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Critiques de Isabel Gutierrez (51)
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Ubasute

Transportez vous au Japon et essayez de vous imaginer dans la peau de celui ou de celle qui doit transporter sur son dos sa mère au sommet du mont Kamuriki et l'abandonner dans le froid et la neige pour qu'elle y vive ses derniers instants . C'est cette tradition , Ubasute , qui est racontée de manière métaphorique , dans ce premier roman (difficile de mettre celle-ci en pratique dans nos contrées , ce serait considéré comme un meurtre avec préméditation ) .

Au contraire de la Ballade de Narayama (le film ), très brutal , il s'agit ici d'introspection , de calme , de sérénité et d'amour filial .

Il y a surtout des pages d'une grande poésie : "je sus reconnaître le son de l'eau qui dévale le lit caillouteux des ruisseaux épais . A force d'heures traversées , de jours arpentés , je parvins à lever mon regard du chemin vers l'horizon et découvris la joie d'être au monde , en mouvement , le visage offert . (...) J'entendis pour la première fois le chant du monde , je vis tourner la terre dans l'apparition et la disparition du soleil et des astres . Et je compris que cette lumière céleste m'accompagnerait désormais , même au plus noir de la nuit ."

Cette marche vers le sommet de la montagne revêt d'emblée une dimension spirituelle , il s'agit presque d'un monologue sur la fin de vie , la transmission , la séparation , et enfin le deuil .

Ce premier livre est aussi le roman de la vie d'une femme , de ses relations avec sa famille , son mari et ses enfants , de ses croyances , de ses souffrances .

Je me dois de mentionner un aparté à propos de son grand-père , soldat du côté républicain dans la guerre civile espagnole , qui a été obligé de fuir ( en Galice ) son pays sur un chalutier , sans aucune aptitude à naviguer . Pour ma part , je l'ai senti comme un hommage à un membre de la famille de l'autrice , Isabel Gutierrez .

Un roman qui amène à se poser des questions sur le deuil , sur ceux qui nous ont quitté et sur notre propre fin de vie (personne ne nous aidera à passer de l'autre côté , ne nous leurrons pas ) .

Un excellent premier roman , d'une grande poésie , avec un style impeccable . Lu dans le cadre du collectif des 68 premières fois .

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Ubasute

« Il va venir et je lui dirai tu te souviens, Pierre, de cette pratique ancienne dont nous avons déjà parlé… ne me coupe pas la parole, j’ai besoin de forces pour aller jusqu’au bout de ce qu’il me faut te dire, sois gentil, écoute-moi. Je voudrais que tu me portes jusqu’au seuil de ce dernier voyage, je voudrais que tu m’accompagnes une dernière fois, je sais que tu es fort et je ne serai pas bien lourde surtout si je finis par terrasser le monstre qui dévore mon ventre et que la vie ici me donne encore un peu de temps, je ne deviendrais pas une énorme maman ! Ne baisse pas les yeux comme si tu n’étais pas là, regarde-moi et fais-moi cette promesse. »



Un extrait vaut mieux que de longues phrases.

Le lire, le taper, le relire.

Les yeux humides.

L’Ubasute est une pratique japonnaise consistant à abandonner les personnes âgées ou malades dans des lieux isolés. Elles y mourront, seules.

Marie veut mourir dans la montagne. Tel est son dernier souhait. Confiant cette lourde tâche à son fils, c’est aussi l’occasion pour elle d’enfin discuter avec lui.

Un texte intime d’une force assez impressionnante pour un premier roman. Le sujet est grave mais tellement embelli par la beauté des mots. J’ai relu de nombreux passages et chaque fois les émotions étaient décuplées. L’impression que ceux-ci avaient été écrits pour moi. Que les mots m’étaient chuchotés à l’oreille.

Je l’ai refermé la gorge nouée par la luminosité dont il en ressortait.

Je crois en la puissance des mots et Ubasute me le prouve encore.

Sublime.



« Ils ne forment plus qu’un seul et même corps, informe, dont on ne saurait reconnaître les bras des jambes. Une seule et même douleur en mouvements presque imperceptibles. Ni l’un ni l‘autre ne savent encore s’ils trouveront la force de s’arracher, de se dénouer. Le fils avance très lentement, il lui semble que sa mère s’est endormie dans son dos. »



http://www.mesecritsdunjour.com/archives/2021/12/18/39265748.html
Lien : http://www.mesecritsdunjour...
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Ubasute

La vie se retire doucement

La douleur inégale

Le combat perdu

Le corps abandonne la lutte

Vint le moment de l’adieu

Il me portera sur son dos

Je déposerais mes fardeaux

Au passage

Mémoires encombrantes qui demandent à s’échapper

Je deviendrais légère à mesure que l’on s’élève

L’histoire d’une existence minuscule comptée en poésie.

Une femme s’en va, un homme grandit.

Mère et fils matrice

Dernières caresses, dernières cicatrices.

En suspension

Un adieu aventureux

Un corps bordé de montagne.

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Ubasute

L’Ubasute, dans le japon ancien est une pratique qui consiste à porter une vieille femme dans la montagne afin qu’elle y meure seule.

C’est ce que demande Marie à son fils, après une vie assez tragique et une maladie dont elle sait qu’elle ne guérira pas.

