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Citations de Guillaume Le Blanc (86)


La nuit lisboète coule dans mon corps. Dormir est devenu une opération réservée aux dieux. Je récite à haute voix des vers de Pessoa. "Un éclat de rire de jeune fille retentit dans l'air du chemin. Elle a ri des paroles de quelqu'un que je ne vois pas. Il me souvient d'avoir entendu. Mais si l'on me parle maintenant d'un éclat de rire de la jeune fille du chemin, je dirai : non les montagnes, les terres au soleil, le soleil, la maison que voici et moi qui n'entends que le bruit silencieux du sang qui bat dans ma vie des deux côtés de ma tête." Je m'endors en pensant au gardeur de troupeaux, Fernando Pessoa.
Je suis venu à Lisbonne, je me l'avoue seulement maintenant, pour tous les écrivains que j'aime. J'ai accepté ce travail de serveur, moi qui aurais ri il y a quelques années si l'on m'avait dit qu'un jour je serais serveur, pour être près de Pessoa, d'Antunes, de tous les écrivains qui forment une pile à côté de mon lit et m'aident à traverser la nuit.
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J'aime Lisbonne aux ruelles détrempées, dégringolant vers le Tage dans un charivari de voitures, de linges humides, de ferronnerie rouillée. J'aime Lisbonne, tachetée de couleurs ocres et rouges, aux poumons noircis par les gris insaisissables du ciel, de l'eau, des rues. J'aime Lisbonne, solitaire en ses palmiers brunis par le soleil, Lisbonne aux murs vérolés, Lisbonne des antennes paraboliques sur les balcons défoncés. J'aime le Musée d'Art Antique mais plus que tout j'aime les nuages au-dessus des façades, le petit peuple lisboète sous le chapiteau céleste, les joueurs d'échecs à deux pas du Cimetière des Plaisirs, les travailleurs austères et impeccables qui se croisent sans se connaître, le parc Edouard VII dont la serre aux essences exotiques de l'Estufia fria et quente finit par disparaître derrière des allées aux essences péruviennes, australiennes, chinoises, dans une jungle de poche où voyager rime avec rester immobile.
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Là se trouve le paradoxe du travail. Chacun se rend dépendant, s'attache à un ensemble de contraintes pour, en retour, s'essayer à l'indépendance, à l'autonomie. Tu découvres là la grandeur et la misère du travail, misère de la dépendance, grandeur de l'indépendance. C'est lorsque l'une est le moyen de l'autre que le travail se voit justifié non comme but de la vie mais comme moyen d'une vie indépendante. Le travail ne rend pas nécessairement libre mais il crée les conditions de la liberté pourvu que la vie elle-même ne soit pas amputée par la pénibilité ou la trop grande absence de sens du travail. C'est seulement quand le travail peut être pensé comme moyen d'une fin plus vaste qu'il trouve toute sa valeur.
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Tu n'es pas de Lisboa, tu as simplement grandi dans son ombre, à deux mille kilomètres de là, dans le département de Vendée qui ne ressemble pas, même les yeux fermés, à la moindre parcelle de terre portugaise. Tu étais en classe de terminale quand tu découvris Fernando Pessoa. Tu t'ennuyais dans la cour de récréation, chaque jour la sonnerie retentissait, les cours ressemblaient aux cours, tu pensais à tes prochaines vacances à Lisbonne, au visage de Pessoa. Tu ne connaissais rien au Portugal mais tu pressentais que tu deviendrais Héléna Silva à force de voyages à Lisboa et de querelles internes qui disposaient de ton esprit comme de tes rires.
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Dans ton journal, tu mentionnes le guide de Lisbonne écrit par Pessoa. Tu recopies une phrase : "Lisbonne, même de loin, s'élève comme une ravissante vision de rêve, et se découpe clairement contre le bleu vif du ciel que le soleil réchauffe de son or. Les dômes, les monuments, les vieux châteaux font saillie au-dessus du fouillis de maisons et semblent être les lointains hérauts de ce séjour délicieux, de cette région bénie." Ce n'est pas le Fernando que j'aime, le vieil oncle d'Antonio. Le vrai Pessoa se promène dans les rues de la Baixa dans un costume sombre, à l'écart des monuments et des châteaux, attentif à tous les écoulements. Invisible aux touristes tranquilles qui s'attardent devant les cartes postales de la ville, il arpente les rues de Lisbonne, promeneur inquiet, écrit chaque jour, assis à son petit bureau de bois, le livre de l'intranquillité.
