L’hôtel est petit et modeste, je l’ai choisi au hasard, peut-être à cause du nom de métro adjacent, Bonaventure, un nom qui promettait sans imposer, ou peut-être à cause de la proximité de la gare, synonyme d’une fuite rapide si la bonne aventure tournait mal. J’ai toujours ressenti ce besoin d’assurer mes arrières, ou mes côtés ; au cinéma, au concert, je m’assieds en bout de rangée, j’accompagne les manifestations en les longeant sur le trottoir, au risque de ne jamais être prise en compte comme participante ; il me faut une porte, une sortie de secours, une rue par laquelle m’échapper en cas de nécessité. Et la nécessité est permanente. (p. 57)
- (…) Est-ce qu’au moins vous savez ce qu’est le Kippour ? fit-elle, et j’ai perçu comme une exaspération dans sa voix.
J’ai encore tenté de m’en tirer par la plaisanterie.
- C’est une sorte de concentré de Ramadan, non ? On jeûne un jour au lieu d’un mois entier ?
- Vous ne devriez pas rire avec ça, me dit-elle en plissant les yeux. Kippour, c’est sérieux, c’est le jour où Dieu inscrit dans son grand livre qui va vivre et qui va mourir dans l’année.
- Entre 1939 et 1945, il a dû s’épuiser en travaux d’écriture, dites donc… ( p.21)
Lorsque cette humanité aura disparu de la surface de la terre, emportée par sa cruauté ou son imprévoyance, il restera toujours des formulaires, des montagnes et des océans de formulaires, témoignages d’une ancienne civilisation, conservés pour l’édification des générations nouvelles. Des papiers et des papiers et des papiers, responsables de la déforestation, et peut-être même en partie du suicide collectif qui, après bien des péripéties, aura débouché sur une espèce différente, faite de corps à nourrir, à soigner, à prendre dans ses bras, plutôt que de formulaires à tamponner après avoir enregistré l’empreinte du pouce. (p. 55-56)