L'édition 2022 du Grand prix Sofia de l'Action littéraire a eu lieu le 18 et 19 mai, à Chambéry.
Elle a proposée une table-ronde intitulée « Les festivals littéraires à la croisée des arts » en présence de Daniela Farail (festival du Premier Roman de Chambéry), Sébastien Planas (Festival international du livre d'art et du film) et Dominique Rouet (festival le Goût des autres), Carole Zalberg (autrice et membre de la commission attribution des aides de la Sofia) et Hugo Boris (auteur et membre de la commission attribution des aides de la Sofia) et animée par Cécile Deniard, Présidente de la Sofia.
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Grâce
Elle avance
et voit palpiter l'air autour,
caresse qui la suit à pas de loup
Elle avance, avance
et comprend que c'est un de ces jours
où tout l'enlace:
les regards, le vent, l'instant
ce qu'elle désire et ce qui l'attend
elle avance, avance, avance
laisse sa trace
de parfum, de lumière, de silence doux
c'est un frisson, une joie dense
et la voilà qui court.
(" Les formes, poèmes")
Mais j'aurais du le savoir, ce qu'on ne regarde pas ne cesse pas pour autant d'exister. Il y a du drame à revendre dans tous les coins de toutes les vies même les plus tranquilles, même les plus ternes. Je ne me pardonne pas d'avoir cru que toi et moi, parce que nous en avions eu notre content, de drame, nous en avions fini. Des petits malheurs, oui, des revers et des déceptions, oui, je m'attendais à ce que nous en rencontrions encore. Mais du drame, imbécile que je suis, je nous croyais définitivement protégés.
Nous l'avions gagnée, m'imaginais-je, notre immunité.
Qu’est-ce que ça change à l’heure de crever? On laisse des traces différentes, on s’en va plus ou moins en paix. Tu l’étais, toi?
(p.77)
J'en fais le serment alors : une fois là où nous pourrons être en vie sans avoir à justifier, détailler, exhiber la moindre seconde nous ayant conduits avec d'autres à l'exil, plus jamais je n'emprunterai le chemin des mots qui me ramènent au drame. Nous serons neufs et tu auras le droit de croire aux promesses du monde
Dans un autre de ces lieux sans nom que la nécessité aide à rejoindre, une nuit où tu t'es pour une fois endormie sans te nicher, je laisse une étrangère se couler le long de moi. Elle est vaste et douce et puissante et je cède à la fugitive évidence de ses bras. Je ne sais plus si je suis un homme ou un enfant contre ce corps, cette nuit-là, contre cette femme qui n'est pas mon Ezokia, mais je sais qu'elle me choisit et m'accueille et m'apaise et m'aime assez pour qu'au matin rien ne soit trahi.
Il y a là sous la chair
entre les os fragiles
et les réseaux habiles
dans une profondeur que les mots seuls éclairent
un lac sombre, un monde qui scintille,
d'homme en homme à la file
un fond de vie où j'erre,
où je plonge une et reviens mille
(" Poesie 1: les femmes et la poésie)
Tel est le mystère des hommes qui parfois s'aident et se comprennent et parfois se déchirent.
- Tu m'appelleras Madame, lui dit alors la femme fine en lui faisant signe de la suivre.
Au bout du corridor, elle ouvre une autre porte qui donne sur un réduit sans fenêtres. Au sol, un matelas. Contre un des murs, des balais, une planche à repasser et tout un bric-à-brac que Lania ne peut identifier.
- C'est là que tu dormiras. Tu seras bien; C'est calme et tu ne seras pas gênée par la lumière du jour ou les réverbères.
Je ne pourrai remonter le cours de notre vie jusqu'au lit de ton crime car il est le dernier domino à tomber et j'ignore ce qui, de mon silence, de nos épreuves, de ton désœuvrement ou de tout autre chose encore a été le premier vacillement. Et quelle différence cela aurait-il fait si je t'avais raconté d'où nous venions ?

(Propos de Nicolas, devenu SDF, sur le regard qu'il porte sur sa condition actuelle)
Un homme tout court qu'il sait ne plus être aujourd'hui. Est-ce qu'on est un homme quand on n'a rien su retenir du bonheur et des accomplissements ? Quand on n'a que l'idée de survivre, l'imagination d'être ivre ? Et tout son temps pour les regrets ? Est-ce qu'on est un homme quand on sait que son enfant vit quelque part, dans la ville même où l'on se rend d'un point d'eau à un coin de chaleur, d'une rue où manger à un trou où dormir ? Est-ce qu'on est un homme quand on a aimé et perdu l'amour ? Quand on n'a plus de son passé enfui que quelques frusques avachies, des photos poisseuses, des livres aux pages cloquées de pluie et de saleté, le tout jeté en désordre dans une valise qui ne ferme plus ? Est-ce qu'on est un homme quand on n'a que cela pour se souvenir qu'on a vécu ici, dans ces rues mêmes, une vie heureuse ?
En fait il sait précisément quand il a cessé d'être un homme. Il sait quand et à quelle heure c'était.