Sans entrer dans les jugements moraux face à ce que certains qualifient de géronticide, force est de constater la poésie qui inonde ce livre.

Pas toujours à ma portée, je dois le reconnaitre : je devais relire certains passages plusieurs fois.

Les courts chapitres (le livre ne fait que 124 pages, est partagé en 3 parties, elles mêmes en chapitres) font alterner l’histoire de Marie, depuis un traumatisme prénatal auquel seule la psychanalyse peut s’intéresser, les souvenirs du fils, et la progression de leur duo improbable vers l’endroit qu’elle a choisi.

Ce premier roman, va incontestablement toucher son public, celui qui recherche, dans la littérature, plus que des histoires, l’art de mettre en mots des sentiments et sensations intimes.

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Kintsugi

Le dernier roman d’Isabel Gutierrez "Kintsugi" a pour moi le parfum de l’amitié. Il m’a été offert en avril accompagné d’une carte de vœux écrite en janvier qui disait ceci "J’ajoute à ces vœux cette petite merveille qui parle de rencontres, de confidences, de ce qui nous lie et nous rapproche et qui me fait penser à toi, à nous." Alors…



Alors, j’ai aussitôt embarqué sur le bateau du Père Jaouen en compagnie d’Angèle, célibataire de cinquante ans et solitaire, Louise et ses écorchures, Gino qui "se mettait à hurler, le visage tourné et les bras tendus vers le ciel", Manuela, Lucas sur le point de se retirer du monde et "…d’entrer en silence et en solitude dans [sa] cellule", Maud qui "sent la nausée remonter" et les autres. Moi, la Bretonne je fus naturellement ravie de me retrouver là pour une traversée de l’Atlantique. Et l'émotion fut grande de les voir tous se dévoiler, de comprendre leur besoin de se trouver, se retrouver, se panser, se rapiécer après avoir vécu des chagrins, des peurs, des blessures. Car tous ces personnages, pourraient être vous, pourraient être moi.



A l’instar de cet art japonais qui consiste à restaurer des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d'or, chaque personnage va ainsi se réparer sans pour autant oublier, sans pour autant renoncer à ce qu’ils ont été, sans pour autant chercher à cacher leurs éraflures. Et c’est à l’aide d’une écriture délicate, précise, poétique et même musicale que l’auteure explore l’âme de ces hommes et ces femmes, leur remontée à la surface, la renaissance de leur désir.



Véritable Odyssée comme le stipule la quatrième de couverture, ce roman se lit lentement, se savoure, se déguste. Et puis il se relit encore plus lentement pour laisser les mots fondre, les apprécier et s’en délecter.



Une petite merveille m’avait-on dit…je ne peux que plussoyer.


Lien : https://memo-emoi.fr
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Ubasute

Malade depuis quelque temps, Marie sent que la fin est proche. Avec Pierre, son fils, ils en ont parlé souvent, elle souhaite perpétuer la tradition japonaise de l'Ubasute qui consiste à abandonner en montagne la personne se sentant mourir. Son fils entreprend alors ce dernier voyage, sa mère installée sur une chaise, sur son dos.

Ce sera l'occasion de revenir sur certaines étapes importantes de leur vie : des deuils, l'enfance, des moments particuliers dont ils n'avaient jamais parlé. Des dialogues et des souvenirs doux égrènent ces derniers moments passés à deux.



C'est un texte beau, pudique et sensuel, très poétique, qui apaise et donne à réfléchir.



"𝘝𝘰𝘪𝘴-𝘵𝘶, 𝘮𝘰𝘯 𝘱𝘦𝘵𝘪𝘵 𝘳𝘰𝘪, 𝘪𝘭 𝘺 𝘢 𝘥𝘦𝘴 𝘨𝘦𝘯𝘴 𝘲𝘶𝘪 𝘴𝘦 𝘱𝘦𝘳𝘥𝘦𝘯𝘵 𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘭𝘦𝘴 𝘭𝘪𝘨𝘯𝘦𝘴 𝘥'𝘶𝘯 𝘭𝘪𝘷𝘳𝘦 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘥'𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴 𝘴𝘦 𝘱𝘦𝘳𝘥𝘦𝘯𝘵 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘯𝘶𝘪𝘵. 𝘐𝘭𝘴 𝘱𝘢𝘳𝘤𝘰𝘶𝘳𝘦𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘩𝘦𝘮𝘪𝘯𝘴 𝘥’𝘦𝘯𝘤𝘳𝘦 𝘦𝘯 𝘱𝘢𝘴𝘴𝘢𝘯𝘵 𝘭𝘢 𝘵𝘦̂𝘵𝘦 𝘢̀ 𝘵𝘳𝘢𝘷𝘦𝘳𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘦𝘳𝘴𝘰𝘯𝘯𝘢𝘨𝘦𝘴 𝘲𝘶'𝘪𝘭𝘴 𝘰𝘯𝘵 𝘤𝘩𝘰𝘪𝘴𝘪𝘴.

