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Citations de Giulia Caminito (135)


La fonction d’abbesse passait de femme en femme, une autonomie féminine conquise avec peine, une possibilité de se gouverner seules perpétuée avec dévouement.
Les religieuses se choisissaient leur guide elles-mêmes, la personne qui devrait surveiller les comptes, distribuer des tâches adaptées à chacune, redresser les parcours bancals, tirer de la torpeur les esprits égarés, et surtout ne pas se laisser tyranniser par le monde, parce que tous les jours ils seraient nombreux à venir frapper à la porte du monastère pour demander une audience, une aide, une prière, mais aussi pour insulter, railler, mépriser et elle, pareille à une digue, elle laisserait l’eau douce couler et repousserait l’eau malsaine en amont, elle tiendrait les marécages éloignés, permettrait aux affluents de courir à leur embouchure.
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Lupo connaissait cette histoire par cœur, comme chacun d’entre eux, ils savaient tous ce que signifiait ne rien posséder hormis ses bras.
Chaque année, une très grosse moitié de la récolte des champs en métayage revenait au propriétaire, et le paysan utilisait ce qui lui restait pour replanter, affourrager, si bien que, de moins de la moitié, ce qui lui restait fondait à un tiers, c’est-à-dire pas assez, et personne n’arrivait à joindre les deux bouts.
Le propriétaire faisait la loi dans ses champs, il déterminait qui était autorisé à travailler et qui ne l’était pas, qui était autorisé à se marier et qui ne l’était pas, combien ils devaient être autour de leur table, le propriétaire chassait les enfants en trop. Les propriétaires étaient des étrangers, les terres confisquées aux prêtres, ni le roi ni le gouvernement ne les avaient distribuées aux gens.
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Parce que maintenant on est grands et que chacun doit avoir son lit, je suis à l’étroit avec toi, ne fais pas d’histoires, tu as presque treize ans, Nicola, tu dois dormir tout seul, tu es à trois pas de moi, je te chasse pas, il faut toujours que tu fasses un drame de tout, répondit Lupo sans bienveillance ni gentillesse mais avec colère, une colère qui n’était pas seulement dirigée contre Nicola mais contre le temps qui avait passé et les avait fait grandir sans lui demander son avis.
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Ça te ressemble bien.
Quoi?
De tirer et gagner.
Pourquoi?
Parce que tu es comme ça, tu as le courage de tout faire.
Je ne sais pas quoi répondre à cela, je ne me suis jamais considérée comme capable ou volontaire, j'ai toujours agi sur des impulsions, par convulsions, par revanche et par honte.
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Notre mère ressemble à une héroïne de bande-dessinée, à Anna Magnani au cinéma, elle braille, ne capitule jamais, cloue le bec à tout le monde.
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Moi j'ai été un cygne, on m'a implantée ici, j'ai voulu m'adapter de force, et puis j'ai agressé, je me suis débattue et bagarrée y compris avec ceux qui s'approchaient avec leur quignon de pain dur, leur aumône d'amour.
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Moi, je suis la femme brisée et opaque, celle qui se réfracte sur les surfaces, toujours visible qu'à moitié.
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Je me vois à quatre pattes dans la forêt, essayant de fuir mes responsabilités, celles de mes presque crimes, de mes mots de travers, de mes gestes furieux, de la tendresse que je n'ai pas su donner, de la tendresse que je n'ai pas pu recevoir, de mon avenir, c'est moi qui halète et me tapis, grogne, flaire, je ne veux pas qu'on m'arrête, qu'on me fasse un procès, qu'on m'accuse, puis je braque mon fusil, qui est corps, objet vivant, capacité et je vise, une des rares choses que je sache faire et que je saurai toujours faire.
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Je pousse un cri guttural, un appel adressé à quelque oiseau lacustre, je me feins espèce protégée, je me faufile comme une anguille, je m'imagine dotée de pattes palmées comme les mouettes, je retiens mon souffle et fais une cabriole sous l'eau, j'ai dû m'échiner et détruire, mais voilà le résultat: la félicité m'est due, à moi aussi.
Je bois une gorgée d'eau du lac et j'ai envie de ricaner: elle est douce, sucrée cette eau, cette bourbe, elle a un goût de cerises, de marmelade de clémentines, de chamallows, l'eau du lac est toujours douce, je crie à pleins poumons.
Encore: l'eau du lac est toujours douce.
Je crie à pleins poumons.
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Je commence à penser que c'est ainsi que les gens sont ensemble: comme des ombres.
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Là, à cet endroit, il y a une crèche, cinq statuettes de cette taille à peu près, elles ont été mises là il y a des années.
Nous sommes au bout du ponton, je reconnais l'endroit dans l'eau, au-delà des poteaux d'amarrage, d'où j'ai sauté: une zone d'algues et de pénombre.
