Une mise en lecture d'Onil Melançon du roman CHERCHER LE VENT de Guillaume Vigneault, édité chez Boréal. Une présentation des comédiens Kevin Houle et Jonathan Slavas.
C'est un crayon de bois
Qui va sur le papier
Raconter une histoire
Quand nous ne serons plus
Qu'un joli souvenir
Dans la tête d'un merle
Ou s'un rossignol roux ?
Eux qui, un soir d'été,
Chanteront la chanson
Que le crayon de bois
Mettra sur cette feuille
Ainsi nommée aussi
En mémoire de nous.
Atterrir est un abandon, un abandon calculé, préférablement précis, délicat, mais un abandon tout de même.
Parfois, à l'aube, il m'arrivait d'aller boire mon café au centre du lac nappé de brume, dans le canot. C'était une des sensations les plus étranges qui soient, comme une bulle hors du temps ; l'impression de flotter entre deux mondes, de ne faire, en vérité, partie de rien. La paix la plus intense que j'aie connue, jusqu'à en devenir insupportable, comme frôler le néant, sentir sa caresse. ça me mettait dans un drôle d'état qui durait souvent le reste de la journée. Je ne faisais pas ça tous les matins.
C'était d'un comique inexplicable. C'était rassurant aussi. Je me sentains comme un type qui ne bande plus, qui contemple l'horizon de sa vie, en songeant qu'il n'y a jamais eu de raison valable pour bander de toute façon.
J'avais besoin de sommeil. Encore. Il n'y a pas d'avenir, dit le Yi-king ; il n'y a que le flux éternel du présent. C'est très bien qu'il n'y ait pas d'avenir et tout ça, mais il faut tout de même dormir de temps à autre si on veut que ça continue. Il y a des hasards nécessaires, avait dit May, et il y a ceux qui les flambent.
On commençait juste à être bien. J'avais fait les truites en papillote, avec de l'huile d'olive et de la ciboulette. On avait joué trois parties d'échecs, Tristan en avait gagné deux. Il avait la faculté exaspérante de se concentrer totalement, de se laisser absorber par le jeu comme une sorte d'idiot savant, un autiste génial ou quelque chose du genre. Il laissait des cigarettes se consumer dans le cendrier, il oubliait par instants de respirer, lisant le jeu à une vitesse folle, semblant sans cesse fomenter des scénarios de jeu par dizaines.
Après les échecs, qui m'avaient épuisé, on s'était mis au porto, un petit Graham's de dix ans. Tristan lisait Dickens, j'écoutais Bach. La grande classe. Il ne nous manquait que les cigares, les pyjamas de flanelle et un basset nommé Georges. On commençait tout juste à être bien.
Ma gorge s'est resserrée. Et pourtant, ce n'était rien. c'était la vie, qui se déroulait bêtement, sans surprise. La vie, celle qui nettoie derrière soi les miettes de pain qu'on a laissées tomber Le vent et les traces du loup dans la neige. Ce n'était rien.
J'avais envie d'oisiveté, et l'idée de ne rien faire de ma journée me comblait d'aise. Cela prenait l'allure d'un projet, et en tant que tel, il en valait bien un autre, à la différence que mes chances de succès étaient bonnes.
Tant qu'il reste de l'eau
Les racines la trouvent
Sans souci de savoir
Si leurs travaux secrets
Feront sève et feuillage
C'est aux branches de voir
Et chacun fait son bout
De chemin vers l'azur
Les racines d'hiver
Plongent dans le ciel noir
Et, la nuit, vont chercher
Les grains de lumière
Qui font luire les feuilles
Au printemps.