Citations de Isabelle Boissard (52)
Le crapaud à la princesse : Si tu m'embrasses, je me transformerai en prince charmant.
La princesse, après avoir réfléchi : Je préfère avoir un crapaud qui parle.
Traduction d'un dessin de John Atkinson. (p. 89)
Revenir à Paris est une chimère. La possibilité de faire me rassure, mais il faut croire que faire ne m’intéresse pas. Pas même une expo. En même temps, ce serait peine perdue vu qu’il faut réserver de plus en plus longtemps à l’avance. La réservation généralisée pour à peu près tout : ciné, musée, restau, visite, stationnement, hôtel, voiture, train, avion, concert, nécessitant une connexion internet, exigeant la création d’un compte, imposant la création de mots de passe avec un caractère spécial, une lettre majuscule, un minimum de 12 caractères et un chiffre, est un fléau contemporain. L’avenir est à ceux qui se connectent tôt.
À l'heure du consentement, est-ce bien raisonnable de prendre quelqu'un par surprise en lui organisant son anniversaire?
La publicité multiplie les désirs à l’infini. Les magazines féminins aussi. L’agora Instagram encore plus.
L’amitié, sous l’emballage, il y a la jalousie.
Je n'ai jamais su répondre à la question sournoise : « Et tu fais quoi de tes journées ? ». Comme les autres, j'imagine. J’attends qu'il se passe quelque chose dans ce quelque chose qui se passe. (p. 60)
Apprendre l'italien à quarante-quatre ans m'a permis, entre autres, de comprendre le refrain de la chanson « L'italiano » de Toto Cutugno que j'écoutais à treize. Il ne chantait pas du tout la chatte est mi cantarée ce qui ne veut rien dire, mais Lasciatemi cantare, « Laissez-moi chanter ». (p. 56)
Je fuis si on me parle logistique
Je n'organise pas les vacances
Je ne peux pas faire deux choses en même temps
Je n'ai jamais demandé à mon mari s’il m'aimait
Je laisse traîner mes chaussettes
Et si j'étais un homme ?
(p.86)
Un couple merdique, c'est du pain bénit pour l'harmonie des autres. « Je ne sais pas comment il fait. Dieu merci, tu es moins chiante qu'elle. » Tu es heureuse, ton mari te compare et te préfère. Il y en a même qui sur-jouent le bonheur conjugal. C'est lui qui vient passer une main dans le dos de sa femme et lui dépose un bisou sur la tempe. Ils s'exposent en couple témoin. Il y a bien des appartements témoins. Et le couple qui se sépare, ça fait quoi à part mettre le bazar et faire éclore des conflits de loyauté ?
(p.121-122)
Insta, Insta, dis-moi qui est la plus belle ?
Et Insta répond : Ce n'est pas toi, ma naine.
Tu as une belle maison, mais Blanche-Neige en a une plus belle que toi.
Tu as de beaux enfants, mais Blanche-Neige en a de plus beaux que toi.
Tu as des enfants intelligents, mais Blanche-Neige en a de plus intelligents que toi.
Tu passes de belles vacances, mais Blanche Neige en passe de plus belles que toi.
On peut décliner les possessions, les loisirs, les attitudes ad vitam. Et on y retourne. On se fait tous blancheneiger. Chacun a sa Blanche-Neige qu'on aimerait faire buter ni vu ni connu dans une forêt domaniale. Mais au fond, on préférerait surtout la voir se planter. Qu'elle mange un peu la poussière, qu'elle connaisse un revers de médaille, qu'elle ne retombe pas sur ses pattes, qu'on puisse trouver un peu de justice dans ce bas monde. On aimerait qu'elle rencontre un peu de lose surtout. Il ne suffit pas d'être heureux, encore faut-il que les autres ne montrent pas qu'ils sont plus heureux.
(p.92-93)
Cherche prince charmant retraité pour réveiller Belle au bois dormant. Accès facile, pas de forêt de ronces à traverser.
