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Citations de Isabelle Mayault (26)


C'est elle qui m'a appris à me méfier des gens qui ne lisaient pas, ou peu, de littérature contemporaine. Greta disait que c'était une preuve de manque de courage, qu'il n'y avait rien de plus formateur que d'exercer son jugement de lecteur sans avoir attendu que les siècles élisent à votre place ce qui méritait d'être lu.
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Ainsi, je vis les négatifs pour la première fois le jour où Carlos apporta la valise chez moi. Quand il quitta mon appartement, je me retrouvai seul avec elle. Naturellement, je l'ouvris. Je découvris deux boites de couleur, ainsi qu'une enveloppe jaune, l'air sage au fond de leur étui disproportionné. Les boites contenaient les bobines. [...] Dans l'enveloppe jaune se trouvaient les négatifs. Je n'aurais pas su dire qu'il y en avait des milliers. Quatre mille trois cents : on me l'a appris plus tard, quand tout a été fini. De ces boites plates et frêles se dégageaient une aura, un parfum de "Ça a été". Si la chambre mortuaire de Toutankhamon sentait le sable, le cuivre et les os, ces boites-là sentaient encore la poussière, le triomphe et les larmes.
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Je ne vous raconte pas ça, monsieur, pour accabler ma mère, mais pour vous expliquer d'où vient cet appétit de Robert [Capa] pour la reconnaissance et pour une vie hors norme. Cette vie-là, pour l'atteindre, il fallait prendre des raccourcis, donc des risques. Perdre et rejouer dans la foulée. C'est une vie admirable quand on ne l'a pas vécue, une vie belle à raconter au coin d'une cheminée, mais jamais cette vie n'a été facile, et rarement au coin d'une cheminée, mais jamais cette vie n'a été facile, et rarement elle a été amusante. Robert était trop pudique pour parler des centaines de cadavres qu'il avait vus. Un chiffre surnaturel,, n'est-ce-pas ? Plusieurs centaines de cadavres. Je connais des tas de gens qui traversent la vie sans en voir un seul.
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Comme toutes les maisons mexicaines, celle de mon oncle et ma tante avait l'allure d'un musée endormi : des perroquets en bois peint faisaient office de cadres pour les miroirs, des crânes fleuris servaient de presse-livres à la collection de romans et de poésie espagnole, anglaise, française, argentine, chilienne, mexicaine, nahuatl et caribéenne de mon oncle, des bouquets de lys et de fleurs sauvages ornaient les couloirs jugés trop vides, des tableaux de thème pastoral couvraient les hauts murs et, bien sûr, une sculpture du Christ sur un croix et un autel à Marie, encadré de guirlandes lumineuses et de roses en plastique, décoraient le vestibule qui conduisait aux chambres à coucher, ainsi que de gigantesques pots en céramique verte, produits par un artisan d'Oaxaca en hommage à l'agave. Tout ce petit monde se faisait la course jusqu'au plafond comme dans une canopée du Chiapas.
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Combien de fois Mireille, alors que nous venions de faire l’amour, m’avait dit : « Je ne sais pas comment vous faites pour travailler avec ce truc entre les jambes, qui gonfle, qui dégonfle, toute la journée. C’est un miracle, quand on y pense, que vous soyez si productifs. »
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Je me sens lourde comme cette commode, usée comme ce tapis de soie. » Je lui disais, croyant lui faire plaisir : « Greta, tu ne ressembles pas à une commode, mais à un cerf-volant ! » Elle répondait, de la dureté dans le regard : « Les cerfs-volants ne volent pas, Jamón, ils ne font que planer parce que quelqu’un tire leur ficelle. »
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De toute évidence il appartenait à cette race d'hommes modernes qui répugnent à croire en Dieu, mais chérissent l'idée qu'il existe une seule forme de vérité, une vérité unique et puissante, une vérité, pour ainsi dire, ultime, qui aurait le pouvoir de tout expliquer, à priori, à postériori. Non seulement il croyait à cette forme supérieure de vérité, mais en plus il pensait qu'il revenait à lui, d'aller la chercher et de la défendre. Dans ce scénario j'incarnais l'obstacle entre cette vérité et lui, et l'on comprendra sans mal pourquoi il flottait à notre table le parfum âcre des tribunaux de l'Inquisition
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Mes activités professionnelles ne justifient pas que mon nom soit imprimé quelque part, si ce n’est, de temps à autre, sur des fascicules ou des affiches. Mes courts-métrages sont projetés dans des festivals sans que les critiques les mentionnent, même pour en dire du mal, et je ne m’en plains pas. Mireille, mon ex-femme, s’en plaignait beaucoup. C’est sans doute pourquoi elle vit aujourd’hui avec un producteur célèbre à Mexico, dont le nom figure à chaque générique de film qu’il finance, en bonne place et en gros, juste après ceux du réalisateur et du scénariste.
