Citations de Frederick Exley (95)
C'était mon sort, mon destin, ma fin que d'être un supporter.
Sa voix véhiculait l'hystérie cultivée du Blanc gauchiste, et je détestais sa condescendance face à ce qu'il considérait comme mon ignorance brutale et irrémédiable - moi qui comprenais, ou en tout cas le pensais-je, le Noir, la dignité et le fait d'être un citoyen de seconde zone mieux qu'il ne le ferait jamais.
A sa mort, et même ce jour-là,
je n'arrivais toujours pas à savoir si j'aimais ou non Earl Exley,
que ce soit celui qui "mettait des roustes" à ses semblables
ou celui dont les mains puissantes consolaient le rebut du genre humain.
J'étais plus jeune à l'époque
et voulais concevoir le monde en termes d'attaque et de défense,
de point et de contrepoint,
et je n'arrivais pas à comprendre qu'il était ces deux hommes à la fois,
et que pour vivre en paix,
j'allais devoir les aimer tous les deux.
Le cancer des poumons avait fait son boulot à merveille,
et si mon père avait jadis semblé parfaitement incarner le prolétaire,
dans la mort, il aurait pu passer pour un aristocrate
ou un grand poète mort à l'aube de sa carrière.
D'un calme apparent, il semblait avoir été rongé par une vision,
comme un prophète spectral devenu muet par excès de savoir.
Mais j'étais incapable de faire face à de telles images.
Il pesait une trentaine de kilos et,
dans l'une de ces impardonnables plaisanteries dont les membres de sa profession
aiment faire de nos cadavres les objets,
le croque-mort avait ôté son rictus figé et mélancolique.
L'effet d'ensemble -
son corps ravagé, le fond de teint ocre, le rouge à lèvres
et l'odeur lourde et capiteuse des roses funéraires -
compromettait sérieusement sa virilité
Certains héritent de leur père la bosse des maths,
une montre de gousset en or rongée par la verte oxydation des années,
ou une expression sempiternellement ahurie.
Du mien, je reçus ce besoin d'entendre mon nom chuchoté avec révérence.
A l'instar de toute femme timorée,
la vie de ma mère se résumait à la peur que l'une des facéties de mon père
le conduise au poste,
et que son nom apparaisse en dernière page du Daily Times de Watertown,
traînant notre famille dans la boue.
La dernière page du journal était celle que les pasteurs,
les vieilles filles et les élus municipaux
consultaient pour éprouver des frissons interdits.
Dans les heures qui suivirent sa mort,
quand les journaux se mirent à énumérer les nombreux hauts dignitaires du monde sportif
qui s'apprêtaient à faire leur propre pèlerinage à Oneida,
l'enterrement commença à prendre la tournure
d'un événement sportif incontournable.
Je pressentis qu'en de telles circonstances
une réelle douleur jurerait forcément.
Au bout de deux semaines de biture ininterrompue, je me réveillai à minuit dans une chambre tanguant sous mes yeux et y découvrit elfes, farfadets, scarabées, chauve-souris en train de fondre sur moi et d'arracher de gros morceaux de chair de mon corps.
Son derrière affolant et ses cuisses luxurieuses étaient toujours dans un fourreau virginal de laine noire et de tweed gris, ce qui reflétait sa vision des choses. Je fantasmais sans cesse au sujet de ce magnifique postérieur gainé dans le velours tyrolien du montagnard. Je m’imaginais en train de le suivre, ainsi emballé, remontant un pâle précipice jusqu’au paysage iridescent où, dans un tremblement de fatigue et d’anticipation, j’ôterais velours et culotte, et la déflorerais parmi les fleurs, les couleurs du monde se concentrant dans la douce touffe de jais de son petit chaton.
Il m’avait traité de pédale devant toute la classe (nous étions en train de lire Shakespeare, et apparemment, dans son esprit dérangé, ceux qui appréciaient le Barde avaient immanquablement envie d’accueillir dans leur cavité buccale des pénis enflammés).
" Comme nous étions forcés de travailler- personne ne l'exprimait ainsi, mais vu ce que je savais, j'en avais rapidement conclut que les autorités considéraient le travail ( j'aurais préféré passer mes journées à lire à la bibliothèque ; activité décadente ) comme suffisamment humiliant pour nous permettre de saisir ce qui faisait tourner l'Amérique..."