Interview #3 Frederika Van Ingen "Sagesses d'ailleurs pour vivre aujourd'hui"
Nous avons une écologie sans fondement spirituel (...). Quand allons-nous comprendre que l'extérieur ne fait que refléter l'intérieur ? On nous apprend tout petit à vivre séparés, coupés de la sensibilité, donc de la source pleine de tendresse qui nous unit tous. On nous apprend à porter des masques : pour être un homme, il faut être fort, il ne faut pas pleurer. Les peuples premiers sont restés connectés à toutes ces valeurs de respect, d'altérité, ils sont notre second souffle, ils sont notre seul espoir ! Et les Maasaï ont une spiritualité qui agit écologiquement.
La vie est forêt, animaux, plantes, rivière, terre, pierres, et aussi et surtout, liens entre tout cela. Elle est vent, chaleur, froid ou pluie, et notre corps, qui peut concrètement les ressentir. Elle est la nourriture qu'il peut manger, l'eau dont il peut s'abreuver, et la chaleur humaine dont notre cœur a besoin - parce que nous sommes des êtres sociaux.
Quand la société n’est pas déstructurée, que l’alimentation reste traditionnelle, si la région n’est pas polluée, et que les soins consistent à éviter d’être malade, le mode de vie traditionnel fait qu’on trouve des populations en bonne santé, où le malade est exceptionnel.
Chez les maasaï, tout est découvert par l'expérience, précise-t-il. Et toute expérience est riche. Chez nous, une difficulté est vue comme négative ; Chez eux, c'est une épreuve qui participe à la découverte de sa mission de vie. Car ils sont convaincus que nous avons tous une destinée, une place. Pas forcément extraordinaire, mais on a tous une place. Donc chez eux, on n'imite pas un modèle : on est le modèle. Pour eux, c'est cela la liberté : celle d'être qui on est et de ne pas chercher à être ou ressembler à quelqu'un d'autre. D'ailleurs, leur spiritualité n'est pas un modèle imposé, elle donne des clés, mais c'est à chacun de l'inventer pas à pas au cours de sa vie.
C’est ainsi que se voient les humains qui composent ce que l’on appelle les sociétés racines : cellules d’un grand corps vivant, dont la santé dépend de chacun d’entre eux, et dont dépend, en retour, leur propre santé.
Il suffit d’écouter la ville pour comprendre pourquoi on se ferme. C’est bruyant, dissonant, ça donne envie de se protéger, de fermer les oreilles, et le nez parce que souvent ça sent mauvais, et même les yeux car ce qu’ils voient est chargé de violence. La ville nous incite donc à fermer nos sens. Tandis que la nature, l’odeur de l’herbe coupée, de la terre humide, d’une fleur, le chant des oiseaux, tendent à nous les ouvrir. Cela invite à un mode de vie qui cultive la beauté. C’est pour cela que quand Almir parle de sa forêt, c’est un poème.
Pour les Lakota, l’homme est en résonance avec l’univers, et sa bonne santé provient du fait qu’il va pouvoir créer l’harmonique d’abord en lui, entre ses différents niveaux de conscience, et entre lui et sa nation, et entre lui et le monde. Chez nous, cela rejoint la pensée pythagoricienne de l’harmonique des sphères(...)C’est vraiment un harmonique au sens musical du terme : le but n’est pas de créer un seul son, mais un son harmonieux fait de plusieurs sons. Cela crée l’accord parfait entre l’homme et lui-même, entre lui et l’autre, et avec le monde.
Une des particularités des humains de ces sociétés est de "prendre leur temps", ou, plus précisément, de vivre le temps de la nature, puisque c'est elle qui nous anime. Exemple : lorsqu'une question est posée aux Kagaba, ils ne répondent jamais du tac au tac. Ils attendent parfois plusieurs jours que la réponse mûrisse, comme un fruit que l'on ne cueille que lorsqu'il est venu à maturité.
Reprendre conscience de notre appartenance à un vivant planétaire est un mouvement indispensable aujourd’hui : nous ne pouvons plus nous concevoir comme une espèce supérieure dans un joli décor, car au fur et à mesure que ce décor est en train de se détruire, c’est nous que nous détruisons. À force de nous extraire du vivant dans notre cosmogonie, c’est la vie qui, comme en miroir de notre pensée, est en train de nous en exclure…
Dans toutes ces médecines anciennes, on se rend compte que le dénominateur commun, c’est l’homme et son environnement : la terre, le cosmos, et l’individu qui est là entre eux comme un trait d’union.