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Critiques de Jamie Delano (30)
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New X-Men Companion

Ce tome regroupe 27 histoires, allant d'un épisode complet à un demi-épisode, parues dans la série X-Men Unlimited 34 à 50 (à l'exception des 44 & 45) en 2003/2004, et le 1 de la série de 2004. Il s'agit donc d'une forme d'anthologie, avec des histoires réalisées par de nombreux auteurs. Les scénaristes : Steven Grant, John Smith, Jimmy Palmiotti, Gail Simone, Ian Edginton, Jeff Jensen, Kaare Andrews, Greg Rucka, Jason Pearson, J. Torres, Chris Claremont, Nick Bertozzi, Jamie Delano, David Conway, Darko Macan, Bruce Jones, Adam Warren, John Layman, Bill Willingham, Kazuo Koike, Tony Lee, J.T. Krull. Les dessinateurs : Trevor Eeden David Finch, Amanda Conner, Kevin Maguire, Joe Chiodo, John Totleben, Kaare Andrews, Darick Robertson, Jason Pearson, Keron Grant, Paul Smith, Neil Googe, Takeshi Miyazawa, Simon Bisley, Shin Nagasawa, Rick Mays, Dan Norton, Richard Isanove, Kelsey Shannon, Ban & Ray Lai, Tom Mandrake.



À Tokyo, Shiro Yoshida (Sunfire) enquête pour retrouver un jeune homme yakuza, à la demande de sa mère. À New York, Joel (un jeune émo) se fait maltraiter au lycée : Jean Grey se bat contre Sabretooth, les parents de Joel se rendent compte qu'il a fugué. Pour se détendre, Rogue a emprunté la moto de Logan et roule : elle se fait chahuter par des bouseux en 4*4. Des acteurs pas très bons interprètent Xavier, Shadowcat, Cyclops, Beast et Wolverine, mais des terroristes interviennent sur le plateau pour dénoncer ce film pro-mutant. Erik Lehnsherr intervient pour démanteler un trafic de mutants. Hank McCoy recueille un mutant félin à l'école de Westchester, sans arriver à le soigner complètement. Il était une fois, un jeune enfant était né dans un étrange endroit, pas tout à fait dans notre monde, pas tout à fait dans le suivant. Il était né entre les mondes, disséminé dans chacun d'entre eux. Pendant ce temps-là, Kitty Pryde pense à Illyana Rasputin. À New York, Kitty Pryde pense à Peter Rasputin, mort depuis un an ; elle a l'impression de l'apercevoir bien vivant dans une rue.



Dylan a planté sa voiture dans le parapet d'un pont et elle menace de basculer dans le vide, l'entraînant avec sa copine Amy vers une mort certaine ; cachée dans l'ombre de la nuit, Storm observe la scène sans se décider à intervenir. Storm vole au-dessus du Japon pour intervenir en urgence : elle se fait intercepter par Sunfire (Shiro Yoshida) qui veut l'obliger à respecter l'interdiction de survol du Japon par des mutants. Comment Ororo a-t-elle décidé de changer de coiffure et d'opter pour une iroquoise ? Dans le nord canadien, Sabretooth avance torse nu dans la neige en saignant abondamment : un chasseur humain a réussi à le blesser grièvement et continue à le poursuivre. À New York, Juggernaut a décidé d'écrire un poème pour l'offrir à sa professeure. À New York, Milo Mystik, un adolescent, s'est servi de son pouvoir de mutant pour devenir une star de la musique pop, déchaînant les foules. Emma Frost est prisonnière en Antarctique, aux mains d'une femmes qui souhaite extraire son gène mutant pour se l'injecter. Une jeune Jean Grey revient de faire des courses et trouve les locaux de l'école de Westchester sens dessus-dessous.



Du fait de sa nature d'anthologie, ce recueil comprend forcément des histoires qui parlent plus que d'autres, vraisemblablement différentes pour chaque lecteur. Le titre indique qu'il s'agit de récits parus en parallèle des épisodes écrits par Grant Morrison pour la série principale, rebaptisée New X-Men à l'occasion, numéros 114 à 154 parus de 2001 à 2004. Difficile d'attirer le lecteur sur d'autres récits, mais quand même la liste des créateurs impliqués, tant scénaristes que dessinateurs, a de quoi attirer l'attention. Le choix des personnages est plus consensuel : Jean Grey, Rogue, Wolverine, Beast, Kitty Pryde, Nightcrawler, Storm, Emma Frost. Les choix les plus étonnants sont 2 supercriminels (un évident Sabretooth, un moins évident Juggernaut), et 2 mutants de second plan Sunfire et Sage, ainsi que l'inattendu Lockheed. Ne pouvant pas apporter des modifications significatives, les créateurs doivent soit se focaliser sur la personnalité de leur protagoniste, soit sur une intrigue rapide et astucieuse. Effectivement, les 27 histoires ne se valent pas toutes, et elles ne s'inscrivent pas toutes dans le même registre. Il est possible d'en singulariser quelques-unes.



