Bande annonce VO du film "Mothering sunday" adaptation du roman de Graham Swift, paru en francais sous le titre "Le dimanche des meres"
Nous sommes tous du combustible. Sitôt nés nous nous consumons, et certains d'entre nous plus vite que d'autres.
Normalement, on ne devait entrer dans les bibliothèques, oui, surtout dans les bibliothèques, qu'après avoir discrètement frappé à la porte, même si, à en juger par celle de Beechwood, il n'y avait personne la plupart du temps. Cependant, même sans personne à l'intérieur, elles pouvaient vous donner l'impression, plutôt désobligeante que vous n'aviez rien à y faire. Une bonne se devait toutefois d'épousseter -et Dieu sait ce que les livres pouvaient accumuler de poussière ! Entrer dans la bibliothèque de Beechwood revenait presque à pénétrer dans les chambres des garçons, au premier étage. L'utilité des bibliothèques, se disait-elle parfois, tenait moins au fait qu'elles contenaient des livres, qu'à celui qu'elles préservaient cette atmosphère sacrée de "prière de ne pas déranger" d'un sanctuaire masculin.
C'était le première fois qu'elle voyait un homme s'habiller, bien qu'elle fût en charge de s'occuper spécifiquement de vêtements d'homme et qu'au cours de cet été à la grande maison elle eût tôt fait de se familiariser avec l'étonnante variété de la garde-robe masculine, sa complexité et ses subtilités. Même si elle avait souvent eu, et dans les endroits les plus inattendus (écurie, serre, remise ou bosquet), l'occasion de trifouiller dans les vêtements de Paul Sheringham, alors qu'il les avait sur le dos, à condition -ou fort de l'assentiment tacite-, toutefois, qu'il puisse farfouiller dans les siens.
Elle pédala dur au début, puis se mit en roue libre et acquit de la vitesse. Elle entendait ronronner son vélo, elle sentait l'air gonfler ses cheveux, ses vêtements et, semblait-il, ses veines. Le sang chantait dans ses veines et elle en aurait fait autant si la force irrésistible de l'air ne l'avait pas empêchée d'ouvrir la bouche. Jamais elle ne saurait expliquer cette totale liberté, cette folle impression que tout était possible. Dans tout le pays, des bonnes, des cuisinières et des nounous avaient été "libérées" pour la journée, mais y en avait-il une qui fût aussi libre qu'elle ?
On n'entendait que le gazouillis des oiseaux au-dehors, le silence de la maison vide, un silence étrangement audible, comme si elle retenait son souffle, et les frissons de l'air sur leurs corps venus leur rappeler, même s'ils contemplaient le plafond, qu'ils étaient entièrement nus. (...) Elle ne voulait ni dire ni demander quoi que ce soit susceptible de mettre en péril la possibilité de rester ainsi pour toujours.
Et en quoi cela consistait-il, de dire la vérité ? (..)
Cela revenait à être fidèle à l'essence même de la vie. Cela revenait à capter, si impossible que ce fût, la sensation d'être en vie. Cela revenait à trouver un langage. Il en découlait que dans la vie beaucoup de choses - oh ! bien davantage que nous ne l'imaginons ! - ne sauraient, en aucune façon, s'expliquer.
À l'époque, elle avait compris que les livres étaient une nécessité, le rocher sur lequel était fondée sa vie.
Nous sommes tous du combustible. Sitôt nés, nous nous consumons, et certains d'entre nous plus vite que d'autres. Il existe différentes sortes de combustion. Mais ne jamais brûler, ne jamais s'enflammer, ne serait-ce pas triste ?
... elle était obsédée par le caractère changeant des mots. Un mot n'était pas une chose, loin de là. Une chose n’était pas un mot.
Elle supposait – et son visage ridé s'épanouissait à nouveau – que c'était là une situation très fréquente chez les êtres humains. D'être dérouté, de ne pas savoir que faire de soi.