Hal Duncan aux Utopiales 2009
"... une carte en feu. Chaque épopée devrait s'ouvrir sur une carte en feu, disait toujours mon ami Jack. Comme dans les films. Des putains de flammes consumant le monde ! Ce que je préfère dans les vieux films, c'est le moment où la vieille carte sur parchemin se met à... foncer au milieu, de plus en plus. Elle se carbonise, se froisse et soudain, pschitt, plus rien !"
C'était ça, Jack. Quand on lui demandait ce qu'il voulait pour son anniversaire, il répondait "une explosion".
Alors sauvez votre peau, si vous le pouvez! Moi, je m'accomoderai de ma situation présente, jusqu'au jour où les ducs détourneront leurs esprits de la haine. Car que peut faire un seul homme contre tout un système, contre un monde dirigé par les riches et les puissants, contre ces nouveaux seigneurs siégeant tout-puissants sur leur trônes? Bon Dieu, on dirait que ces putains de cieux eux-mêmes, et Dieu et tous Ses foutus anges, on dirait qu'ils sont du côté de ce qu'il y a de pire en nous. Faudrait vraiment être un crétin pour vouloir se dresser contre ça! se dit-il.
Seven repère juste en dessous l'ombre qui occupe le siège placé en tête de table. Un cadavre comme les autres, s'imagine-t-il d'abord, sauf qu'il est enchaîné et que... ce fils de pute... il bouge ! Sa tête roule en avant puis se redresse. Il regarde Seven, ce...
... guerrier d'or radoteur imbécile lobotomisé imbibé du sang des enfants torturés des victimes hurlantes beauté qui rit qui brûle qui hurle cités en flamme et...
Merde ! Putain de bordel de merde ! Aplati contre le mur, Seven recule en se débattant mentalement pour ne pas sombrer dans la folie. Il s'efforce de contenir sa nausée, sa panique, ce putain de transport pur et simple créé par la terreur. Il ne sais pas ce que c'est, ce machin, et il ne veut surtout pas le savoir, putain !
Presque tout le monde possède une sorte d'empreinte, lui a expliqué Finnan. Chez certains, elle est gravée si profondément qu'ils en oublient qu'il y a un eux en dehors de cette petite marque. Elle est gravée si profondément qu'elle agit sur la réalité elle-même ; on peut la voir dans l'air qui les entoure, la sentir dans le vent. Ils ont dans le cœur un trou qui mène droit en enfer, ou droit au Paradis. A l'autre bout c'est si brillant, si sombre, si pur, putain, qu'ils laissent cette chose les envahir et parcourir le monde dans leurs corps. Des anges, des démons.
Je franchis d'un bond la porte fracassée du vaisseau aérien, et derrière moi toute la structure couine, se déjette. Les réservoirs en forme de zeppelin se rompent en libérant des émanations saturées d'orgone, vapeur bleu-vert sinistre et délétère. Le compartiment se lézarde et grince quand ce bâtiment d'un poids énorme perd l'équilibre. Ses gyroscopes devenus fous, le vaisseau blessé se couche sur un aérotrain plus petit. Les fils métalliques et les câbles cèdent, fouettent les airs ; l'un d'eux me frôle de si près que je parviens à l'attraper. Je me balance ; un arc électrique d'étincelles jaillit de mes bottes cavalières en peau de serpent. La deuxième bombe explose.
Nous sommes en 1999. Putain, c'est tout le temps 1999.
Tous les dieux possèdent une demeure mais toute demeure finit par s'écrouler.
Il y a donc Henderson. Henderson, de la Nouvelle IRA. Sa marque, il l'a découverte grâce à une voiture piégée par la Main de l'Ulster. Il a vu l'éternité en regardant sa femme par la fenêtre aux rideaux de dentelle d'un pavillon de banlieue, sa femme qui fait monter le chien à l'arrière du véhicule puis claque la portière, contourne la voiture jusqu'au siège conducteur et lui jette un coup d’œil, le visage sans expression sous le coup de l'émotion (elle partait s'installer chez une amie, oh, juste pour un moment, lui avait-elle dit), et puis qui monte dans l'auto, claque la portière, met la clé de contact... Ce n'est pas parce qu'il l'aimait, même s'il l'aimait de tout son cœur ; c'est parce qu'il l'avait haïe juste assez pour avoir pu saisir, quand le double vitrage lui a explosé au visage, l'absolue et brutale esthétique de l'instant.
Une beauté terrifiante vient de naître.
La sagesse ne ressemble à aucun fruit, car quand on y a goûté, on connait une faim inextinguible.
« Disons que je suis ta sœur, en quelque sorte. Quelle importance ? Quelle importance que je sois ton second moi au deuxième degré ou... autre chose ? Tu veux forcer le passage vers l'autre côté ? Pense à moi comme au... pied que tu vas lancer dans la porte. Je suis une partie de toi, c'est vrai. Je suis une partie de beaucoup de gens, en fait. »
Madame Iris laisse retomber le voile sur son visage, mais elle ne reprend pas son accent et ses paroles sont sincères.
« Je suis la partie de toi qui se nourrit de poussière et de cendres dans les ténèbres, la partie qui meurt, la partie qui est morte, et la partie qui sera morte pour toujours.
- Tant mieux. Vous allez m'aider, alors. »
Il y a de la magie dans la peau, les os et la poussière des cimetières, c'est évident, mais il faut bien vivre avec son temps.