Le vieux fan des X-Men ne peut pas résister à la nostalgie qui se dégage des 12 pages réalisées par Chris Claremont & Paul Smith (comme au bon vieux temps) et qui se déroule entre les numéros 173 et 174 d'Uncanny X-Men initialement parus en 1983. Cette séquence montre comment Ororo a sauvé Yukio de la noyade et comment Yukio l'a aidé à trouver son nouveau style avec l'iroquoise. Claremont ne retrouve pas sa verve d'antan, et les dessins de Smith ont perdu en élégance, mais il est émouvant de se replonger dans cette époque. En termes d'étude de caractère, l'histoire Yartzeit (22 pages) dépeint une Kitty Pryde en plein processus de deuil, Peter Raspoutine étant décédé un an auparavant. Greg Rucka sait faire partager la douleur de l'absence qu'éprouve encore la jeune femme, et Darick Robertson reste dans un registre graphique naturaliste, évitant le romantisme outrancier. Le lecteur partage la peine de Kitty et l'accompagne dans son processus d'acceptation, toujours en cours. Jeff Jensen (scénario) et John Totleben (dessins) réalisent une histoire d'Hank McCoy à la sensibilité tout aussi juste : le biologiste qu'il est se heurte à un mystère, un mutant ne réussissant pas à guérir complètement malgré les soins prodigués. L'homme se heurte ainsi à ses limites avant d'accepter la réalité et le deuil qui l'accompagne, servi par une narration visuelle exquise de délicatesse. Dans ce registre, toutes les histoires ne se valent pas : celle consacrée à Rogue (par Jimmy Palmiotti & Amanda Conner) est plus convenue, ainsi que celle consacrée à Erik Lehnsherr (par Ian Edginton & Joe Chiodo), malgré un registre graphique original établissant une ambiance poisseuse. Certains auteurs se contentent de ressasser les thèmes clichés des histoires de mutants sans réussir à y apposer leur patte personnelle : Jason Pearson opposant les convictions de Storm à celle de Magneto, Steven Grant & David Finch faisant de Sabretooth un animal traqué, David Conway & Keron Grant réduisant Emma Frost à l'impuissance face à une femme ambitieuse, Bruce Jones & Shin Nagasawa réalisant une histoire silencieuse de Wolverine, ou encore Kazuo Koike réalisant une histoire de Wolverine en tant que samouraï des temps modernes.



En parcourant la liste des équipes créatrices, le lecteur en attend plus de certaines que d'autres. Impossible par exemple ne réprimer sa curiosité à voir Wolverine dessiné par l'impétueux Simon Bisley (Sláine avec Pat Mills, Lobo avec Alan Grant & Keith Giffen), sur un scénario de l'inventif Ian Edginton (Stickleback). Ce dernier a conçu une histoire sur mesure pour jouer sur les forces graphiques de Bisley avec une série d'affrontements physiques entre Logan et des adversaires. La démesure est bien présente, avec une forme d'exagération moqueuse, mais le tout reste sympathique sans passer dans la catégorie indispensable. La synergie entre John Smith (scénario) et David Finch (dessins) fonctionne mieux pour une histoire ou chaque page est découpé en tiers horizontal, chacun comprenant un fil narratif suivant un personnage différent. Avec une narration très classique, Tony Lee & les frères Lai racontent une histoire originale de Sage qui tire pleinement partie des pouvoirs de cette mutante, de leurs conséquences sur sa personnalité.



Il y a également des créateurs qui choisissent de réaliser une histoire en se démarquant totalement des conventions narratives en vigueur dans les comics industriels de superhéros. Parfois, ça ne fonctionne pas : l'approche pseudo-manga / Disney de Bill Willingham & Kelsey Shannon pour une histoire infantile très convenue de Nightcrawler. D'autres fois, le lecteur tombe sous le charme d'une interprétation personnelle apportant de l'inattendu et l'originalité dans une histoire de mutant. Kaare Andrews aidé par 5 artistes raconte un conte bien tourné, avec une prise de risque graphique payante. Jamie Delano & Neil Googe créent un nouveau mutant mettant son pouvoir à profit pour devenir une star de la pop, avec une narration graphique empruntant des codes visuels au manga, pour une histoire futée, sensible et adulte. Darko Macan & Danijel Zezelj racontent une intervention de Charles Xavier dans l'esprit d'une femme troublée pour une plongée dans une réalité agressive et une main tendue honnête et charitable, avec des visuels d'une beauté mélancolique extraordinaire.



