Encore petite fille [Mary Cassatt ], elle avait prouvé qu'elle pouvait discuter pied à pied avec n'importe qui, y compris Père, qui n'était pas homme à se priver de dire ce qu'il pensait. Il avait tenté de l'empêcher de faire un tas de choses: de suivre des cours d'art à Philadelphie, de faire des études et des séjours en Europe, de vivre à Paris. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi elle se refusait à rester tout bonnement à Philadelphie, et à s'y marier. ( p. 75 / Quai Voltaire , 2002 ]
May qui me connaît bien sait qu'au sein de la Nation Cassatt, mon petit domaine personnel est riche de livres semés partout : au creux des troncs d'arbres, sous les buissons couverts de baies, sur les bancs au bord des ruisseaux. Ma maisonnette est constituée de livres : romans anglais et français, et recueils de poèmes à tranche dorée. Moi qui suis tellement sage, qui me dévoue entièrement à la vie familiale, je n'ai plus aucun de sens de la mesure sitôt que je me retrouve dans mon domaine. Je lis des heures durant, souhaitant de tout mon coeur que la muraille qui m'entoure me protège sans faille, qu'aucune main n'en pousse la porte d'entrée, que le loquet de celle-ci soit rongé par la rouille. (p.21)
Des séances de pose procède toujours une surprise : vous ne savez pas d'avance l'image qu'elles donneront de vous. (p. 91)
Je me rends compte à présent que la peinture de May engendre quelque chose qui ressemble à un souvenir. Que ses spectateurs m'aient connue ou pas, elle aura laissé un souvenir de moi à la face du monde. (p. 214 / Quai Voltaire, 2002)
Il est quelquefois possible d'entrevoir un bref instant l'avenir et, pour redoutable qu'il puisse paraître, il peut aussi comporter une part de réconfort.
[*Mary Cassatt parlant de Degas ]
- Il m'obsède.
- Tu as l'intention de l'épouser ?
Elle se met à rire, et je crois d'abord qu'elle se moque de moi, mais la voilà qui me répond d'un ton féroce:
-Je ne peux évidemment pas l'épouser, Lyddy. Toi, au moins, tu devrais le savoir. Comment le pourrais-je ? Il anéantirait ma peinture, il m'anéantirait moi-même. Je n'aurais pas le moyen de m'en tirer. (p. 145 / Quai Voltaire,
2002 ]
Quand vous êtes malade, vous disposez de beaucoup de temps pour réfléchir. De trop de temps. Votre existence se porte à votre chevet, bienvenue ou importune. (p. 90)
Je me rends compte tout d'un coup qu'elle [Mary Cassatt ] doit se demander, comme je me le demande moi-même, combien de temps il me reste à vivre. Et je me rends compte simultanément que j'en viendrais à regretter chaque journée où je refuserais de poser pour elle. (Quai Voltaire, 2002 / p. 160)
Empreinte d'une tranquille assurance la main de la mère s'attarde dans l'eau de la bassine, et elle se penche au-dessus de son bébé, et le bébé ne la quitte pas des yeux. A l'extérieur de la pièce, la vie poursuit son cours, avec ses bateaux et ses trains, ses républiques, ses lointaines colonies, son industrie, son injustice, ses guerres, sa terreur. Le monde n'est plus qu'une vue de l'esprit quand il s'agit d'autre chose que de cette tranquillité, cet espace clos, cet amour attentif. (p104)
La maladie offre ses moments de répit. Si elle lâche prise, ne serait-ce que pendant quelques jours, vous permettant de faire à nouveau votre entrée dans le monde, les choses se mettent à resplendir, prenant toute leur valeur à l'intérieur de contour précis. (p. 108)