussi très fort. Quand j’étais enfant, je voulais vivre des choses fortes. Le shoot m’a permis d’être invité au banquet de la vie, avant de m’en exclure. Une montée de flash, c’est une vie. Mais survivre à la drogue, c’est encore plus fort. Avoir une vie anonyme, cela me faisait peur en arrivant. Mais en fait, c’est une expérience incroyable.
« Thérapie de groupe », beurk, quel truc dégueulasse. Les groupes, c’était pas trop mon truc. Quant à une éventuelle thérapie, j’avais perdu tout espoir lors des multiples internements psychiatriques et autres postcures que j’avais suivis depuis dix ans. Dix ans, putain.
Il y avait deux fois « aide » dans le nom de l’association. Tout ça pour faire « apte ». Oui, mais apte à quoi ?
Au fil des ans, les effets bénéfiques des opiacés se sont estompés. Il m’en fallait toujours plus. A la fin, je me shootais juste pour être normal et plus du tout pour ressentir quoi que ce soit. De toute façon, ça faisait bien longtemps que j’étais seul.
Une émotion reconnue, c'est comme une petite goutte d'eau qui tombe sur une surface liquide, elle fait des ondulations puis disparaît. Tandis qu'une colère rentrée est une tempête en puissance