𝘐𝘭𝘴 𝘳𝘦𝘴𝘴𝘦𝘯𝘵𝘦𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘱𝘦𝘶𝘳𝘴, 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘥𝘦́𝘴𝘦𝘴𝘱𝘰𝘪𝘳𝘴, 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘥𝘦́𝘴𝘪𝘳𝘴, 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘴𝘰𝘪𝘧𝘴, 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘱𝘢𝘴𝘴𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘦𝘵, 𝘭'𝘰𝘶𝘷𝘳𝘢𝘨𝘦 𝘳𝘦𝘧𝘦𝘳𝘮𝘦́, 𝘭𝘦𝘴 𝘦𝘮𝘱𝘰𝘳𝘵𝘦𝘯𝘵 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦𝘶𝘳 𝘤𝘶𝘪𝘴𝘪𝘯𝘦 𝘰𝘶 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦𝘶𝘳 𝘭𝘪𝘵. 𝘘𝘶𝘦𝘭𝘲𝘶𝘦𝘧𝘰𝘪𝘴 𝘮𝘦̂𝘮𝘦, 𝘪𝘭𝘴 𝘭𝘦 𝘵𝘪𝘦𝘯𝘯𝘦𝘯𝘵 𝘱𝘳𝘪𝘴𝘰𝘯𝘯𝘪𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘱𝘳𝘦𝘴 𝘨𝘳𝘦𝘯𝘪𝘦𝘳𝘴, 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘤𝘢𝘷𝘦𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘴𝘦𝘤𝘳𝘦̀𝘵𝘦𝘴, 𝘧𝘰𝘳𝘤̧𝘢𝘵𝘴 𝘴𝘶𝘳 𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘳𝘰𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘪𝘯𝘵𝘪𝘮𝘦𝘴, 𝘪𝘭𝘴 𝘯𝘦 𝘷𝘦𝘶𝘭𝘦𝘯𝘵 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘴’𝘦𝘯 𝘴𝘦́𝘱𝘢𝘳𝘦𝘳, 𝘪𝘭𝘴 𝘱𝘳𝘦́𝘧𝘦́𝘳𝘦𝘳𝘢𝘪𝘦𝘯𝘵 𝘮𝘦̂𝘮𝘦 𝘮𝘰𝘶𝘳𝘪𝘳 𝘲𝘶𝘦 𝘭𝘦𝘴 𝘢𝘣𝘢𝘯𝘥𝘰𝘯𝘯𝘦𝘳."


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Ubasute

L'Ubasute est une tradition ancestrale japonaise : lorsqu'une personne se sent proche de la mort, on l'abandonne dans la montagne pour qu'elle finisse ses jours.

Ici, Marie sait qu'elle va mourir et demande à son fils de l'emmener sous le grand rocher. Celui-ci va donc porter sa mère et au cours de ce périple celle-ci va se livrer et dérouler le fil de sa vie, dire ce qu'elle n'a jamais dit, offrir à son fils le récit de ses années passées. Epouse, mère, femme, Marie dévoilera tous les pans de sa vie par petites touches, telle un peintre.



C'est un court roman poétique, intense qui pose les grandes questions de la vie et de la mort, fait de silences, d'ellipses, de souvenirs... Une lecture qui m'a beaucoup touchée.



Lu dans le cadre des 68 premières fois.

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Ubasute

❝On ne revient jamais de voyage, d'aucun voyage.❞

Anne Dufourmantelle, En cas d'amour



❝Il va venir et je lui dirai tu te souviens, Pierre, de cette pratique ancienne dont nous avons déjà parlé… ne me coupe pas la parole, j'ai besoin de forces pour aller jusqu'au bout de ce qu'il me faut te dire, sois gentil, écoute-moi. Je voudrais que tu me portes jusqu'au seuil de ce dernier voyage, je voudrais que tu m'accompagnes une dernière fois, je sais que tu es fort et je ne serai pas bien lourde surtout si je finis par terrasser le monstre qui dévore mon ventre et que la vie ici me donne encore un peu de temps, je ne deviendrais pas une énorme maman ! Ne baisse pas les yeux comme si tu n'étais pas là, regarde-moi et fais-moi cette promesse.❞



Un livre publié à La fosse aux ours est toujours la promesse d'un moment de lecture hors du temps, quelques heures volées à la pesanteur du quotidien. Leurs auteurs ne m'ont jamais déçue – Isabel Gutierrez avec Ubasute son premier roman ne sera pas l'exception -, et j'aime l'élégance discrète de leurs petits ouvrages qui va si bien à celui-ci. de la sobriété raffinée des couvertures au grain du papier au choix de la police, tout est là pour que la lecture ne soit que plaisir.



Marie sait qu'elle va mourir. Son ❝corps lourd d'usure et de sagesse❞ est las de lutter contre le cancer. Mère de trois enfants, elle a demandé à son seul fils, Pierre, de l'aider à gravir la montagne jusqu'au Grand Rocher et de l'y abandonner comme le dicte cette ancienne tradition japonaise qui donne son titre au roman. Une bien étrange requête alors que Marie n'est pas japonaise et vit en Suisse, du moins à ce que je crois deviner grâce aux maigres indices (la gare de Zermatt en page 15). Voilà, Marie a choisi la manière dont elle souhaitait quitter le monde, au plus loin d'un lugubre hôpital, en montagne et seule, pour enfin rejoindre son mari qui y a trouvé la mort :



❝Je sais que tu me guettes, assis sur le grand rocher sous lequel je me coucherai bientôt.

