Je ne savais pas encore qu’au fil du temps, à vouloir être ta voix, tes bras, tes jambes, ta volonté, même : qu’à tenter de pallier toutes tes pertes, je me perdrais un peu aussi.
Qu’à chaque deuil d’un bout de toi, je t’offrirais un morceau de moi pour adoucir la pilule, et m’appartiendrais un peu moins.
Je ne savais pas parce que ça ne faisait que commencer,
Mon bassin répond au contact.
Horreur. J'ai frotté mes fesses, juste un peu, contre Christophe. C'est sûr qu'il l'a senti. Il marque un temps d'arrêt. Notez l'heure pour les archives de la honte : Estelle Saint-Brie, pire veuve ever, a frotté son cul contre le sexe de son meilleur ami à 5h17, après une longue et épique résistance de sept minutes. Pitoyable.
Ça y est, chacun est parfaitement conscient que l'autre ne dort pas, mais on reste immobiles.
Que c’est fini.
Qu’on se lasse même du meilleur plat quand on en mange tous les jours, pendant dix ans.Ou presque.
Être, plutôt, une aimée.
C’est un constat foudroyant: au fond, je suis, j’ai toujours été, une aimante. Une aimante débordante, expansive et intense, trop intense. Être une aimée aura été un choix, un mécanisme de défense, la façon qu’une fillette encore verte, perfectionniste à l’excès, aura trouvée pour se relever et rester debout, alors qu’elle avait le flanc strié d’une large blessure d’amour béante. C’est d’une tristesse infinie.
Comment une moitié pouvait-elle se sentir assez entière pour se départir volontairement du reste de sa totalité ?
Depuis l'enfance, le carré de sable dans lequel tu t'amusais se trouvait dans un sablier. Tu vivais avec la conscience d'un écoulement inarrêtable, d'un ensevelissement à prévoir.
On dit que le temps arrange tout, mais on ne dit pas combien de temps. «On» dit bien des choses, mais jamais ce qu’on a vraiment besoin de savoir.
On avait commis, envers le reste de l’humanité, une injustice irréparable: celle de ne pas se heurter aux écueils ordinaires. L’adultère, la lassitude, les fesses qui élargissent et le ton qui monte: la route était pavée, mais on avait préféré inventer un sentier, tenter de s’élever au-dessus de la masse, de s’aimer inhumainement. La facture de cette excursion-là venait d’arriver.
Mon chez et mon moi sont en lune de miel: pas encore tout à fait unis. Il y a des boîtes partout, dont je ne sors que l’essentiel. Je me fais croire que c’est parce que j’aime le vide de cet endroit, l’écho de la musique dans ses pièces blanches, pleines de lumière. Peut-être que je refuse un peu de m’installer, aussi. Après tout, c’est la lune de miel d’un mariage arrangé.
Le bonheur prolongé, ou l’absence de difficultés majeures, a souvent cet effet-là sur les gens: ils sont convaincus d’avoir trouvé la recette, croient que leur balloune restera gonflée à tout jamais. J’avais péché par excès de confiance, cru que tout cela m’appartenait, que j’aurais toujours à mes côtés un homme pour m’aimer. L’amour à perpétuité.