Images de
guerreBernard PIVOT présente ses invités :
Jacqueline DANA, qui raconte la
libération de l'Italie du
nord par les Américains dans son livre "l'été du
diable";
Claude LANZMANN, cinéaste et journlaiste, qui raconte comment à partir du film du même nom, il a voulu écrire son livre "
Shoah" qui retrace la vie terrifiante dans les
camps d'exterminationnazis ;
Fred KUPFERMAN, dans "Les premiers...
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Il avait été élevé dans la dignité, la fierté et l'image d'une Crète indomptable, éternelle, sans cesse écrasée, sans cesse renaissante. On lui avait inculqué l'orgueil d'une culture, berceau des plus grandes civilisations. Depuis qu'il était tout petit, on lui avait expliqué qu'il avait la chance d'être né sur une île mythique, patrie des Dieux, berceau du monde, chantée par les plus grands poètes. Il avait grandi au milieu d'une forêt de symboles, à l'abri de remparts aux portes monumentales incrustées d'écussons, de palais construits par les Vénitiens dns le flamboiement de la renaissance italienne. Né dans une famille de petite noblesse et de grand courage, il avait eu de la vie une image idéalisée, à peine entachée de lointains échos guerriers. Il n'avait pas dix ans quand son univers s'était noyé dans un déluge d'épouvantes, de massacres, dans les hurlements des vaincus égorgés, les gémissements étouffés par l'effroi et le ronflement des flammes, les cris de suppliciés, dans la tempête de la guerre, de la rage et de la mort. Comment évoquer sans souffrir cet effondrement ..........
La mer, c’était déjà la mollesse, un pas vers un infini où l’on ne pouvait que se perdre. La mer était une belle trop facile, instable, aux flux inattendus. Eux, ils étaient de la montagne. La montagne immuable et sévère, rythmée par des saisons rigides où le grand froid succédait au grand chaud, où les arbres poussaient selon un ordre éternel, imposé par le climat, l’altitude et le vent.
On se méfiait de la mer et de ceux qui en venaient. Les vestiges du passé résonnaient encore du vacarme des envahisseurs débarquant sur des plages violées avant même d’avoir résisté. La montagne, elle, avait servi de refuge, elle n’avait jamais failli à son rôle protecteur.
Oui je l’ai ensorcelé, l’homme de l’île.
Je devine que j’ai sur lui une emprise qui, si elle ne m’est pas encore familière, peut me rendre invincible. Aucun de mes gestes n’est anodin. Si je bouge, si j’incline le col, il tremble. Personne ne le voit, sauf moi. Les filles sentent très tôt ces choses-là. Elles savent qu’elles peuvent déchaîner la violence et qu’il leur faut ruser avec le désir des hommes. Elles sont là, sur le bord de la rive, à jeter leur hameçon, puis battent en retraite et vont se cacher dans les fourrés, immobiles, le cœur battant. Elles ont un peu peur aussi, et restent étourdies par leur jeune puissance.
«La vie est plus simple qu’on ne le croit. Il faut la perdre en riant, il faut la jouer. Je vous propose un marché. On joue aux cartes, tous les deux. Si vous gagnez, j’épouse Mario.»
Encore aujourd'hui, alors que j'approche de ma soixantième année, j'ai le coeur percé par la violence de Matteo.
Elle ne sentait plus rien, comme si son ventre était en bois, tout son corps en bois. Finalement, c’était assez pratique. Il n’y avait qu’à attendre que la chose finisse. Ça allait vite, une histoire de dix minutes, à peine.
«Revoir mon village me terroriserait. J’aurais trop de crainte que toutes ces chaînes que j’ai peu à peu brisées ne viennent se refermer sur les anciennes cicatrices.
Même les pierres me reconnaîtraient et le diable saurait bien vite que je suis de retour.
Lui et moi, nous avons joué à cache-cache depuis le jour de ma naissance. Au fil des ans, je ne me suis pas si mal entendue avec lui. Mais je n'irais pas le provoquer, là où il s’est réfugié, dans les hauteurs des montagnes, dans les vallées désertées, les forêts profondes et les îles où les hommes croient en lui et lui donnent asile.
Oh, les choses de l’amour ! Cela faisait si longtemps ! Tout son jeune corps hurlait de désir, sa peau souffrait à force d’attendre, ses jambes s’écartaient sans même qu’elle en eût conscience. Jamais, jamais elle n’aurait cru qu’en elle, s’étaient tapies tant de folies. Mais lui s’était redressé et la regardait. Elle gémit au fond d’elle-même. Pourquoi attendait-il, pourquoi des mots ?
«Vous avez appris le français à l’école ? Alors lisez Flaubert. Lisez Madame Bovary. Tenez, votre beau-père l’a rangé là-haut, à côté de La Tentation de saint Antoine. A ne pas mettre dans toutes les mains, celui-là...»
Les fascistes, le fusil sous le bras, étaient aussi prompts à tuer. Sur le pays dévasté avançaient côte à côte, telles deux monstrueuses sorcières, la guerre libératrice des Alliés et la guerre civile des Italiens