Là où le coeur attend.❞



L'écriture d'Isabel Gutierrez, sublime de retenue, tisse un cocon de douceur lumineuse autour d'un sujet sombre.

Ce livre délicat d'à peine une centaine de pages est divisé en trois parties de longueurs inégales, la 2e, centrale, étant la plus longue.

La 1re partie, Avant, alternant « je » et une 3e personne, raconte le corps jadis vaillant qui soudain trahit, et tout en se lançant dans les préparatifs de son départ sans retour, Marie revient sur quelques fragments de sa vie, ❝fait le tour des ombres qui rôdent en elle❞, sans aigreur ni regret. Choisir le départ, Marie l'a déjà fait par le passé, son père avant elle aussi. À présent, dans un ❝grand vent de liesse❞, ❝un sourire lumineux❞ accroché au visage, ❝sent[ant] murmurer en elle le chant du départ❞, elle attend son fils. En paix. En guise de pierre de patience, elle emportera un bol qu'elle a elle-même façonné.



❝Jeudi 6 mars

J'emporterai de quoi accueillir mon coeur devenu silencieux

J'emporterai de quoi accueillir l'épuisement de mon souffle

J'emporterai ce qui contient le monde, ses bruits, ses odeurs

J'emporterai un bol❞



La mère et le fils se mettent en marche vers le Grand Rocher et vont se Parler en silence, titre de la 2e partie. Nous savons que le silence est la grande affaire de cette famille



❝Enfant, il [Pierre] lui avait appris combien le silence était un ami précieux.❞



et, de fait, contrairement à ce qui s'observe ailleurs, le silence même perdurable n'a pas creusé de distance. La lente ascension à dos de fils sur une chaise à porteur ❝à l'assise confortable, au bois brun et doux❞ fabriquée par ses soins est l'occasion d'une ultime confession, de ❝traverser ensemble les mémoires❞ et tous les âges qui font une vie peuplée de silences, de mots et de solitude :



✧ la vie in utero ❝ce temps d'avant le langage❞ et ce frère jumeau mort-né ;

✧ les rencontres avec certains hommes qui ❝auront droit aux mots❞ parce que ❝rayonnants et aimés […] ils ont été là un jour❞ ;

✧ l'amour pour son mari adoré qui ❝marchait en premier. Et en silence❞ et qu'elle suivait ❝écrasant les mots entre langue et palais❞ ;

✧ puis soudain, les ❝notes silencieuses❞ de l'absence et les traces laissées par un crayon à mine noire dans un petit livret bleu.



Quelle beauté pour léguer ❝ces souvenirs qui s'épluchent❞. Marie et Pierre savent qu'au bout du chemin, après cette communion des corps et de l'esprit, ils devront se séparer.



❝Ils ne forment plus qu'un seul et même corps, informe, dont on ne saurait reconnaître les bras des jambes. Une seule et même douleur en mouvements presque imperceptibles. Ni l'un ni l'autre ne savent encore s'ils auront la force de s'arracher, de se dénouer.❞



Cette marche à dos de fils est l'occasion de faire le chemin l'un vers l'autre. Au tour de Pierre d'à présent faire le chemin vers sa mère dans la 3e partie. Ils viennent de traverser la forêt, l'obscurité monte alors que le froid tombe. le voyage touche à sa fin. La mère est redevenue une enfant lovée dans les bras du fils qui revisite à son tour les années heureuses, celles de la petite maison au bord du ruisseau, des lits partagés, des baisers sur le front, et les années silencieuses, celles où la fourchette maternelle restait ❝suspendue entre l'assiette et la bouche❞ quand les questions de Pierre et de ses soeurs venaient gratter à la porte d'un passé douloureux et indélébile, malgré les efforts entrepris pour cicatriser.



Les souvenirs de Pierre percent l'obscurité alentour. Alors qu'il va redescendre, seul, pour suivre son chemin d'homme et affronter les lendemains, Pierre se rappelle qu'elle était pour son père une ❝ange, descendue sur terre juste pour [les] aimer❞, un ❝horizon aimant, flamboyant et instable❞ pour lui et ses soeurs. Une mère dont les silences et les livres ont toujours été les ultimes refuges. Les livres étant restés à la maison restent les silences.



Ubasute est un texte sombre et porteur d'espoir, d'une justesse inouïe sur l'amour, la perte, le manque et le chagrin. Économe de mots, il ne lui en manque pourtant aucun. Silence, mots, langage, perte, douceur, douleur... ils sont là à coloniser les pages dont la poésie sereine invite à noircir des carnets entiers pour y déposer un peu de la beauté discrète et la douce musicalité de phrases prises au hasard tant tout est exquis.



Il suffit d'une lettre pour passer de la douleur à la douceur. Chant de la vie, de ses bonheurs, de ses épreuves, déclaration d'amour d'une mère à son fils, d'un fils à sa mère, reconnaissance du lien indéfectible par-delà l'absence à venir et celles qui ont jalonné toute une vie, Ubasute est un cantabile lent et doux qui parle au coeur et fascine son lecteur longtemps. Une merveille aux excellentes éditions La fosse aux ours qui jamais ne déçoivent.