Couloirs, ascenseur, couloirs, sortie. Je croise un homme en béquilles. Des béquilles comme des échasses à l'envers. Mon grand-père maternel nous en avait fabriqué. Mon grand-père, le merveilleux, le glorieux. Revenu de la guerre, il avait trouvé sa jeune épouse dans les bras d'un autre homme. Le couple avait alors divorcé et mon grand-père s'était remarié aux épines d'une Bovary qu'il a adoré toute sa vie. Il est mort à l'hôpital. Dans la famille, les hommes meurent à l'hôpital et les femmes, folles.
En sortant, je manque d'avaler ma Nicorette en évitant de justesse un vélo. On me dit que je suis folle d'envisager un retour à Paris, que la ville a changé. Pour l'instant, je trouve surtout que ce sont les cyclistes qui ont changé. Les personnes à vélo sont les nouveaux chauffards parisiens. Je traversais au passage piéton dans mon bon droit, le petit bonhomme était bien vert. Un jeune trentenaire avec une barbe à la mode, habillée chez Carharrt, au guidon d'un triporteur, un vélo cargo, à contresens, m'a frôlé les pieds et le visage en brûlant le feu rouge. Mobilité douce ET conduite agressive. {…] La morale de l'histoire, c'est qu'on est toujours le connard d'un autre. On est toujours le piéton d'un cycliste, le cycliste d'une voiture, le scooter électrique d'un SUV, le train d'un avion.
(p.40)
Bienvenue à bord de Air France.
I am Stéphanie LOISEAU, your flight attendant.
En cas de dépressurisation, un masque à oxygène tombera automatiquement à votre portée. Tirer sur le masque pour libérer l'oxygène. En cas d'évacuation, etc. L'emplacement de votre gilet de sauvetage.Gnagnagnagnagnagnagna.
We wish you a very pleasant flight.
L'avion , c'est comme un paquet de cigarettes on te vend du rêve, mais en insistant bien sur les risques de mort lié à sa consommation.
Le journaliste : Avez-vous un mantra ?
L’artiste plasticienne : Mes parents, fervents catholiques, m’ont élevée dans l’amour de soi et de son prochain. Dans les moments de doute, ils aiment me rappeler la parabole des talents, racontée dans l’Évangile selon Matthieu. Je suis traversée par cette question : Qu’as-tu fait de tes talents ?
Moi : Qu’as-tu fait de tes talons ? Celui d’Achille surtout.
Je reconnais la belle jeune femme qui m'accueille. Bliss a un compte Instagram. Encore une meuf qui a réussi à remettre du sens dans son travail. Un retour aux sources. Des produits biologiques et locaux ou à défaut sourcés, des prunes du Mont des clos, du chocolat bioéthique quand tu croques un carreau, tu plantes une fève de cacao et tu permets à un enfant pauvre d'aller à l'école. Agathe s'est faite toute seule. Elle adorait la pâtisserie enfant. Sa grand-mère lui en a donné le goût. Elle s'est spécialisée dans la flouve odorante. C'est très malin la niche du monoproduit.
L'avion, c'est comme un paquet de cigarettes : on te vend du rêve, mais en insistant bien sur les risques de mort liés à sa consommation.
Biensur il y a pire que d’avoir eu, enfant, un père malade puis mort. J’ai déjà plusieurs fois fait des listes dans ma tête:
- un père violeur;
- un père Josef Fritzel, violeur et incestueux;
- un père inconnu;
- un père Eric Zemmour;
- un père violent;
- un père en prison;
- un père assassiné.
Incipit :
Dimanche 18 avril
Journée internationale des monuments et des sites
- A l’heure du consentement, est-ce bien raisonnable de prendre quelqu’un par surprise en lui organisant son anniversaire ?
Il m’a répondu qu’elle en rêvait. Elle lui en avait organisé un, ça devait forcément dire qu’elle en voulait un elle aussi, d’anniversaire surprise.
Ma mère aussi est devenue une transclasse. Mais elle semble en retirer une fierté. Fierté sans doute liée au fait d'avoir fait plus d'efforts que les autres. Et moi, il semble bien que j'en ressens de la gêne. Au bout du compte, aucune de nous n'est libre. Être fière ou avoir honte, ce n'est pas être libre. La véritable liberté, je sais ce que c'est. Je l'ai vue naître chez mes filles.
(p. 164)