Habib Selmi

Je sais bien qu’appeler les domestiques par leur prénom est une forme de familiarité qui efface la distance censée exister – ou qu’il est préférable de garder – entre ceux-ci et leurs patrons. Cela peut les encourager à se comporter de manière inconvenante, à dépasser les limites, voire pire. Certes, Zohra ne travaille pas chez moi mais chez Mme Albert, mais cela ne change rien à la question car, au bout du compte, elle est femme de ménage, et tout le monde le sait dans l’immeuble. Pourtant, si j’ai pris cette décision, c’est par égard pour elle, non seulement parce qu’elle est tunisienne, mais aussi parce que c’est une femme qui mérite cela.

Pour tout dire, c’est l’attitude de Zohra qui m’a changé. J’étais sûr qu’elle avait remarqué mon trouble, et peut-être même la gêne que je ressentais – elle semblait être une femme intelligente et sensible –, pourtant elle a continué à me saluer et à s’adresser à moi avec une grande courtoisie. De jour en jour, j’étais de plus en plus convaincu de ce que j’avais perçu depuis que j’avais commencé à m’intéresser à elle : qu’elle avait des qualités qui ne pouvaient que forcer l’admiration, même chez les Français qui haïssent les Arabes.

On dit qu’il était buveur et violent, et qu’il côtoyait les proxénètes et les dealers. Après avoir rencontré puis épousé Zohra, il a beaucoup changé. En quelques années, il a réussi à mettre de côté une somme assez conséquente ; grâce à l’obtention d’un petit prêt, et avec l’aide des usines Renault, il a donc pu acheter cet appartement. C’était il y a plus de trente ans, à une époque où le quartier était encore pauvre et où le marché immobilier était en stagnation.

On dit que Mme Albert aimait les hommes, qu’elle s’est éprise de nombre d’entre eux, mais qu’elle ne s’est jamais mariée. Cela ne la dérange pas qu’on l’appelle mademoiselle Albert plutôt que madame Albert mais, par respect, aucun des habitants de l’immeuble ne se permet de le faire. Au demeurant, qualifier une dame de quatre-vingt-dix ans de demoiselle est un peu étrange.

Certes, tous les Français ne sont pas blancs, blonds, aux yeux bleus, il y en a même qui, dans une certaine mesure, ressemblent aux Arabes ; néanmoins, il y a une nette différence entre ces Français-là et moi.

Et c'était bien cela. Pendant quelques mois nous avons été à nouveau heureux, notre amour était redevenu sincère et joyeux comme au début. Puis les disputes ont repris. Marie-Claire a passé encore une nuit dehors, puis une troisième, une quatrième. Et un jour elle est partie. Tout simplement. Cela lui a été très facile de me quitter, je n'imaginais pas que cela puisse l'être. Tellement facile que je me dis que rien n'est plus fragile qu'une relation amoureuse entre un homme et une femme.

Alors, tais-toi Mahfouth, ne dis rien, attends que la tempête s'apaise en toi, essaie de te souvenir du passé, comme la première année, quand le petit-déjeuner durait trop longtemps. Choisis un seul événement, essaie de te concentrer sur lui. Tu peux penser encore au jour où ta mère est morte. Ou bien, récite-toi tranquillement les vers des poètes-brigands, tu es comme eux en fin de compte. Ils erraient dans des lieux déserts et hostiles, et toi tu es seul dans cette ville qui ressemble à un labyrinthe.

La conversation a sa logique propre, personne ne peut la conduire là où il veut surtout en telle situation, et nous sommes souvent passés d'un sujet à l'autre ... Pas un instant nous n'avons rompu le fil : quand elle se taisait, je parlais, si je me taisais, elle parlait. Un peu comme si nous avions passé un accord, comme si nous craignions de ne pas bien nous comprendre, d'oublier quelque chose si nous laissions place au silence. Et après cette première rencontre, dans ce café où j'étais rentré par hasard, j'en savais beaucoup sur la première femme qui ait compté dans ma vie.

Il tenait à ce qu’elle eût beaucoup de bijoux, non seulement parce qu’il l’aime et qu’il veut qu’elle soit la plus belle des femmes, mais aussi parce qu’il croit que dans ce monde incertain il n’y a pas mieux pour tout un chacun que d’avoir sous la main quelques bijoux. Le marché de l’or se portant toujours bien, il lui serait toujours possible de les revendre et de subvenir à ses besoins, si nécessaire.

Un homme est un homme ! Mais il faut que la femme l’aide… La nuit de noces est une nuit difficile… Et il n’y a pas un seul homme sur terre qui ne la craint… qui n’a pas peur d’y mettre beaucoup de temps… qui ne redoute qu’on dise de lui qu’il n’est pas un vrai mâle !

La nuit de noces n’a pas de pareille dans la vie d’un homme. Elle est plus importante que mille autres nuits. Ce qu’il s’y passe est exceptionnel et rare, car un homme ne déflore sa femme qu’une seule fois dans sa vie. C’est pourquoi il ne choisit pas n’importe qui pour tenir le rôle de “ministre” et assister de près à tout ce qui se passe au cours de cette nuit, mais une personne parmi ses plus chers amis, sur laquelle il peut vraiment compter et en qui il a une confiance absolue. Il faut néanmoins reconnaître qu’il avait accepté cette mission pour une autre raison aussi. La femme dont il devait superviser la défloration n’était en effet pas n’importe quelle femme. Il s’agissait de Mabrouka, qui aurait pu être sa propre femme s’il avait osé le lui demander et se fiancer avec elle.