❝ Tu sais, Pierre, en vieillissant, je me suis aperçue d'une chose assez étrange ; les gens s'imaginent que la perte, celle d'un être ou d'un objet, nous rend plus sensible. C'est faux, notre sensibilité se nourrit de ce que l'on nous donne et certainement pas de ce que l'on nous prend.❞



Merci pour ce cadeau.



Lu dans le cadre de la sélection 2022 des #68premieresfois
Lien : https://www.calliope-petrich..
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Ubasute



Aujourd’hui, je vais vous parler d’un premier roman éblouissant inspiré d’une tradition ancestrale au Japon mise en scène par le cinéaste japonais, Shōhei Imamura, La Ballade de Narayama, (palme d’or en 1983). Ce film qui raconte ainsi l’histoire d’un fils qui porte sa mère mourante jusqu’au sommet des montagnes a très probablement insufflé Isabel Gutiereez

Marie est malade, condamnée. Elle demande à Pierre, son fils ainé, de la porter au-dessus d’une colline pour son adieu au monde.



« Les mains en corbeille, elle a accueilli les odeurs piquantes de la tristesse et de l’amour, les cris de plaisir et de désespoir des hommes, toutes sortes de vies, des couleurs éclatantes, des lumières presque éteintes. Demain elle partirait gonflée de saisissement ».



« J’emporterai de quoi accueillir mon cœur devenu silencieux

J’emporterai de quoi accueillir l’épuisement de mon souffle

J’emporterai ce qui contient le monde, ses bruits, ses odeurs

J’emporterai un bol »



Ils partent pour ce voyage durant lequel ces deux corps vont ne faire qu’un. Au cours de cette ascension, Marie et Pierre engagent un dialogue silencieux. Elle convoque ses souvenirs et les relate d’une manière bouleversante : l’histoire d’amour avec l’homme de sa vie, ses enfants, son enfance avec ses grands parents réfugiés espagnols tout en faisant corps avec la beauté du monde.



« Puisque nous allons ensemble, mon fils, sans que nos regards se croisent, puisque c'est le moment du départ et celui des dernières enjambées, à toi à qui j'ai appris à marcher et à pédaler, je parlerai en silence, je calerai le rythme de ma langue sourde, marche de vers iambiques, à la longueur de tes pas. Nous traverserons le temps du paysage ensemble »



Isabel Gutierrez écrit l’absence, les non-dits, l’accomplissement d’une vie avec sensualité (j’ai rarement lu des pages qui traitent de l’amour charnel comme celles-ci) et poésie.

Ce livre est une véritable ode à la vie et j’ai personnellement été transcendée par les mots, les tournures de l’auteur. Parfois je me surprenait à lire des passages à plusieurs reprises tant ils étaient sublimes.

Une pépite à découvrir !!



« J’aimais sentir se libérer l’espace ovale de mon corps de femme sous la paume du vent que soufflaient ses mains sur ma peau. Je voulais être sillonnée, l’étendue de ma chair célébrée par sa bouche, nos mains dessinant des lignes toujours réinventées. Je voulais nous voir nous enfoncez, épris, dans le désir plus profond encore et sentir au fur et à mesure, l’envie de contempler son visage, les notes de mon chant au bord des lèvres. »

Merci les 68 premières fois pour cette découverte remarquable.


Lien : https://blogdelecturelepetit..
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Ubasute

C’est l’histoire d’une femme qui sait qu’elle va mourir et qui demande à son fils de la portée sur la montagne, près de son mari.



C’est l’historie d’une femme qui se confie à son fils sur le chemin froid.



Une femme qui a prévu le thé chaud et sa tasse qu’elle a elle-même tournée et modelée.



Une femme qui a vécu avec ses fêlures mais aussi ses joies.



Une femme qui regrette mais qui livre aussi à son fils un avenir.



Un très beau et court roman, presque japonais, comme cette tradition Ubasute qui voulait que l’on abandonne en montagne une personne âgée et malade.



L’image que je retiendrai :



Celle de la tasse confectionnée par Marie au début du livre.
Lien : https://alexmotamots.fr/ubas..
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Ubasute

Lu dans le cadre des 68 premières fois.

Marie souhaite que son fils l'aide à réaliser sa dernière volonté, l'Ubasute japonais, qui consiste a aider un proche à finir ses jours en montagne.

Durant l'ascension qu'elle fera assise sur une chaise portée par son fils, elle va lui raconter sa vie et les dernières choses qu'elle veut lui transmettre. Une discussion sans parole comme par télépathie.

Un roman comme un poème ou un conte onirique.

Tout en douceur et rempli d'émotion.



