Citations de Hélène Le Bris (33)
Impossible, à l'heure où j'écris, de me rappeler le numéro de mon immeuble ni même le nom de la rue. Al s'interpose
dans mon projet de balade, mais je garde l'espoir d'y parvenir malgré lui.
Cet homme des temps anciens, dans l'intimité de sa chambre, se laissait emporter par ses rêves d'infini. Et son histoire la touchait au plus profond d'elle-même. Car aujourd'hui son fils, du fond de son isolement, la guidait vers la beauté.
On recommençait à rouspéter dans les journaux, devant les comptoirs et sur les marchés : la France allait mieux.
Il venait de discerner, en quelques phrases à peine, un territoire insoupçonné où l'on trouvait naturel d'ouvrir un journal ou d'aller au spectacle. Un territoire inaccessible et peuplé d'étrangers - car formaient-ils encore une nation ? Ils jouissaient là-bas d'une liberté frivole qui évoquait ici un paradis perdu. Et pourtant, ce n'était pas assez, non : il leur fallait du piment. Alors ils dépouillaient une ville à l'agonie et la frappaient au cœur comme pour l'humilier. Ils s'emparaient de ses derniers trésors, quitte à les saccager, souillant cet héritage. Ah, ils n'avaient pas tardé, les pilleurs de cadavre ! Dans leur hàte à se servir, ils oubliaient qu'ici il restait des vivants.
Les théories optimistes qui prévoyaient une victoire rapide sur la peste avaient négligé un paramètre : la désobéissance, c'est-à-dire ce qui distingue une communauté humaine d'un troupeau de moutons.
Pourtant le chagrin, lui, se fichait des distances.
"Le désolant pestacle du chaos dans les facs", titra le Canard Enchainé. On recommençait à rouspéter dans les journaux, devant les comptoirs et sur les marchés : la France allait mieux.
L'organisme qui l’employait imposait un programme aussi pointilleux que rébarbatif, qui débutait par une révision systématique des verbes irréguliers. To give, I gave, given... franchement, qui aurait envie d'apprendre une langue sur des bases aussi austères ? Mais après tout, se résigna-t-il on le payait pour pousser à bachoter, non pour donner du sens.
Et la liste était longue des misères à soigner : dépressions, carences alimentaires, automutilations, séquelles de suicides manqués. Le confinement et la promiscuité, alliés à l'inaction en avaient conduit plus d'un à chercher le secours dans l'alcool ou d'autres psychotropes. Ces abus avaient entraîné de nouvelles séries de maux : complications cardio-vasculaires, blessures domestiques, violences conjugales. Bien au-delà des statistiques, les victimes de la peste se comptaient par millions.
Alors furent épargnés tous ceux qui, par miracle, avaient traversé les premiers temps de la peste sans contracter le virus. Ils souffrirent de l'ennui et de l'isolement, connurent les privations et la peur de manquer. Mais ils vécurent.
Des deux sacs rebondis qu'elle avait eu grand-peine à traîner jusqu'au car, elle a tiré tant de merveilles qu'elle aurait pu rivaliser avec Mary Poppins.
J'aurais aimé toucher, cette pluie. L'eau, la vraie, pas celle que l'homme abîme et piège dans des tuyaux, mais l'eau qui tombe du ciel et nourrit la terre. L'eau qui jaillit, dévale, ruisselle, cherche la mer. J'en prendrais juste un peu. Une goutte de vie.
Ces carreaux, sur le cahier. Ils déjouent le vide. Ils dessinent des lignes où je pose mes mots.
Ai-je tout à fait perdu la raison ? Entre les cloisons de cette chambre inconnue, lors de ces heures interminables que nul changement n'interrompait, mes questionnements n'avaient pas de répit. Seul le sommeil m'accordait une échappatoire : je m'attachais à le prolonger. A dormir, et dormir encore. Ne plus penser. Sombrer plus loin, plus profond, et glisser dans les limbes où ne subsistent ni conscience ni chagrin.
Je pars demain rejoindre Adrien.
Difficile ce soir de penser à autre chose. La joie prend de la place. Elle me transporte d'une énergie folle, vibrante comme le son saturé d'une guitare électrique. Je me sens aussi exaltée qu'à mon premier concert de rock. Envie de trépigner, de gesticuler, de crier à pleins poumons. Ça swingue dans mon trois pièces.
Une coiffeuse accomplie manie le bavardage aussi bien que les ciseaux.
Pas de quoi pavoiser : l'intrépide détective que je voudrais incarner s'est embourbée en apitoiements sur elle-même.
J'étais partie très en avance, et j'ai pris le temps d'admirer les nouvelles collections dans les vitrines. Motivés par cette belle matinée, des commerçants nettoyaient leur pas-de-porte à grande eau, m'obligeant parfois à un brusque écart pour esquiver leurs éclaboussures. Les jacinthes des bacs à fleurs embaumaient le quartier piéton. Un air de campagne courait les rues comme si le regain pointait sous les pavés.
Al se fait leur allié pour me garder recluse : il retient mon adresse, bannissant tout espoir de rentrer chez moi. J’ai pourtant bien noté la consigne en évidence, sur la liasse de papier posée près de mon lit. Je la découvre le matin au réveil, j’y repense le soir avant de m’endormir : « retrouver mon adresse ». Malgré tous mes efforts, l’information ne revient pas
J'aurais aimé la toucher, cette pluie. L'eau, la vraie, pas celle que l'homme abîme et piège dans le tuyaux, mais l'eau qui tombe du ciel et nourrit la terre. L'eau qui jailli, dévale, ruisselle, cherche la mer. J'en prendrais juste un peu. Une goutte de vie.