Citations de Guido Morselli (31)
" Mettons de côté l'aliénation. Si vous demandez à ces jeunes filles qui descendent du trottoir et sont probablement des dactylos qui retournent au bureau : "Vous vous sentez aliénées? ", elles vous diront: " Nous nous sentons fatiguées." Posez la même question à cet homme qui est perché là-haut au volant de cet autobus, vous aurez la même réponse, et peut-être qu'il ajoutera: "Même s'ils me payaient dix fois plus, ce serait toujours une vie de chien." Maintenant , le véritable problème, le voici : le poids du travail, son caractère pénible, qui fait qu'on le ressent comme une condamnation, quand finira-t-il? Trouvera-t-on la quadrature du cercle, un genre de travail qui ne puise pas dans les réserves vitales? C'est comme parler de morts-vivants, une contradiction dans les termes!
La peur est une dictature
L'inexplicable, ce n'est pas l'inconnu, ce n'est pas le mystère, qui sur nous exerce un pouvoir d'attraction. C'est une chose différente, qui, lorsqu'elle prend de l'ampleur et perdure, désorganise nos schémas vitaux.
Nous tournons en rond dans nos actions comme dans nos apprentissages, nos émotions.
Il avait dit une fois (au même Reparatore qui, vieux renard, l'écoutait avec indulgence): "Si ça m'était arrivé il y a deux ans, l'année dernière, ce qui nous arrive à tous à la Chambre, de devoir rester une journée muet et raide comme un clou à écouter des gens qui tiennent toujours les mêmes propos creux, je jure qu'alors je ne me serais pas résigné. Maintenant cela me semble naturel. Qu'est-ce que ça signifie, que je me suis fait malin ou que je suis devenu un crétin?"
Pour ma part, en tant que monade intellectuelle sans ouvertures ni charges, je ne me posais pas la question, au contraire: je rendais un hommage tacite à la bonhomie bourgeoise (garnie d'égoïsme, fourrée d'optimisme et matelassée de nationalisme) grâce à laquelle les marais sociaux se changent en petits lacs alpins bien bleus.
Je quittais ma couche herbue pour enlacer les mélèzes, ce que je faisais déjà adolescent, et dans le même but précis : me laisser pénétrer par leur force vitale.
Ce matin, à Widmad, j'ai cassé la vitrine d'un magasin pour prendre deux pamplemousses; en ma qualité d’historien, je noterai que l'Anarchie s'est installée avec l'écroulement de son ennemi principal, le principe de propriété. Et, dans le même temps, s'est installée la Monarchie dans sa valeur la plus catégorique, tout le pouvoir à un seul. Anarchie et Monarchie coïncident , à présent, et en moi. Nul ne dispose de moi et je dispose de tout.
Je survis. J'ai donc été choisi, ou j'ai été exclu.(....)
L'alternative est absolue, mais il m'est permis de choisir. Moi, l'élu ou le damné. Avec cette particularité curieuse qu'il dépend de moi de m'élire ou de me damner. Et il faudra que je me décide. Baudelaire le mage a beau dire :"Plonger au fond du gouffre. Enfer ou ciel qu'importe? Au fond de l'inconnu..." Eh non! de la blague tout cela. Cela importe. Cela importe.
Mais chaque matin c'était une nouvelle exaltation, et pas seulement du contentement, mais aussi de l'anxiété et de l'étonnement, de l'allégresse et de la peur. "Je n'y crois pas, je n'arrive pas à y croire." En somme le bonheur, qui n'est pas vrai s'il ne vous touche pas, s'il ne se contredit pas, incrédule.
-Qui sait, me réponds-je. Dans toutes les représentations de la mort souffrante au-delà des flammes, on trouve le gel. Je ne me résigne pas à le croire, mais il se peut bien que je sois mort, moi aussi, comme les autres.
Et pourtant, je respire, je bouge. Il y a quelques instants, j'ai mangé du chocolat.
- IL ME SEMBLE que je respire, que je mange. C'est une illusion.,
Pour vivre poétiquement la nature, il me fallait quelqu'un à qui la disputer, quelqu'un à tenir à l'écart?
Découragement: la nature était belle et impressionnante, mais remplissait une fonction asociale. Elle impliquait , négativement, l'existence de l'homme. Je la voulais, moi, inviolée , mais violable.
Je me pose cette question: pour en jouir, fallait-il qu'il y ait des écriteaux: "Défense d'entrer?"
Notre aspiration à posséder matériellement une chose ou une personne dissimule, à quelques nuances près, notre intention de nous en libérer, de passer à autre chose
Dans ce monde, il n'y a pas d'éternité, il n'y a que des instants, aussi incalculables soient-ils.
Chacun d'entre nous est rivé à son minuscule fragment de réalité et, de fait, n'en sort pas.
Amoruso se réservait le dernier mot.
-Nous, nous sommes socialistes, donc nous sommes des croyants, nous attendons un changement dont beaucoup de nous savent qu'il ne changera pas la substance de la vie. Ce sera la fin d'une certaine catégorie d'égoïsmes, et c'est déjà beaucoup. C'est pour cela que nous devons être socialistes. Sans nous faire d'illusions.
Partir, donc, et sans laisser de traces. cela m'a semblé essentiel. Les gens , si d'ailleurs ils devaient s'en préoccuper, concluraient à une disparition définitive. Ou mieux à une mystérieuse annihilation, à une dissolution dans le néant.
Parce que le suicide requiert un destinataire, ou des destinataires. Quelqu'un que nous décidons de punir, ou, à l'inverse, d'instruire. Ne disposant pas de destinataire, je ne puis plus me tuer, de la même façon que je ne puis plus envoyer de télégrammes.
Le train donne l'idée du provisoire, mais aussi de la mobilité, de la fuite virtuelle.