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Ubasute

Gravir la montagne à dos de fils pour attendre la mort sous un grand rocher, c'est ce que souhaite Marie. Faire son abasute, pour mourir seule, à l'abri des regards. Alors le fils va fabriquer une chaise en osier munie de deux larges lanières et, chargé du poids de sa mère, grimpera pendant deux jours jusqu'à déposer son précieux fardeau à bon port. Les préparatifs et les deux jours de ce dernier voyage permettent à chacun d'eux d'égrener leurs souvenirs : Marie se rappelle sa vie d'avant, la rencontre avec celui qui allait devenir le père de ses trois enfants et qui a été le grand amour de sa vie, avant de mourir en montagne ; Pierre se souvient de ses 15 ans et de la mort du père qui a muré longtemps sa veuve dans le silence. Marie était une mère aimante pourtant, malgré la peine dont elle a eu tant de mal à se remettre, et elle aimait les livres et les histoires. Il y a beaucoup d'amour là-dedans, et une obstination à avancer malgré les claques que la vie s'ingénie à vous donner. de la cruauté aussi, à commencer par cette dernière demande de Marie à Pierre, auquel il concède sans se révolter. On pourra y voir le dernier acte d'amour d'un fils pour sa mère, et la possibilité d'un chemin à l'envers où il devient "l'homme qui porte sa mère sur son dos pour l'emmener s'éteindre sur la montagne". J'y ai vu, moi, une mission fatale à laquelle il ne pouvait faillir, et quelque chose d'un peu égoïste. Comment peut-on demander une telle chose à son fils, n'ai-je cessé de me demander tout au long de la lecture de ce roman pourtant beau et ciselé ; comment peut-on le charger d'un si lourd fardeau ? Heureusement, on l'attend en bas.



Roman lu dans le cadre des "68 premières fois".
Lien : http://www.usine-a-paroles.f..
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Ubasute

Vous allez rencontrer Marie. Elle va mourir. Elle a cette douleur dans le ventre qui finira par lui prendre la vie. Elle demande à son fils de la porter dans la montagne. Jusqu’au Grand Rocher. Là, elle se reposera et il fera le chemin du retour seul. Ce sera son dernier voyage. Au cours de ce périple, Marie parcourt ses souvenirs. Les joies et les peines. Les naissances et les deuils. Les blessures aussi.



Ce roman m’a fait frissonner tout du long.

J’ai souvent arrêté ma lecture pour y noter des phrases qui en si peu de mots exprimait tout un sentiment.



Isabel Gutierrez nous présente un premier roman très doux malgré la dureté des événements relatés. Les phrases coulent. On en envie de chuchoter lorsque l’on referme cette histoire.

Car surtout, l’autrice nous emmène au pays des silences. Ces émotions ressenties mais non exprimées. Marie essaye de trouver les mots pour conter sa vie mais même sur le dos de son fils, elle reste silencieuse. Elle revisite ses souvenirs dans sa tête. Elle lui parle sans sortir un son.

Quelquefois, des silences valent bon nombre de mots.

Elle l’écrira elle même : « 𝘭’𝘢𝘣𝘴𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘥𝘦 𝘮𝘰𝘵𝘴 𝘯𝘦 𝘷𝘦𝘶𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘥𝘪𝘳𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘭’𝘰𝘯 𝘴’𝘦𝘴𝘵 𝘳𝘦́𝘤𝘰𝘯𝘤𝘪𝘭𝘪𝘦́ 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘴𝘰𝘯 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦 ».



𝗖𝗲 𝗿𝗼𝗺𝗮𝗻, 𝗰’𝗲𝘀𝘁 𝘀𝘂𝗿𝘁𝗼𝘂𝘁 𝘂𝗻𝗲 𝗼𝗱𝗲 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝘃𝗶𝗲.

Aux petites joies de l’enfance, au grand amour vécu parti trop vite, aux petits rien qui signifient tout.

Même dans l’expression du deuil, l’autrice sait en faire quelque chose de beau.

Elle ressort apaisée de cette vie qui a parfois été tellement cruelle.



Ce court ouvrage se savoure, il faut prendre le temps.

Relire une phrase et la méditer.

𝗢𝗻 𝗿𝗲𝗳𝗲𝗿𝗺𝗲 𝗰𝗲 𝗿𝗼𝗺𝗮𝗻 𝗮𝘃𝗲𝗰 𝗹’𝗲𝗻𝘃𝗶𝗲 𝗱’𝗲́𝗰𝗿𝗶𝗿𝗲, 𝗱𝗲 𝘃𝗶𝘃𝗿𝗲, 𝗱𝗲 𝗽𝗿𝗼𝗳𝗶𝘁𝗲𝗿 𝗱𝗲 𝗰𝗵𝗮𝗾𝘂𝗲 𝗶𝗻𝘀𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗲𝘁 𝗱𝗲𝘀 𝗲̂𝘁𝗿𝗲𝘀 𝗮𝗶𝗺𝗲́𝘀.
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Ubasute

Le titre m'appelle ; la maison d'édition, que je ne connais pas, aussi ; le format, le toucher, la 4ème, tout me parle : j'achète.

Je lis et je m'arrête ; je lis et je m'arrête ; impossible de lire plus de 10 mn. Alors que pourtant, la langue est tellement belle... Je pense à Marie-Helène Lafon qui me fait le même effet ; et puis mes yeux fatiguent : cette police grise sur ce papier, ça ne me convient pas du tout.

Tout ça pour dire que des détails peuvent nous faire (parfois) passer à côté de véritables perles de littérature. Ce court roman est splendide mais ne se dévore pas, il se lit doucement, au rythme de la marche vers le sommet de cette montagne ou Marie va venir mourir en paix, il se lit lentement, dans la vapeur des expirations lourdes de froid et de souvenirs et des inspirations revivifiantes. Il faut que les mots trouvent leur place, prennent corps, il faut leur laisser cette chance-là, ne pas les abimer d'une lecture hâtive comme on le ferait d'un fastfood, les laisser puiser leur résonnance, s'épanouir, trouver leur écho dans le tréfonds de nos mémoires.

