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Citations de Giulia Caminito (134)


Avec lui je ne touche pas la corde rugueuse de ma vie domestique, je ne pose pas de questions existentielles ou gênantes, je virevolte dans les listes des objets qu'il a et moi pas, et il me semble presque que je les possède avec lui, parce que notre lien ténu, frustes et officieux pourrait signifier ma participation, selon le principe des vases communicants à un moment donné son opulence débordera et c'est moi qui la récupérerai, moi le petit vase en dessous qui lève la tête, la bouche ouverte.
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Ma rage est couchée sur la terrasse, elle prend le soleil et fait des mimiques, elle rampe entre les ombres et passe sa tête par-dessus les épaules des l ycéens, ma colère est crue, vive, elle a un visage, des cheveux et des mains, elle porte un jean usé aux genoux et sur son épaule un sac en cuir dont une
couture a lâché, elle se distingue par son irrationalité, par ses vêtements mal assortis. Ma colère est disproportionnée, elle a de très longues jambes, des oreilles minuscules., et dociles, des pieds courts et poilus.
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Soeur Clara avait passé ses dernières années à songer à ce qui viendrait ensuite, non pas soucieuse pour elle-même, elle était prête à s’en remettre à Dieu, mais pour le monastère, pour ses soeurs, pour son village et pour l’Italie entière, qui après la guerre et la grippe espagnole allait au-devant d’autres douleurs, perdait la mémoire.
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Lupo était né et avait grandi avec les idées claires, solides, dures comme la pierre, dès l’enfance il avait suivi son parcours lumineux, qui paraissait tout tracé et sans surprise, comme son grand-père il se rebellerait contre l’ordre établi, contre ce qui était imposé aux dépens de la vie des gens, par intérêt et pour l’argent, il voulait combattre tout ce qui avait été inventé pour exploiter, tromper, opprimer.
Il avait choisi l’anarchie par hérédité mais aussi par conviction, il n’avait
jamais aimé les gens qui aspiraient au pouvoir.
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Ma seule, mon unique mission est d’éviter les mauvaises notes, de réviser dans le train et, l’après-midi, de montrer à ma mère que je fais ce qui est bon pour moi, éviter qu’elle soit convoquée au collège, parce que sinon elle devrait expliquer pourquoi elle s’y rend seule et puis elle devrait expliquer quel travail elle fait et puis elle devrait expliquer d’où nous venons, et moi toutes ces explications je ne veux pas les donner.
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Nous sommes assez jeunes pour ne pas être encore obsédées par notre corps et celui des autres, mais déjà assez âgées pour pressentir qu’au fil du temps notre façon de nous regarder deviendra une guerre muette, nous appartiendrons à des factions ennemies et nous nous décocherons des flèches empoisonnées dans le dos.
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POUR GRANDIR, il faut travailler dur, l’enfance est de courte durée, on ne sera pas défendu, soigné, abreuvé, lavé, sauvé pour l’éternité, pour chacun vient le moment de prendre son existence en main, et le mien est arrivé.
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Moi, mon frère me tolère parce que je ne suis pas une pleurnicheuse et que je l’écoute en silence, le laissant déverser fables et diables sur moi, des histoires noires et terribles, des aventures où la gamine de service meurt à la fin et où le loup gagne toujours. Nous avons quatre années d’écart, c’est énorme pour des enfants, à mes yeux il est adulte, presque antique.
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Nous disons M-A-I-S-O-N et quelques lignes suffisent, les murs et le toit, les fenêtres, la porte.
Cet endroit, terre de nos jeux et de nos premières rêveries, existe parce que notre mère l’a voulu, avant c’était le royaume des cafards, de quelques rats et de nombreuses seringues jetées à travers le grillage le long de la route ou laissées là par les gens qui dorment devant la porte de l’immeuble.
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Elles jetèrent des pierres sur leurs maris morts et leurs fils disparus, sur les champs abandonnés des métayers, sur les propriétaires qui demandaient leur part de récolte en temps de guerre, sur les rations de nourriture de plus en plus maigres, sur leurs enfants affamés, sur les nouvelles du front qui n'arrivaient jamais, sur les maladies qui s'abattaient sur eux, eux qui étaient fatigués, épuisés, amaigris, dépourvus de forces pour répondre aux perfidies du monde.
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Après les événements de la Villa Rossa, Lupo avait vraiment cru que la Révolution pouvait éclater. Pendant une semaine Ancône leur avait appartenu, les drapeaux noirs et rouges avaient été hissés aux clochers des églises et aux réverbères, des nouvelles victorieuses leur venaient de Romagne, le roi avait été mis en fuite, racontait-on, toute l'Italie s'était soulevée, on proclamait la République, les gens chantaient "La Marseillaise" dans les rues, les cheminots avaient fait grève en bloc, Malatesta avait instauré des postes de contrôle dans toute la ville, ils avaient mis les granges à sac et réquisitionné des armes, ils avaient fait comprendre qu'ils pouvaient faire mordre la poussière à cette Italie bigote, bourgeoise, mesquine.