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Personne avant Capa, Taro et Chim n'avait osé prendre des photos d'un combat "en cours". [.] Ils avaient compris avant tout le monde que cette guerre constituait le dernier rempart avant quelque chose d'effroyable. Que pour saisir ce qui se jouerait en suite, il fallait être là pour voir le têtard grossir. Bien sûr il ne le formulaient pas aussi nettement, mais c'est ce qu'ils ont fait. Ils ont vu le têtard se transformer en crapaud difforme. Qu'ils aient été tous les trois juifs et originaires d'Europe centrale n'est pas un hasard historique. Leurs origines ont contribué à leur donner une sensibilité pour cette cause qui manquait à un américain protestant ou à un français catholique.
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Elle n’était pas venue pour mourir, mais pour sauver des vies qui sans elle se seraient enfuies dans le ciel bleu avec la légèreté d’un soupir. Elle était venue pour faire perdre du terrain à la mort ; pour lui dire : attends ma vieille, pas si vite.
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Elle avait chaud, elle avait soif, elle avait besoin d’horizon tandis que je me perdais dans la contemplation de la végétation robuste qui poussait dans la cour intérieure de la maison rose de Puebla, sur laquelle donnaient les chambres. Notre grand-mère nous interdisait d’aller au-delà de la rue des garagistes. Nous y allions quand même pour voir ce monde où les hommes, souvent jeunes, passaient la journée le dos contre les murs de la ville, si bien que Greta surnommait le Mexique « ce pays où les murs ont besoin des hommes pour tenir droit ».
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Pour autant, ma cousine n’était pas une adepte du « c’était mieux avant ». Elle disait que, pour les femmes, il n’y avait pas de « c’était mieux avant » qui tienne. Elle affirmait que le principe inverse, « ce sera mieux après », était la seule chose qui lui donnait assez d’élan pour se lever le matin
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On a tort de croire que la jalousie disparaît avec la mort. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un sentiment intéressant, je dis simplement que la mienne a survécu à la disparition de Beppe. Cet homme que Greta – en tout cas, j’osais l’espérer – n’avait pas choisi pour sa personnalité mais pour les paysages qu’il lui promettait de traverser avec elle, je le méprisais avec autant, et peut-être plus, de vigueur depuis que je l’avais vu en photo sur le siège passager de la voiture de Greta.
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Pour autant ma cousine n'était pas une adepte du " c'était mieux avant". Elle disait que, pour les femmes, il n'y avait pas de " c'était mieux avant" qui tienne. Elle affirmait que le principe inverse, " ce serait mieux après", était la seule chose qui lui donnait assez d'élan pour se lever le matin.
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Les colons espagnols avaient laissé à la postérité de très émouvantes descriptions de leur arrivée sur le plateau de Mexico, avec vue en contrebas sur celle qui deviendrait l’une des villes les plus peuplées du monde – si émouvantes, et c’était là le but, qu’elles pouvaient faire oublier qu’il s’agissait d’une invasion, et pas d’un pique-nique.
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C'est elle qui m'a appris à me méfier des gens qui ne lisaient pas ou peu de littérature contemporaine. Greta disait que c'était une preuve de manque de courage, qu'il n'y avait rien de plus formateur que d' exercer son jugement de lecteur sans avoir attendu que les siècles élisent à votre place ce qui méritait d'être lu.
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Quelques semaines plus tard, donc, Chim est remonté vers le sud de la France, sur ces plages où on lui avait dit que des camps de réfugiés étaient en train de s’établir. Argelès, grande comme une plage brésilienne avec les montagnes au fond et les nuages qui s’y accrochent. Comme ça, ça n’avait l’air de rien, une plage. Moi-même, au début, j’ai pensé qu’il devait exister de pires endroits pour un camp de réfugiés. Sauf que d’abord, il ne faisait pas, à Argelès-sur-Mer, les mêmes températures qu’à Bora Bora. Le nom seul fait penser à ces choses que l’on attrape sous les ongles quand ils ont trop longtemps été exposés au froid. Je ne sais pas qui, à la préfecture ou au gouvernement, a eu l’idée de planter des barbelés dans du sable, ni pour faire plaisir à qui ces camps ont été — je n’ose pas dire — « construits ». Après des journées de marche sur des routes susceptibles d’être bombardées, ceux qui atterrissaient là souffraient des mêmes maux : le froid et la faim, le froid et la faim. L’humiliation aussi, certains en sont morts. Certains, je l’ai lu, ont préféré retourner se faire tuer en Espagne plutôt que d’attendre la mort dans un tombeau de sable et de sel. Tous les réfugiés étaient des républicains partis sur les routes avec leurs familles après avoir entassé dans une charrette ou sur un âne ce qu’il leur avait été possible d’entasser. Pour ces gens, les Français n’avaient pas d’empathie, et d’une certaine façon c’est normal, ces histoires vues de l’extérieur ont quelque chose de caricatural. Quand on les entend, ces histoires, on est obligé de se dire ce qu’on se dit quand on entend parler de gens qui meurent d’un cancer à vingt-neuf ans ou dans un accident de voiture à quatorze : que les nôtres, eux, seront épargnés par la folie arbitraire de notre condition. On se dit : « Les pauvres. » Plus tard, on dit : « Je ne savais pas. » Chim, lui aussi, a dormi dans le sable, mais à tout moment il pouvait partir. Chim a pris beaucoup de photos à Argelès. Exceptionnellement, Capa et lui se sont croisés. C’était déjà la fin de quelque chose, Argelès, c’était accepter de voir ce que devenaient les républicains, laisser tomber les fronts.