Pierre porte Marie sa mère et sur son dos les souvenirs silencieux confiés aux grands espaces : son enfance, son amour, son mari perdu, ses errances, son amour toujours, ses enfants... Et la voix de Pierre pour finir, ses dernières confidences, sa place d'homme enfin trouvée à présent qu'accompagnant sa mère auprès de son dernier berceau, il accompagne aussi l'enfant qu'il a été et le laisse partir en paix.

Je découvre donc cette tradition japonaise, l'ubasute, que je trouve très belle.

Un excellent premier roman !
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Ubasute

La père mourante de Pierre lui demande de l’emmener sur la montagne, elle souhaite y finir ses jours. Il ne se voit pas refuser et accepte donc.

Ce long chemin silencieux va les amener à se souvenir de leur vie, des êtres chers qu’ils ont perdu en cours de route.

Un roman poignant qui nous fait découvrir le deuil d’un nouvel œil.
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Ubasute

Marie, gravement malade, demande à son fils Pierre de l'emmener en montagne pour qu'elle puisse y vivre ces derniers instants comme le veut la tradition japonaise et qui s'appelle ubasute.



Dans ce premier roman l'auteur nous parle du chemin que chacun choisit de faire pour sa fin de vie. Choix de fin de vie personnel qui peut paraître étrange dans le sens où l'on implique un proche dans cette démarche. Mais c'est aussi une question de transmission car durant ce parcours beaucoup de choses vont être dites, dévoilées, expliquées. C'est, ici, que la véritable rencontre entre une mère et son fils va se nouer. La mère parlant à son fils sans filtre, les mots qui jusqu'alors étaient tus se déversent aisément. Et cet échange est une forme d'adieu où la culpabilité n'a pas sa place.



J'ai beaucoup aimé la sensibilité, la douceur de l'écriture de ce court roman très poignant qui ne tombe néanmoins pas dans le pathos. C'est avec une très grand subtilité que l'auteur m'a amené à me poser la question sur le sujet et à envisager les différents scenarii qui s'offrent à moi.



Ce roman, contrairement à ce que l'on pourrait croire, un ode à l'amour qu'on porte à l'autre en acceptant de le laisser partir le moment venu et en l'accompagnant lors de son dernier parcours.



C'est un beau coup ce coeur pour ce roman qui mérite qu'on s'y arrête.



Ce roman a été lu dans le cadre de la sélection 2022 des 68premières fois
Lien : https://quandsylit.over-blog..
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Ubasute

Un roman qui m'a interpellé car il parle d'une femme qui choisit une coutume ancestrale japonaise pour finir sa vie. Elle demande à son fils de l'accompagner dans son dernier voyage et c'est l'occasion pour eux deux de renouer ce lien filial qui les unit.

C'est un texte touchant, aussi empreint de spiritualité.

Merci à mes 68 premiéres fois de m'avoir fait découvrir ce livre.
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Ubasute

Ubasute - Isabel Gutierrez / La Fosse aux Ours



Journal, fragments

"J'irai sur son dos, en silence. Une dernière fois, au sommet. Je me suis souvent demandé quel objet j'allais emporter. Quelle forme prendrait ma pierre de patience.»

p 17



Deuxième jour

Famille

"Mon fils, entends-tu les mémoires traverser ma voix silencieuse ?

Les souvenirs s'épluchent sur le chemin, en couches, dans ton dos robuste. J'aimerais qu'ils te fassent un chaud manteau quand nous serons sur la montagne. Je sens bien que l'air devient plus froid depuis quelques heures. Je ne suis pas bonne couturière, ce sera un manteau en morceaux. Des lambeaux qui, ajustés les uns aux autres, forment une histoire. Demain soir, il faudra nous dire adieu."

p 59



"C'est étonnant comme vos forces ont été grandes pour m'éloigner de mes lignes de fuite, aussi grandes que les vagues du vent froid qui nous accompagnent ce matin" (...) Ainsi, j'ai fini par trouver mon chemin, vois-tu. le goût du travail de vivre".

p 62/63



Disparition

"Un jour, la maison est devenue pleine de toutes les absences. Vide d'enfant, vide d'époux, depuis de trop longues années, vite d'amants de passage dont je m'étais lassée. Vide. Des traînée de rire et de larmes me font cortège dès le matin j'ai quelquefois le sentiment que le plus grand risque est de me perdre. Se perdre dans les placards des souvenirs, se perdre dans le silence immobile des journées pluvieuses, se perdre dans l'air figé des lendemains à inventer.

Je suis devenue un objet à la dérive, sans souffrance aiguë, assez sereine, attentive au moindre mouvement intérieur. Je suis en train de m'endormir, lové dans ce coton d'absences et de silence. J'ai quarante-cinq ans.»

p 67/68



"Il ne forment plus qu'un seul et même corps, informe, dont on ne saurait reconnaître les bras des jambes. Une seule et même douleur en mouvements presque imperceptibles. Ni l'un ni l'autre ne savent encore s'ils trouveront la force de s'arracher, de se dénouer. le fils avance très lentement, il lui semble que sa mère s'est endormie dans son dos.

