Citations de Hélène Dorion (224)
Aucune flèche …
Aucune flèche n’atteint
la cible invisible de l’amour.
Aucun arc ne se tend
au milieu du cœur
l’archer déborde l’espace
comme l’oiseau dans son vol.
Une image, en toi …
Une image, en toi, un lieu
cherche appui.
Tu plonges la main au fond de l’encrier.
Comme des galets le long de ta vie
quelques phrases immobiles
retiennent le filet du temps.
Tu vas, sans lieu
sans appui.
Nous marchons…
Nous marchons, tenant la main
de ceux qui avancent avec nous.
Parfois la main de l’un abandonne
et relâche celle de l’autre
pour éteindre la lampe.
L’enfant retrouve le chemin de ses jeux.
Au milieu du silence, nous marchons encore
plus fragiles de la main qui manque.
La terre se retourne soudain…
La terre se retourne soudain
la ligne de l’horizon oblique.
Un oiseau trace les contours de l’air
pendant que se croisent en moi les vagues
du présent et du passé.
Je regarde ce bord de terre
qui résume ombre et lumière ;
bord où la nuit traverse le jour
et le jour, la nuit. Venus de même source
plongés avec nous dans l’abîme.
On sait que la lumière vient…
On sait que la lumière vient
de l’obscurité, du froid, de la poussière
qui durent au fond de nous ; la lumière
vient des forêts sans clairières, des ciels incertains
d’un corps sans plus d’espace
où loger la douleur.
On sait que la lumière
garde trace de son absence.
Pas de bord, pas de bout du monde…
Pas de bord, pas de bout du monde
dans ce qui tremble soudain
s’approche avec ton visage
et me ramène à moi.
Grâce de naître
et de disparaître dans la clarté d’un cœur
d’une main sans bord, sans bout du monde.
Il n’y a pas de commencement…
Il n’y a pas de commencement.
L’amour, le silence, la lumière
sont là depuis toujours.
Le commencement est en nous
depuis toujours.
Nous voici immobiles…
Nous voici immobiles
et agrandis par le froid.
Nous avançons encore, portés par l’infini
nous cherchons, nous retrouvons.
Nous voici penchés pour la première fois
sans gravité.
L’arbre s’élève …
L’arbre s’élève pour s’élever ;
l’oiseau vole pour voler.
Le soleil et la lune créent
le balancement du jour et de la nuit.
En tout être repose
le souffle qui le nourrit
l’épuise et de nouveau le nourrit.
Sans demander pourquoi
nous respirons la rose.
Trouée de bleu, lumière
empilée sur la lumière ;
au bout de nos doigts s’amoncellent
les plus fragiles éternités.
Ne te retourne pas…
Ne te retourne pas
ne convoque pas ces visages ;
ne dis pas que nous avons renoncé
à l’amour, chaque fois
prends la route qui arrête
d’aller quelque part.
Un poème attend
se penche et se relève
ne refuse ni le vent
ni la poussière du monde.
Ton amour…
Ton amour
efface la ligne de l’étendue
qui tirait la nuit vers moi.
Enfouie dans tes yeux, mon âme
se débarrasse du froid
des cendres et du silence.
D’un bout de l’horizon à l’autre
les cloches recommencent à sonner.
La douleur cesse
de cogner contre la vitre.
Pas de bord, pas de bout du monde …
Pas de bord, pas de bout du monde.
La main pose ses chemins
sur le corps, comme une bouche
la main, comme une parole
mêlée de silence.
Un chant redevient possible
qui nous accomplit.
Quelque chose t’a trouvé…
Quelque chose t’a trouvé
que tu cherchais, qui peut-être
te cherchait. Quelqu’un.
Dans l’attente de ce qui se laisse trouver
en nous, de ce que parfois
nous consentons à trouver.
Où est le Dieu …
Où est le Dieu
qui nous porte
au bout du néant ?
Dieu que l’on cherche
le dos tourné
comme une attente
jamais comblée.
Apprends de l’abeille, du papillon, de l’oiseau, de tout ce qui a des ailes, bois le miel et le lait, danse sous l’arche, écoute la partition des étoiles dans la nuit, l’infini du ciel qui bruit en toi, porte l’énigme du monde et de ta présence, laisse les vents te changer en aigle, la terre en serpent, lave tes yeux de leur passé et va, dans cette mémoire neuve, va vers toi-même, touche la terre de tes dix doigts, étreins ses ombres comme ses beautés, sans peur, fais de chaque instant l’expérience même d ’être humain, ne va nulle part, ne cherche pas, éprouve le récif, agenouille-toi devant l’arbre et l’océan, secoue les draps de ton âme et aime, aime comme si jamais la vague, comme si jamais le rocher, épouse la falaise qui t’appelle, pose tes mains sur le sable et sens le temps qui s’égoutte en toi, retrouve l’infini dont tu es le porteur, deviens l’arbre et l’océan, sois l’argile et l’or, embrasse ce que tu ne peux déchiffrer, vis, intensément et toujours, jette l ’ancre pour la nuit qui approche puis, au matin, largue les amarres et déploie les voiles de ta vie.
Elle m’avait permis de voir combien mes réactions étaient programmées par la crainte de perdre, alors que l’amour véritable ne peut se développer qu’à partir du détachement qui nous en libère. Car tenir à l’Autre, s’y attacher, c’est créer un lien qui s’appuie sur des attentes plutôt que sur l’amour même. C’est se rendre dépendant de la réponse qui sera donnée à ces attentes.
D’où vient cette faille à partir de laquelle notre vie ne peut plus être la même ? Comment en arrive-t-on à aller vers ce qui nous déchirera ? À quel moment de la vie cesse-t-on de s’accrocher à ce qu’on sait de soi-même pour aller vers ce qu’on en ignore, acceptant alors qu’il n’y ait d’autre choix devant soi que de sauter du haut de la falaise ?
Je ne savais ce qu’il allait m’en coûter, mais je voulais être affranchie des peurs qui me gardaient captive et dirigeaient ma vie ; je souhaitais être libérée des vaines protections qui, en réalité, représentaient mes prisons les plus exiguës.
On ne peut rien retenir, on le sait, mais cette expérience est souvent si douloureuse qu’on la refuse, et l’on reste face à ce qui s’est défait devant soi, impuissant, stupéfait par ce qui s’est transformé à notre insu, est passé du printemps à l’hiver et nous laisse maintenant au milieu de cette dévastation. Et si l’on demeure attaché à ce paysage de ruines, on empêche alors le feu de renaître.
Il ne restait que l’amour. Que cet ineffable mystère qu’on appelle Amour – avec un grand A pour dire combien il nous dépasse – et qui ne se trouve nulle part ailleurs qu’en soi. Lorsque tout s’en va, il reste cet Amour. Ce tronc ne casse pas sous les vents, n’est pas emporté par le temps, plutôt, il reconstitue inlassablement ses branches.