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Le hasard fit que Chim se trouvait à Elgeta quand il reçut le télégramme d’Herbert lui apprenant la mort de Gerda Taro. (…) Chim aurait préféré ne pas avoir de détails, car des détails naissaient les images ; mais dans le cadre étriqué du télégramme, Herbert avait réussi à déployer son talent de narrateur. “Gerda quittant Brunete en voiture. Gerda éjectée du véhicule dans un virage. Gerda écrasée par un char républicain qui fuyait lui aussi le théâtre de la défaite.”
Il y avait dans ces éléments de récit quelque chose de grossier qui ne seyait pas au parcours de Gerda. Plus tard, Chim n’arriverait même plus à se souvenir de ce nom — Brunete. Pourtant, la bataille ferait la une, et ce nom et celui de Gerda deviendraient inséparables, quand le journal pour lequel elle travaillait le plus souvent ferait le choix contestable de titrer sur « les dernières photos avant sa mort », la mort de celle qu’ils appelaient sans honte leur correspondante, alors qu’ils ne la défrayaient pas, qu’ils la payaient toujours en retard, quand ils se souvenaient de la payer, et que, jusqu’à quelques mois avant sa mort, ils ne savaient même pas, en réalité, qu’ils la publiaient depuis longtemps, puisque Gerda envoyait son travail sous le nom de Capa. Rien ne collait, ni le moment (Capa était alors remonté à Paris pour affaires), ni la façon.
Dans les semaines qui suivirent, souvent Chim se réveilla fâché. En rêve, il avait vu Gerda. Elle se tenait devant lui, cigarette à la main, et lui disait, avec ce ton sarcastique que balayait la douceur de son regard, « Vraiment, Chim ? Toi, tu as cru que j’étais morte ? », et Chim comprenait qu’il avait fait une erreur, qu’Herbert s’était trompé, il fallait prévenir Capa, oui, mais qu’elle n’était pas morte, il fallait se réjouir, il fallait… Le rêve revenait et, avec lui, le soulagement intact de cette annonce, puis la colère des petits matins, quand Chim, réveillé cette fois, assis dans son lit, la tête entre les mains, se répétait : « C’est insensé, c’est insensé », secouant le crâne dans l’espoir que le sortilège s’évapore.
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Novembre à Madrid fut marqué par le début des bombardements. Un premier, le 4, isolé. Puis rien jusqu’à la nuit du 16 et après, personne ne comptait plus. Chim traversa ces deux premières semaines dopé par les slogans et les hourras : « Madrid sera la tombe du fascisme ! » Il n’avait pas longtemps ruminé son échec à convaincre Olivia de rester à Elgeta. C’était une joie de voyager avec elle dans le chaos. Comme les autres, Chim se rendait sur le front en métro. Avant le 16, il y avait encore de l’espoir à Madrid, les photos de Chim le disent. Quelques belles contre-attaques républicaines emportées la semaine de l’anniversaire de la révolution russe avaient suffi à regonfler le moral de la ville. Car c’était la ville entière qui se battait. Il fallait voir la prestance de ces femmes en tablier, au bord du trottoir. Quand elles apercevaient le Leica de Chim, elles contractaient leur biceps, celui qui s’était développé à force de poulets plumés le dimanche et de marmites de soupes remuées le reste de la semaine, et levaient le poing, paume vers l’objectif.
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Pour autant, ma cousine n’était pas une adepte du « c’était mieux avant ». Elle disait que, pour les femmes, il n’y avait pas de « c’était mieux avant » qui tienne. Elle affirmait que le principe inverse, « ce sera mieux après », était la seule chose qui lui donnait assez d’élan pour se lever le matin.
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