À la fin, le rideau était tombé, au bout d'une semaine tous les foyers de révolte avaient été éteints, à Ancône, les magasins avaient rouvert, les trains s'étaient remis à circuler, les cloches à sonner, l'armée du roi était entrée dans la ville et les avait matés.
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Son père croyait qu’elle serait un garçon, et à sa naissance, après avoir jeté un coup d’œil entre ses jambes et compris qu’il y manquait quelque chose il était parti en claquant la porte, on ne l’avait pas revu jusqu’au lendemain.
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Sœur Clara le regarda quitter la pièce des registres et se laissa tomber sur sa chaise. Si elle n’avait pas été une femme de nerfs et de sang mais la petite flamme que sa mère laissait toujours allumée à la fenêtre, à présent, en silence, elle se serait éteinte.
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Une personne gêne, deux personnes dérangent, mille personnes font table rase de tout : les mots entendus dans les meetings lui revenaient inlassablement à l’esprit quand il se couchait le soir.
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Les yeux de Lupo balayaient les collines et les clôtures, leur terre des Marches où les forêts étaient petites et épaisses, où le blé était toujours soigneusement râtelé, leur terre bien entretenue, astiquée et lustrée, où chacun creusait, crachait, semait sur des lopins de plus en plus petits, ils allaient finir par se disputer les flaques et les plates-bandes, il n’y avait pas une parcelle sans barrières, pas un buisson abandonné, chaque pente était la vallée de quelqu’un, gare à vous si vous entriez dans le mauvais champ, ne laissez pas vos bêtes gambader dans les pâturages d’autrui.
Les seuls délits passés sous silence étaient ceux commis aux dépens des propriétaires par les fermiers et les paysans pour protester, les vaches abattues sans autorisation, les poules vendues au marché, le blé caché dans les faux plafonds : d’une manière ou d’une autre, il fallait bien résister, ne pas mourir.
Sous l’apparence lisse de leurs formes géométriques parfaites se cachaient le poison de la pauvreté, la triste faute des voleurs et des mendiants, les prières des brigands.
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Elle n’était pas née avec des rêves de famille, elle avait toujours désiré quitter la maison de son père pour entrer dans une autre qui ne soit pas celle d’un métayer de Serra de’ Conti, dès l’enfance elle avait refusé de devenir comme sa mère et comme la mère de sa mère, ces femmes qui savaient élever un agneau, plumer une poule, recoudre une blessure, tenir les vers à soie au chaud, ces femmes à cailles et à pigeons, qui ne pouvaient se rendre aux veillées qu’accompagnées.
Au mariage de sa sœur Agata qui avait épousé un paysan comme de rigueur, elle avait vu sa future belle-mère la dévorer des yeux, comme on convoite un objet pour l’enfermer ensuite à la cave.
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Si on va à l’école pendant deux ans seulement on sait compter sur ses doigts, quand on grandit et qu’on travaille à la journée les chiffres c’est l’argent gagné, on l’empoche et on le rapporte chez soi, lui quand il comptait moins de doigts il arrêtait de se présenter au travail, quand il en comptait plus il devenait soupçonneux parce que les patrons ne sont certainement pas là pour faire des cadeaux, s’ils donnent plus c’est qu’ils veulent plus.
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Le monastère n’avait jamais été fermé, les habitants de Serra y avaient toujours trouvé un refuge pour leurs confessions, leurs pleurs, leurs joies, leur faim.
Le monastère les couvait depuis ses hauts murs, aigle sur son nid il prenait appui sur ses pattes prêt à déployer ses ailes, à attaquer à coups de bec les têtes obstinées de ses ennemis, cette statue de pierre savait cependant étendre ses racines, s’agripper aux fondations des maisons, passer sous les rues, ronger la pierre et gagner la terre.
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De fait une règle très ancienne interdisait aux religieuses de voir les visiteurs sauf en cas de force majeure, et sœur Clara avait l’intention de respecter les coutumes qui les avaient maintenues en vie jusque-là : sans règlement elles auraient racorni dans leur bocal comme des coings privés de sirop.
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La fonction d’abbesse passait de femme en femme, une autonomie féminine conquise avec peine, une possibilité de se gouverner seules perpétuée avec dévouement.
Les religieuses se choisissaient leur guide elles-mêmes, la personne qui devrait surveiller les comptes, distribuer des tâches adaptées à chacune, redresser les parcours bancals, tirer de la torpeur les esprits égarés, et surtout ne pas se laisser tyranniser par le monde, parce que tous les jours ils seraient nombreux à venir frapper à la porte du monastère pour demander une audience, une aide, une prière, mais aussi pour insulter, railler, mépriser et elle, pareille à une digue, elle laisserait l’eau douce couler et repousserait l’eau malsaine en amont, elle tiendrait les marécages éloignés, permettrait aux affluents de courir à leur embouchure.
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