Seigneur, viens-nous en aide."

p 95



"Maman, écoute-moi, je n'ai pas de voix et je voudrais parler."

"Jusqu'aux premières lueurs du jour, écoute, à ton tour, mon chant sans voix. (...)

"Je ne suis pas encore prêt à partir."

p 105



"Tu peux partir, je suis L Univers tout entier à l'intérieur de moi."

p 124



Un roman sur la transmission. La mère déroule le fil de sa vie en parcourant le chemin sur le dos de son fils, chemin qu'elle lui a demandé de faire pour l'emmener là-haut, dans la montagne, sur le lieu qu'elle a choisi pour mourir.

A l'instar du rite japonais de l'ubasute, tradition ancestrale qui enjoint au fils aîné de porter sa mère mourante sur une montagne et de l'y abandonner pour qu'elle y vive, seule, ses derniers instants.

Tout en cheminant, elle se prépare à partir et y prépare son fils.

Très beau roman tout en finesse et délicatesse qui n'est pas larmoyant ou pathétique même si le sujet pourrait s'y prêter.

C'est un premier roman. Et c'est un premier roman très réussi !

C'est comme si Marie, la mère, recréait le lien avec le fils au moment de mourir. C'est un parcours initiatique. La fin du chemin, l'aboutissement pour la mère, l'acceptation pour le fils.

Le texte est court mais précis ; il n'en faut pas plus. Pas besoin de long discours entre les deux etres ; ils se comprennent, ils se font confiance. Le fils ira au bout et elle mourra là-bas.

C'est un premier roman. Et c'est un premier roman très réussi ! Très belle lecture et découverte !



merci les #68 premières fois !!
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Ubasute

Un récit assez court qui nous entraîne dans les montagnes. Marie sait qu'elle va mourir, elle est malade et attend le bon moment pour demander à son fils de l'accompagner dans son dernier voyage : l'emmener en montagne pour qu'elle puisse y mourir en paix.

Grâce à la 4e de couverture, j'ai appris que l'ubasute était une tradition japonaise ancestrale consistant à abandonner en montagne une personne âgée et malade. Heureusement, j'avais la signification du titre avant de lire le livre. Et j'aurais aimé, que dans le récit de Marie soit entremêlé des indices ou infos sur cette étrange tradition.

Malgré l' écriture douce et poétique, malgré la tristesse qui émane du récit de Marie, puis de son fils, je n'ai pas réussi à accrocher complètement.
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Kintsugi

« Se peut-il que nous ayons peur de nos secrets, propres, entiers ? Ce serait un paradoxe, puisque nous serions, alors, la source même de notre peur. Pourtant, il me semble que cela existe. La peur de ce que personne ne sait, de cette intimité profonde sertie de diamants que nous cajolons comme un trésor. Mince alors, il vaudrait mieux que ça sorte. » ( p.64)

Chacun portant sa faille, plusieurs personnages vont prendre la mer ensemble, sur le trois-mâts du père Jaouen, pour un voyage de résilience… Angèle, qui a découvert l’existence de ce navire salvateur et la figure de celui qui l’a créé - embarquant avec lui des jeunes délinquants et des toxicomanes pour leur donner une seconde chance, l’espoir d’une autre vie - dans une revue qu’elle parcourait dans la salle d’attente de sa psychothérapeute, a choisi d’entreprendre cette traversée de l’Atlantique pour réussir à achever un travail de deuil, se détacher d’une histoire dont elle emporte le récit bien caché au fond de son sac. Sur le bateau, elle rencontrera Louise, Gino, Manuela, Lucas, Maud et Romain, autant d’âmes en peine aux existences blessées, et elle découvrira que c’est dans l’échange des paroles, la confrontation des souffrances, la solidarité face à l’effroi et à la perte, que chacun peut espérer se reconstruire.

Le récit d’Isabel Gutierrez assemble ces fragments de vies à recomposer, laissant entendre ici la voix de l’un ou de l’autre, donnant à lire, ailleurs, des extraits d’un journal intime. Le travail de cette écriture-couture évoque ainsi l’art japonais du « Kintsugi », qui donne son titre au roman, cette pratique consistant à reconstituer une poterie brisée, en soulignant d’un fil d’or les jointures des morceaux recollés, donnant au récipient ressuscité une apparence encore plus précieuse qu’à l’origine. Et les lecteurs du premier roman de l’auteure, Ubasute (La fosse aux ours, 2021) se rappelleront que cette image était déjà présente dans ce texte antérieur, comme une affirmation des pouvoirs de l’écriture. Angèle, la raconteuse d’histoires, qui croit à la vertu libératrice des contes, s’occupe, à un moment donné de la traversée, de réparer une voile abimée, illustrant, dans une magnifique mise en abyme, par « le geste précis et répété de celle qui recoud la voile déchirée par le vent » (p.78), l’extraordinaire puissance de la littérature. Angèle, comme un double de l’auteure, la meilleure de ses porte-parole au sein du roman… Remerciera-t-on jamais assez Isabel Gutierrez de nous avoir laissé entrevoir, avec tant de poésie et de grâce, la magie du verbe, elle qui semble s’adresser à elle-même l’antienne qu’elle met dans la bouche de sa protagoniste : « Trempe ta plume, ma fille, et cesse de gémir !»?

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