Je lui dis que je connais cette histoire et que j'ai plongé et nagé par-là, je n'ai rien vu alors que c'était en plein jour et il réplique qu'elle est pourtant là, je n'ai pas dû bien regarder, les statues sont toujours là, elles veillent tous les jours de l'année sur Anguillara: elles sont visqueuses, rongées par l'eau, jaunies, ni les courants ni les poissons ne les font bouger.
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Je voudrais dire que nous mentons tous sur notre famille, c'est le repaire de nos mensonges les plus éhontés, où nous dissimulons note identité, où nous nous inventons des fables, où nous nous protégeons des injustices, nous faisons le plein de clichés et nous nous barricadons derrière les cris, les hurlements, les mystères; mais je n'en fais rien, je le regarde et demande: raconte-moi une autre histoire.
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Il m'a fallu ces heures interminables, ces journées traînant en longueur pour réussir à m'approprier un peu cet endroit, cesser de me sentir tout juste arrivée, en retard sur les mythes fondateurs, les légendes et les géologies.
Les gens d'ici te jaugent en fonction de ton degré d'appartenance.
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De retour à la maison, ma mère me l'a demandé sans atermoiements: quelque chose te tourmente? Dis-le-moi.
Non, rien.
Je me suis défendue, reprenant possession de cette rédaction où j'avais définitivement mis au pilori la jeune moi, l'enfance sans défense des jeux salubres, cette époque où je ne savais pas frapper et où j'attendais qu'Antonia me défende, où je courais la voir ou voir Mariano pour les informer des atteintes subies par ma petite personne garnie de mie de pain.
Mais peut-être que j'aurais dû hurler: c'est toi, c'est qui me tourmentes (...).
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Ma rage est couchée sur la terrasse, elle prend le soleil et fait des mimiques, elle rampe entre les ombres et passe sa tête par-dessus les épaules des lycéens, ma colère est crue, vive, elle a un visage, des cheveux et des mains, elle porte un jean usé aux genoux et sur son épaule un sac en cuir dont une couture a lâché, elle se distingue par son irrationalité, par ses vêtements mal assortis. Ma fureur est disproportionnée, elle a de très longues jambes, des oreilles minuscules et dociles, des pieds courts et poilus.
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Elle ne pense pas qu'ils sachent ce que signifie ne plus en pouvoir, après un deux trois quatre cinq dix assistants sociaux, après un deux trois quatre cinq dix bureaux de poste, après un deux trois quatre cinq dix avocats commis d'office, après un deux trois quatre cinq dix employés du service logement;, après un deux trois quatre cinq dix formulaires à remplir, après un deux trois quatre cinq dix amendes, factures, rappels, menaces.
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Elle me fourre le dictionnaire dans les bras et continue de sourire, un rêve fait briller ses yeux, alors je regarde l'endroit où elle pointe son index et répète: mélologue, je lis toute la définition à voix haute.
Je me retrouve engluée dans la joie de ma mère, après des mois de visage rembruni et de bribes de mots, je ne peux pas être responsable de sa tristesse, alors je feuillette et choisis un autre mot et, ainsi, nous restons en suspens dans ce temps qui est celui de ce que nous apprenons pour la première fois. A chaque mot que je prononce à haute voix, elle s'anime et le répète, avec son inflexion dialectale dont elle n'arrive pas à se défaire. Une force dynamique me pousse à rechercher sa satisfaction, m'éloignant d'autant de la mienne.
A compter du moment où elle m'offre ce présent, mon temps se densifie, mes révisions deviennent compulsives, destructrices, je n'arrête jamais, je ne crois pas être plus intelligente que les autres, au contraire, je mise tout sur l'application, je pars avec fougue à la conquête des notes, de six à six et demi, de six et demi à sept, de sept et demi à huit, quand la prof de grec me rend une copie où il y a écrit neuf, je bondis sur mes pieds.
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Mon nouvel établissement me rejette immédiatement, comme une sauce qui a tourné, un surgelé qui a fondu, et c'est précisément pourquoi je reste et m'accroche, avec mon sac à dos informe et mon cahier à la place d'un agenda, j'érige une barricade et je combats, quand je vois des champs de bataille je pars à l'assaut.
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POUR GRANDIR, il faut travailler dur, l’enfance est de courte durée, on ne sera pas défendu, soigné, abreuvé, lavé, sauvé pour l’éternité, pour chacun vient le moment de prendre son existence en main, et le mien est arrivé.
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Je pense que nous sommes du matériel de rebut, des cartes inutiles dans un jeu compliqué, des billes ébréchées qui ne roulent plus : nous sommes restés inertes par terre, comme mon père tombé d’un échafaudage inadapté sur un chantier illégal, sans contrat et sans mutuelle, et de là, de l’endroit où nous avons atterri, nous voyons les autres mettre des colliers de pierres précieuses à leur cou.
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