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ce qui est révélé dans la division entre précaires et non-précaires, c’est bien plutôt une nouvelle division à l’intérieur du régime des inclus, la précarité étant en quelque sorte située entre l’inclusion et l’exclusion. Le précaire,
c’est celui qui est dedans tout en étant vu comme étant potentiellement en dehors, c’est celui qui est considéré comme étant dehors du fait même qu’il est dedans.
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Chaplin est le sociologue des commencements de l'Amérique. Comme Simmel, il s'intéresse aux pauvres et aux étrangers.
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Lisbonne est une ville suspendue entre le ciel et l'eau, une ville de jardins et de belvédères, une ville de cimetières. Si tu crains la mort, Lisbonne n'est pas pour toi. Si tu crains la vie, Lisbonne ne te dira rien.
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Tu sais déjà que le travail est une affaire de matière, de corps fatigués, soumis à des cadences toujours plus rapides. C'est pourquoi il ne peut être compris seulement en fonction du salaire. Car il prend du temps dans une existence. Le travail t'apparaît alors comme une contrainte vitale. Sans lui, tes parents ne pourraient tout simplement pas vivre de la manière dont ils vivent aujourd'hui. Pour autant, avec lui, c'est un cahier des charges drastique qu'il faut honorer et ceci passe toujours par l'établissement d'un nouveau monde qui peut avoir sa beauté gestuelle, psychique mais qui est également créateur de souffrance.
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Hannah Arendt, autre exilée américaine, ne s'y est pas trompée. Elle décrit Charlot comme celui qui "est au ban de la société" et qui "mène une vie qu'il ne peut pas contrôler".
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Le cinéma est, dès les origines, une sociologie des images.
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Le parlement des précaires est une création de Charlot. Il les représente comme nul autre car il s'emploie à garder l'équilibre quand tout conspire pour le mettre à terre. S'efforcer d'apparaître veut dire trouver le fil suspendu dans le vide sur lequel il est encore permis de s'aventurer et de marcher, se créer une zone aménageable.
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Une vie est-elle nécessairement une vie au travail, une vie en travail ? Faire quelque chose de sa vie plutôt que rien, est-ce nécessairement transformer ce "faire" en activité rémunérée, quotidiennement répétée, inscrite dans un rythme doublement binaire : semaine/week-end, année/congés ? N'y a-t-il pas là un risque quasi mortel de passer à côté de sa vie à force de la voir ainsi filer et prendre la tangente ?
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Charlot barbier parle au nom de tous ceux dont le nom est congédié de l'histoire. Il donne voix à l'absence de trace des sans-voix.
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Le "care" de Charlot le barbier provient de la fragile cohabitation des vies. Cette philosophie du soin mutuel est la part injustement sacrifiée par la rationalisation des économies et la mécanisation des sociétés.
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Il existe, après Platon, un art de l'invisibilité qui s'appelle Chaplin. Si Gygès, grâce à l'anneau, au début du livre II de La République, découvre qu'il peut grâce à une bague découverte par hasard devenir invisible, voler, tuer, donner libre cours à tous ses désirs et ainsi exercer grâce à l'invisibilité un pouvoir sur les autres, une manière de gouverner les autres sans se gouverner soi-même, l'invisibilité de Charlot ne relève absolument pas de ce pouvoir sur les autres. Elle est, tout au contraire, repliée sur son absence de pouvoir.
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Si la sublimation est la condition la plus fondamentale de notre vie psychique, ceci revient à dire que la vie psychique ne peut se réaliser que dans l'errance, dans les déplacements non cadrés qu'elle institue. L'homme normal est paradoxalement un homme sédentaire dont l'activité mentale consiste à refuser tous les mouvements qui ne rentrent pas dans la norme qu'il s'est lui-même fixée. La maladie de l'homme normal est une maladie de l'homme immobile. Savoir bouger dans sa tête c'est contribuer à lever cette maladie.
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Le fait que des vies ne soient pas soutenues alors que d'autres le sont accrédite l'idée que toutes les vies n'ont pas la même valeur. L'impulsion hospitalière est suscitée par ces ontologies différenciées de l'humanité. Elle naît de la certitude sensible que n'importe quelle vie équivaut à n'importe quelle autre vie.
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Je nomme hypothèse démocratique l'idée que la contestation des normes du commun est justement ce qui rend le monde encore plus commun. Charlot est l'homme de cette hypothèse.
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Dans le monde rêvé de Chaplin, les vies bucolisent après le travail, s'attardent dans la douceur et la bonne humeur des cartes postales d'autrefois. C'est une sorte de paradis rousseautiste où tout est à sa place mais où rien n'est en excès.
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