Eh bien, le moins que l'on puisse dire est que ce livre était spécial. J'aurais même envie de le qualifier d'anomalie littéraire, une anomalie des plus touchantes, attachantes et délicates.
La raison pour laquelle ce roman est si touchant, attachant et délicat est tout simplement qu'il ne prétend pas l'être et ne se force pas à l'être à travers une myriade de procédés téléphonés. Il l'est, c'est tout. Avec son ton sobre, authentique, cru même, il parvient à atteindre une incroyable justesse et simplicité et à s'y maintenir. Il prend son temps, tissant petit à petit un lien solide entre Eleanor et le lecteur au fur et à mesure que cette dernière dévoile sa routine, qui s'avère bien moins insignifiante qu'elle ne peut le sembler.
Et qu'est-ce que j'ai aimé.
Je me suis plongée dans ce livre sans avoir la moindre idée de ce qu'il racontait, convaincue simplement par sa couverture et surtout son titre.
Eleanor Oliphant va parfaitement bien.
Vraiment, tout va pour le mieux, elle gagne sa vie, elle vit confortablement, ne souffre d'aucune maladie en particulier, bon, d'accord, il y a bien ces deux bouteilles de vodka qu'elle descend tous les week-ends et le fait qu'elle n'a absolument aucun lien social, mais bon, peu importe, elle va bien. Et puis, regardez, elle se fait même plaisir avec une pizza tous les vendredis soirs, vous voyez bien que ça va. Merci d'avoir demandé.
"Ca va et toi ?"
Phrase anodine que l'on répète automatiquement à chaque rencontre, quand bien même cela serait complètement faux, parce que qu'est-ce que ça serait impoli d'admettre que parfois - et même la plupart du temps -, on n'a au fond absolument aucune idée de comment on se sent ou de ce qu'on veut faire de sa vie.
Ces quelques petits mots sont le symbole parfait d'une société conformiste et hypocrite qui n'a aucun mal à s'enflammer pour le moindre scandale ou la moindre polémique, mais se renferme et se tait dès lors que le problème réside dans la sphère de l'intime, de l'individu, comme si cela en faisait brusquement quelque chose d'honteux, d'anormal, de tabou.
Sauf que ça ne l'est pas.
Eleanor Oliphant est à la fois une exception et le reflet de chacun d'entre nous. Bien sûr, elle se comporte souvent de façon plus extrême que ce que l'on pourrait jamais faire, mais finalement pas tant que ça. En quoi vivre comme elle le fait est-elle plus absurde que certains de nos comportements ? En quoi est-elle plus anormale que toi, lecteur ?
Au contraire, Eleanor est une véritable guerrière ordinaire, une héroïne banale comme une autre, qui touche et bouleverse par sa résilience, ses errances, ses faiblesses et ses victoires. Son histoire, sa voix, ses actes ne pourraient pas être plus éloignés de tout stéréotype grandiloquant, mais touchent justement par leur simplicité, et disons-le, leur absence de résonance. C'est finalement une simple vie qui se joue, comme n'importe laquelle, dans un roman tout en bizarrerie et en sensibilité qui conduit le lecteur vers des situations à la fois complètement ordinaires et incroyables, vers des personnages aussi touchants qu'oubliables. C'est le parfait catalyseur de l'unicité absurde, illusoire et miraculeuse de nos propres vies.
Oui, c'était lyrique.
Lisez donc cette petite pépite de simplicité, qui arrive à ce résultat justement parce qu'elle ne se répand pas en vaines tentatives pour y parvenir. C'est brillant.
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