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Citations de Giorgio Vasta (16)


Sur cette photo, nous sommes tous ironiques. Et moi, l’ironie me blesse. Pire : je la hais. Pas seulement moi, Scarmiglia et Bocca aussi. Parce qu’il y en a de plus en plus, de l’ironie, il y en a trop, la nouvelle ironie italienne qui brille sur toutes les faces, dans toutes les phrases, qui lutte chaque jour contre l’idéologie, qui lui dévore la tête, et en l’espace de quelques années il n’en restera plus rien, de l’idéologie, l’ironie sera notre seul ressource et notre défaite, notre camisole de force, dans notre désenchantement nous adopterons tous un ton ironico-cynique, nous serons capables de deviner la succession des répliques, le bon rythme, de désamorcer d’un coup l’allusion et de la laisser s’estomper doucement. Toujours présents et absents, parfaitement pointus et corrompus : résignés.
Et donc, avec l’une des pointes du barbelé, je défigure Chiri, je défigure Gugliotta, je défigure D’Avenia, je me défigure, moi, et aussi le Fil, en transperçant les yeux et en agrandissant les bouches. Car je suis un jeune garçon idéologique, concentré et intense, moi, un jeune garçon non ironique, un jeune garçon anti-ironique, réfractaire. Un non-jeune garçon.
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A travers les fenêtres du couloir, j'observe les premières traces de la ville affamée qui explose depuis des mois dans les journaux et à la télévision, la ville qui fourmille de corps, la beauté des corps brigatistes, la splendeur de mars qui éclaire d'une lumière furieuse l'homme et la femme du train, mes nouveaux parents, leurs pas rapides entre les planches, les tracts de revendication qu'ils déposent convulsivement et clandestinement, le bruissement permanent de la peau, le sexe mordillé sur les lits de camp, les pratiques animales, et cette Rome tragique sous le soleil.
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Sur cette photo nous sommes tous ironiques. Et moi, l'ironie me blesse. Pire : je la hais. Pas seulement moi, Scarmiglia et Bocca aussi. Parce qu'il y en a de plus en plus, de l'ironie, il y en a trop, le nouvelle ironie italienne qui brille sur toutes les faces, dans toutes les phrases, qui lutte chaque jour contre l'idéologie, qui lui dévore la tête, et en l'espace de quelques années, il n'en restera plus rien, de l'idéologie, l'ironie sera notre seule ressource et notre défaite, notre camisole de force, dans notre désenchantement nous adopterons tous un ton ironico-cynique, nous serons capables de deviner la succession des répliques, le bon rythme, de désamorcer d'un coup l'allusion et de la laisser s'estomper doucement. Toujours présents et absents, parfaitement pointus et corrompus : résignés.
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En voiture, j’ai pensé au tétanos, le dieu des infections, à la peur du tétanos, au Fil qui m’ordonne de ne toucher à rien, de ne m’approcher de personne, de rester ici, en retrait, en deçà, qui me lance un regard sévère quand je caresse un chien, car celui-ci me mordra et en chaque chien il y a la rage, l’écume et la folie, de même que dans le fer, effritée parmi les grains de rouille, se niche la bactérie psychopathe, le micro-organisme qui nous hait, le monstre subversif, et le fer est partout, la rouille dévore les objets et les corps, la rouille est sur les couverts et dans la viande que nous mangeons, elle pénètre dans notre bouche et s’émiette à l’intérieur de nous, dans la salive et dans l’estomac, elle nous remplit, nous peuple, elle devient légion juste sous notre peau.
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Hier, juste en bas, un adolescent s’est approché d’une voiture qui venait de se garer. En dialecte, il a demandé de l’argent au conducteur ; celui-ci lui a dit de s’en aller, il ne lui donnerait rien. L’adolescent a désigné la voiture, il a redemandé et il est resté là à attendre, immobile. Quand l’homme a glissé la clé dans la serrure pour fermer la portière, l’adolescent a arraché le manche à balai d’un arbuste qui se trouvait près de lui, il a frappé les phares et les vitres, a jeté le bâton et s’est penché sur le pneu qu’il s’est mis à mordre, entamant la bande de roulement avec les dents et trouant la chambre à air. Enfin, le visage souillé de graisse, il s’est précipité sur l’homme et s’en est pris à ses joues, à son front.
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J’ai onze ans, je suis entouré de chats dévorés par la rhinotrachéite et la gale. Ce sont des squelettes tordus, recouverts par un peu de peau tendue ; ils sont infectés, si on les touche on peut en mourir. Chaque après-midi, le Fil leur apporte à manger au fond du jardin public, en face de chez nous. Moi, parfois, je l’accompagne. Ils viennent vers nous lentement, en se déhanchant, et nous regardent avec des yeux qui sont des gouttes d’eau et de boue. Parmi les mourants, je me suis lié au plus mal en point, celui qui reste à distance sur le bitume des allées, plongé dans l’abîme ; il entend le bruit des pas et remue doucement la tête, comme un aveugle au rythme d’une chanson. Le poil noirâtre réduit à quelques touffes sur la peau écaillée ; une patte qui tâtonne, perdue entre les autres ; petit déjà, il boitait, et maintenant il est grand, c’est un estropié de naissance.
