C'est ainsi que la vieillesse devrait s'écouler, un office du soir aux doux échos. (page 83)
A l'asile d'aliénés du docteur Behrend, dans les environs de Berlin, une vieille femme-d'une soixantaine d'années-attirait l'attention. Elle avait des traits fins et intéressants, une vigoureuse chevelure grise et de grands yeux d'un gros tirant sur le vert. Jamais ces yeux ne se fixaient dans le vide. Soit, éteints pour le monde extérieur, ils semblaient plongés dans une contemplation intérieure, soit ils étaient levés, tantôt exprimant une quête passionnée et éperdue, tantôt ravis et comme absorbés dans la contemplation d'un objet. Des yeux de visionnaire. Ces yeux extraordinaires lui donnaient la physionomie d'une femme plus jeune. (page 7)
À l’asile d’aliénés du docteur Behrend, dans les environs de Berlin, une vieille femme – d’une soixantaine d’années – attirait l’attention. Elle avait des traits fins et intéressants, une vigoureuse chevelure grise et de grands yeux d’un gris tirant sur le vert. Jamais ces yeux ne se fixaient dans le vide. Soit, éteints pour le monde extérieur, ils semblaient plongés dans une contemplation intérieure, soit ils étaient levés, tantôt exprimant une quête passionnée et éperdue, tantôt ravis et comme absorbés dans la contemplation d’un objet. Des yeux de visionnaire. Ces yeux extraordinaires lui donnaient la physionomie d’une femme plus jeune. Le plus souvent elle restait muette. Par moments, pourtant, elle commençait à parler, et il semblait alors qu’elle tînt une conversation avec des êtres surnaturels. Ses mots exhalaient une incommensurable mélancolie, ou un ravissement dithyrambique. Elle proférait de profondes et nobles pensées, en une formulation qui rappelait le Zarathoustra de Nietzsche. On aurait pu croire que cette vieille femme avait été une grande poétesse, et qu’un excès de stimulation intellectuelle était cause de ce dérangement mental. C’était tout le contraire. Le neurologue, qui s’intéressait à cette forme remarquable de folie, recueillit des informations au sujet de sa vie passée. Ce qu’il apprit le plongea dans un étonnement profond, et ne contribua nullement à résoudre l’énigme de cet être. Tous ceux qui avaient connu l’épouse du fonctionnaire Schmidt, étaient unanimes : elle avait été une bonne et brave ménagère, quelque peu étriquée et bourgeoise, sans culture, et totalement absorbée par la vie de famille. Elle avait deux filles, mariées depuis longtemps. Son comportement avec les enfants avait, de tout temps, été extrêmement chaleureux. Au cours des huit dernières années, elle avait soigné son mari paralysé avec un dévouement sans bornes. Après sa mort, elle s’était peut-être sentie un peu seule. Elle avait rendu plusieurs visites à ses filles mariées. Aucun membre de sa famille n’avait remarqué la moindre excentricité dans son comportement, elle leur avait seulement paru un peu plus taciturne, et plus repliée sur elle-même qu’à l’accoutumée, ce qui s’expliquait fort bien par le deuil de son époux et sa solitude.
En fait, la folie n'est-elle pas bien plus naturelle que notre raison bien dressée ? La folie laisse les impressions et les représentations agir sur soi, comme le soleil agit sur les plantes, comme la tempête sur la mer, sans critique, sans résistance.
Par moments, l’idée de devoir rester toujours à un endroit du globe, tandis qu’il existe des millions d’endroits plus beaux, a quelque chose d’effrayant. Ne jamais les voir . Nous sommes pitoyablement conçus. Si totalement dépourvus d’ailes.
N'est-il pas honteux que l'on ne prenne en considération les plus nobles qualités, chez une femme, que si elles viennent pimenter l'attrait de son jeune corps ?
On m’avait enchaînée. Maintenant je suis libérée et je déambule, errante, dans le monde, nouveau et étranger, et peut-être pourrais-je provoquer quelque désastre, mais voici qu’apparaît déjà une nouvelle chaîne : l’âge.
Je ressemble vraiment à quelqu’un d’autre, à n’importe qui d’autre que la brave Mme Schmidt, et je ne suis plus du tout une femme âgée. Et mon cœur se met à battre, et je regarde autour de moi, comme si je voulais - si au moins je savais quoi ?
Les livres que j’aime particulièrement lire sont ceux où des femmes, poussées par un idéalisme ardent, accomplissent des actes pleins d’héroïsme et d’abnégation. Aurais-je pu devenir une telle femme, si... Et j’ai passé ma vie à servir !
Je découvre que seul me fascine et m’émeut ce qui se trouve de l’autre côté du réel. Une aspiration au lointain crépusculaire, au merveilleux.