Il n’avait pas encore suffisamment fréquenté les femmes pour devenir expert dans leurs affaires intimes même si, les années passant, il sait maintenant qu’il est très difficile pour un homme de s’y connaître dans un domaine aussi obscur et complexe que celui de l’intimité d’une femme. Dieu les a conçues ainsi pour une raison que Lui seul connaît, loué soit-Il.

Quelle créature étrange que l’homme ! Qu’il peut être corrompu, vil et ignoble ! Il se sent honteux, et il est saisi d’une vive douleur. Alors il se retourne et regarde derrière lui. La route est toujours déserte, il n’y a personne dans les champs avoisinants.
Mustafa la regarde de nouveau, et il se souvient de ce qu’il considère comme son plus grand secret, un secret qu’il ne divulguerait à personne, quand bien même il n’aurait plus que quelques années à vivre. Il se souvient qu’à une certaine période de sa jeunesse, il avait envisagé de se fiancer à Mabrouka.

C’est elle, la femme qu’il a désirée par deux fois il y a très longtemps. C’est elle, la femme dont on dit que c’est lui qui l’a déflorée la nuit des noces. Elle a assurément entendu parler de l’histoire du café, comme tout le monde au village. Désormais, quel regard va-t-elle porter sur lui ? Cette étrange histoire a certainement dû la choquer et lui faire du mal, à elle aussi. Depuis qu’elle lui est parvenue, elle a dû à maintes reprises repenser à ce qui s’était passé au cours de cette lointaine nuit, et elle a peut-être découvert qu’il l’avait désirée, ou peut-être aussi qu’il avait entraperçu ou vu une partie de sa nudité quand il avait glissé sur la natte.

Quand il la voit, il sent frémir tout son corps. Il n’a plus éprouvé pareille émotion depuis des années. Pourquoi se hâter ? Pourquoi ne pas profiter de cette agréable surprise. La route est déserte et, à cet endroit, il n’y a personne d’autre qu’eux deux. À cette heure-ci, Béchir se trouve au souk et il ne devrait pas rentrer au village avant midi.

Il connaît bien ce maudit désir qui s’empare de l’homme à l’aube, dès le réveil, mais il a la chance d’avoir une femme, Mabrouka, qui ne lui a jamais dit non. Quand il la réveille et qu’il se colle à elle par-derrière, elle comprend qu’il la désire et elle se retourne de son côté sur-le-champ.

Le thé que les gens boivent aujourd’hui est aussi sucré que le miel. Et pour la santé, il n’y a pas pire que le sucre.

Il vaut mieux, pour une fois, passer outre l’impolitesse et l’arrogance de Mahbouba. Il n’a d’ailleurs pas d’autre choix. Pour s’y résoudre, il doit faire preuve de patience et, surtout, ne pas oublier qu’elle s’est comportée comme toute femme l’aurait fait. Tout le monde le sait, les femmes sont faibles et cèdent à leurs pulsions. Un homme raisonnable et réfléchi, comme lui, ne peut prendre au sérieux ce qu’elles racontent ou chercher à les contredire.
— Cette histoire est un pur mensonge, dit-il sans la regarder, avant d’ajouter à voix haute : Et ceux qui la colportent sont des vauriens !

Il est vrai qu’elle n’est pas jolie. Sa peau n’est pas blanche, ses cheveux ne sont pas doux, et les traits durs de son visage tiennent davantage de la morphologie des Noirs que de celle des Blancs. Il est vrai aussi que ses fesses ne sont pas suffisamment grosses et rondes mais, il faut l’avouer, sa poitrine est magnifique. C’est même la plus belle poitrine de toutes les femmes du village. Elle a de gros seins, ronds, souples et doux et, si incroyable que cela paraisse, ils ne tombent pas vraiment, comme c’est habituellement le cas chez les femmes de son âge. Ils sont encore relativement fermes et denses.
Il ne cesse d’être épaté par ses deux gros seins. N’étaient ses seins, il n’aurait pas supporté de vivre avec Mahbouba durant tant d’années. Il faut dire qu’il a toujours été attiré et séduit par les seins, et cela depuis son enfance. Au début, il éprouvait un énorme plaisir à les regarder, à cause de leurs formes qu’il trouvait singulières et étranges. Par la suite, en grandissant, il a découvert que c’était la partie la plus excitante du corps des femmes, bien entendu après les fesses qui demeurent sans égales. Il lui suffisait de tenir le mamelon gonflé entre ses doigts pour que s’éveille son désir.

Ce n’est pas la première fois qu’il lui ment et qu’elle s’en aperçoit. Elle est douée d’un sixième sens qui lui permet de “sentir”, comme elle le dit, ce genre de mensonge. Mais malgré cela, il ne lui a jamais avoué qu’il mentait. Pas par crainte de sa réaction, mais parce qu’il pense que l’homme, quel que soit son statut, doit cacher ces choses à sa femme.