Le Fil pose la casserole sur le muret surmonté d’une grille vert pâle. Alors qu’elle est de dos, je touche la grille avec la langue, je sens le chlore de la vieille peinture, la rouille, je me tourne et déglutis. Avec une cuillère, je ramasse un petit tas de coquillettes à la viande, je le transporte et m’accroupis à côté de l’estropié, je lui fais humer la nourriture. Il approche sa face lézardée, de la vapeur lui sort du museau ; puis il prend un grumeau de viande noire entre deux crocs et se met à le ronger. Le Fil me fait signe de ne pas le toucher, elle m’invite à tout verser et à m’en aller. Alors je forme avec les coquillettes un petit volcan que l’estropié écoute par le museau, avant de se remettre à mordre obstinément le grumeau, en filtrant chaque bouchée entre ses dents éparses et en tordant le cou pour briser et avaler, pour transformer les aliments en sang. Lorsqu’il en a terminé, il se couche, le museau contre le sol, devant le petit volcan humide, l’idole à adorer. Il n’a plus faim, sa respiration siffle dans l’éventail des côtes. Je le touche avec le bout de la cuillère, il ne bouge pas, de son cou me parvient un grondement qui ressemble à celui des pigeons. Il réussit encore à bâiller, ouvre la gueule et avale de l’air. Puis il retombe définitivement dans sa torpeur, la tête au centre d’une tache de lumière.
Derrière moi, les derniers raclements d’une louche au fond de la casserole. Depuis des années, à cette heure-ci et au fond du jardin en face de chez nous, le Fil vide une casserole à l’aide d’une louche – le mouvement laborieux de l’épaule, du bras et de la main -, elle forme par terre des petits tas de pâtes, appelle en faisant claquer sa langue et regarde autour d’elle pour voir si tout va bien, si c’est suffisant, tandis que les chats venus de toutes les directions se traînent vers la nourriture. Puis elle fait demi-tour, la louche sale dans une main, la casserole dans l’autre : l’épée et le bouclier.
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Nous sommes inquiétants et nous en sommes fiers. C'était l'expérience que nous recherchions. Car ils sont inquiétants et dangereux, les adolescents sans cheveux, dont les os du crâne sont exposés à tous les regards,les commissures entre les plaques qu'on peut parcourir du doigt, un périmètre après l'autre. j'étais antipathique et à présent je suis inquiétant. J'étais hostile et je suis inquiétant. Inquiétant mais pas inquiet, inquiétant et calme. Les gens me croisent, ils m'observent et ils ignorent qu'en même temps que moi ils ont vu mon nimbe, mon auréole de lumière, d'élu. Ils l'ignorent. Mais les gens ignorent tout.
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Je sens qu'il a raison, que l'Italie est vraiment tiède, complètement incapable d'assumer la responsabilité du tragique. Le tragique, elle sait seulement le générer, mais ensuite elle le transforme en farce. Alors tant mieux que vienne la contagion, je songe. L'épidémie. Un autre dieu des infections qui impose une forme aux choses, qui les déforme, les choses, qui les déforme et les mélanges entre elles. Si ce n'est pas le tétanos, les poux feront l'affaire, et après les poux, à travers eux, viendra la lutte.
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La maîtresse m'a posé une main au niveau du coeur, m'a désamorcé et a dit : Toi, tu es mythopoïétique. Je suis retourné m'asseoir, en éprouvant encore le plaisir et l'embarras de ses doigts maigres sur mes côtes. Pendant qu'un camarade prenait ma place sur l'estrade et commençait à s'embrouiller, j'ai demandé à voix basse-à Chiri, à d'Avenia. Personne ne savait. Puis à la maison j'ai cherché. Mythopoïétique. Qui fabrique des mots. Et j'en ai été ravi. Reconnaissant et ému. Reconnu.
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J'exige le statut de prisonnier politique... C'est l'ultime tribut versé aux mots du militantisme, la phrase par laquelle on se libère de sa propre et étroite histoire personnelle pour entrer dans le temps infini de la mythologie révolutionnaire... Et pour que ça arrive, on doit se faire capturer, je dis alors.
Oui, il confirme sans bouger... Souviens-toi que le but de tout cela c'est la défaite, il scande doucement.
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Toi aussi, comme moi, tu ne fais que transformer la panique en existence, il dit ensuite.
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D'après moi, elle a compris qu'une certaine italianité est ainsi faite et que cela vaut la peine de l'interpréter. Une République fondée sur la réprimande. La voix qui enfle, la laborieuse élaboration du rugissement : puis celle-ci jaillit, on souffle dessus et on s’aperçoit que c'était juste de l'écume.
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La violence n'est pas dangereuse, il affirme. Elle n'est pas dangereuse et n'a rien à voir avec le mal. Même si ça semble paradoxal, la violence n'est pas violente. Elle ne devient violente que si on l'emploie mal.
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Quel âge avons-nous à présent, je me demande en observant la petite tache claire qui brille sur le dos de sa main, et où sommes-nous ? Qu'est devenu le temps profond que j'avais imaginé, le temps souple, liquide, le temps matériel qui m'aurait désaltéré ? Pourquoi y a-t-il en lieu et place les mots, des milliers de phrases, ce massacre méthodique d'insectes ? Pourquoi le langage luit-il encore, alors que je voudrais seulement pénétrer le silence, ton silence, et pleurer, cesser d'en éprouver uniquement le besoin et pleurer ?
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Nous l'avons déjà trouvé notre reine... Pour elle, nous sommes devenus serviteurs, renonçant à nos identités et à nos velléités de choix. Aucune abeille ne choisit de faire ce qu'elle fait, aucune abeille ne peut se dérober ou déserter : l'abeille est donc le militant parfait.
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Le mot lutte contient le sexe, la colère et le rêve. Alors, impudiques, on essaie de le prononcer à mi-voix et on tente de le relier à une action. Mais, à ce stade, l'opacité retombe, le flou qui sépare l'objectif de sa réalisation... Ce que les Brigades Rouges ont compris, il explique tout bas, c'est que le rêve doit être lié à la discipline, il doit devenir dur et géométrique, se projeter vers l'idéologie.
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