Syrie : femmes dans la guerre
Au début de la révolution, on avait caché les livres religieux de mon père par peur des perquisitions du régime et maintenant ma mère me demande de cacher mes livres de philo à cause de Daech... Vive la liberté !
Pourtant, ici, ce ne sont pas les missiles qui tuent, ni les balles, ni les obus. À Raqqa, les gens meurent d’humiliation et de soumission.
En Syrie, le temps ne passe pas. Il s’écoule goutte à goutte et s’immobilise souvent. Sa mesure est l’éternité. On a beau prévoir des activités, sortir, rentrer, travailler, faire des courses ou la sieste, quand on regarde l’heure, elle avance à peine. Même dans les plus grandes villes, Damas ou Alep, où les trajets sont longs et les occupations variées, la matinée prolonge le matin et, entre l’après-midi et la soirée, se cale l’équivalent d’une journée supplémentaire.
Des rassemblements joyeux se tiennent tous les jours dans les rues. Les jeunes militants, qui appelaient à la liberté sans y avoir jamais goûté, la savourent avec intensité. On chante et on danse partout. La liberté se révèle encore plus belle que dans leurs rêves. Ses potentialités sont sans limites dans une grande ville sans maître.
Maître absolu de Raqqa, Daech met en place son système totalitaire. Directives et interdictions s’abattent sur la ville avec la pluie glaciale de janvier. Elles sont signées et publiées par le Tribunal islamique déjà installé. L’une des premières obligations concerne la suspension de toute activité au moment des cinq prières de la journée. Aussitôt après l’appel du muezzin, les magasins sont sommés de fermer, les voitures de s’arrêter et les hommes de se rendre à la mosquée la plus proche. La hisba, ou police islamique, sévit dans les rues pour faire observer la loi. Ses hommes ne sont plus cagoulés mais montrent a contrario leurs longs cheveux et leurs barbes fournies. Armés de grands bâtons, ils effraient la population, frappent sur les vitrines des magasins qui ne ferment pas à temps, sur les capots des voitures qui continuent de rouler et parfois sur le dos des commerçants ou des automobilistes. L’interdiction totale de fumer est certainement vécue comme la pire oppression par les Syriens qui sont de grands amateurs de tabac. Les vendeurs de cigarettes à la sauvette sont pourchassés et leur marchandise confisquée ou brûlée sur place. Une tenue réglementaire est imposée aux femmes : noir intégral de la tête aux pieds. Une abaya ample descend le long de leur corps jusqu’au sol, un voile épais couvre la tête et le visage, percé d’une petite fente horizontale pour les yeux. La fente doit leur permettre de voir leur chemin mais, en voiture, elles doivent porter un voile supplémentaire pour se couvrir les yeux. Un délai de quelques semaines est accordé aux femmes pour s’équiper de cet attirail, non disponible encore en quantité suffisante en ville. L’importation ou la fabrication des voiles noirs est naturellement sous le contrôle de Daech. Une source de revenus supplémentaire pour les caisses de l’État islamique.
Putain de vie de fille ! Existe-t-il vie plus humiliante et plus dégradante ? Je comprends maintenant tous ces gens qui se désolent à la naissance d’une fille. Une fille est trop faible. Qu’est-elle hormis un pion sur l’échiquier ? Va par ici, fais ça, ne sors pas, ne manifeste pas, n’écris pas, ferme ta gueule, tais-toi, ne parle à personne ! Quoi que tu racontes, tu ne reçois que des reproches... pff ! Putain de vie !
La répression féroce a eu raison de la révolte. Le régime de Bachar al-Assad ne pouvait supporter l’affront de cette ville qu’il croyait maîtriser. Les tribus influentes de la région lui ont toujours prêté allégeance. Le parti Baath au pouvoir y compte un pourcentage record d’adhérents grâce aux nombreux fonctionnaires en quête de protection et de promotion. Des milliers d’entre eux viennent d’ailleurs de son fief, la région côtière de Lattakieh, et appartiennent à la communauté alaouite, le clan au pouvoir à Damas. Affectés aux meilleurs postes dans l’administration ou dans l’enseignement, ils sont de farouches partisans du régime et servent souvent de délateurs.
La Syrie n’est pas une simple patrie, elle est le poumon de la liberté, le cœur des révolutions. Elle est la flûte qui ne se lasse pas de chanter la mélancolie et le désir de vivre de toute l’humanité... Elle est le souffle des égarés.
La Syrie n’est pas une simple patrie, elle est le poumon de la liberté, le cœur des révolutions. Elle est la flûte qui ne se lasse pas de chanter la mélancolie et le désir de vivre de toute l’humanité… Elle est le souffle des égarés.
Parce que, à l’ère d’Internet, des réseaux sociaux et de YouTube, les atrocités ne pouvaient plus être commises en toute impunité comme en 1982. Aussi, les manifestants de 2011 ont tenu à filmer, photographier, témoigner et diffuser chacune de leurs manifestations et chacun des actes de répression dont ils ont été victimes. Les vidéos prises à partir de leurs téléphones portables ont été diffusées sur les réseaux sociaux, puis reprises par les chaînes satellitaires arabes ou internationales. Prenant le monde à témoin, ils ont livré une guerre de l’information au quotidien contre les médias du régime syrien.