Comme dans toute anthologie, le lecteur apprécie différemment chacun des récits. Au vu de la liste des créateurs, il est en droit de s'attendre à des étincelles. Tous ne réussissent pas à relever le défi, mais ce recueil contient quelques pépites et assez de bonnes histoires pour que le lecteur atteigne un bon niveau de satisfaction, à la fois pour la mise en valeur d'une facette d'un personnage, pour une narration graphique sortant de l'ordinaire, pour 3 récits exceptionnels.
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John Constantine - Hellblazer, tome 1 : Péchés ..

Me suis laissé gruger par l'esthétique de la couverture, magnifique ! mais j'ai rapidement déchanté devant le dessin misérabiliste à l'encrage lourdingue et la naïveté pénible des représentations de l'espace urbain dans des cases aussi étroites que surchargées, coloriées par un gardien de fête foraine : du pulps dans toute sa splendeur, quoi ? Y compris dans la qualité du papier. On dirait un hommage appuyé aux comics d'autrefois mais en couleur dans ce qui se fait de pire. le scénario est plutôt consistant mais à ce compte-là, les gars, écrivez un roman, ne faites pas de la bande "DESSINÉE".
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Outlaw Nation

Il s'agit d'une histoire complète, initialement publiée mensuellement en couleurs en 19 épisodes de 2000 à 2002, par Vertigo (la branche adulte de DC Comics). Ce tome comprend l'intégralité des 19 épisodes, en noir & blanc, sans les couvertures originales de Glenn Fabry, avec un mot d'introduction de Jamie Delano, le scénariste de tous les épisodes. Goran Sudzuka réalise les dessins et l'encrage des épisodes 1 à 4. Il dessine les épisodes 5 à 8, avec un encrage réalisé par Sebastijan Camagajevac. Les épisodes 9 à 19 sont dessinés par Goran Parlov et encrés par Goran Sudzuka.



Quelque part au Vietnam, dans la jungle, Story Johnson (un écrivain américain, ayant précédemment adopté le pseudonyme de "Drifter"), met un point final à son grand roman (1.000.000 mots). Il vit dans cette vallée isolée avec une femme vietnamienne sans nom, la fillette courant nue après le bombardement au napalm de son village (dans la réalité : cliché de Phan Thị Kim Phúc pris le 08 juin 1972, ayant valu le prix Pulitzer à Nick Ut). L'achèvement du roman, combiné à la mort de cette femme (déclenchement inopinée d'une mine antipersonnel) va l'amener à retourner aux États-Unis, pour reprendre contact avec sa famille élargie. Il fait partie du clan des Johnson ; il a 100 ans, il en paraît 30. À Taos, dans le Nouveau Mexique, Rosa Cow Tree McGee vient demander l'aide de Ruth Hoag, pour retrouver Sonny (Sundance) Hoag. Ce dernier est le fils de Ruth et le père de l'enfant à naître de Rosa. Non loin de là dans le désert, Kid Gloves (Evelyn Johnson, le demi-frère de Story) vient de capturer Hog Johnson (un ancien amant de Ruth Hoag). Dans sa base fortifiée dans le désert, Aza Arizona (le père de Story et Evelyn) attend ses soins et supervise plusieurs opérations clandestines de grande envergure. Sonny Hoag est à la recherche du Lieu mythique "The place", communauté des Johnson.



Dans l'introduction, Jamie Delano explicite son intention : écrire l'équivalent d'un grand roman américain, s'appuyant sur une partie de la mythologie de ce pays, en rendant hommage aux vagabonds itinérants, vivant de magouilles et autres vols (commis sans violence, ni mise en danger de la vie d'autrui). Il évoque en particulier le personnage historique de Jack Black (1871-1932) et son autobiographie You can't win (1926, influence significative de la Beat Generation), ainsi que le roman The place of dead roads (1983) de William S. Burroughs. Il reprend à son compte ce concept de société assez lâche de marginaux, vivant de petits larcins et délits, en dehors de la société ordinaire. Il y insère une composante originale : pour une raison expliquée en cours de récit, une partie de ces marginaux disposent d'une durée de vie étendue, et sont très difficiles à tuer.



Au fur et à mesure que Story Johnson progresse vers son but (Taos et Ruth), il rencontre des individus qui sont passés à côté du rêve américain et de son ascenseur social lié à la réussite, tels Martin Reiner (adolescent renvoyé de son école pour avoir écrit une rédaction dans laquelle il s'imaginait tuant ses camarades de classe avec une arme à feu) et Jenny Reiner (sa mère, qui n'a de quoi se payer que la location d'un mobil home et qui gagne sa vie comme interlocutrice de téléphone rose). La simple présence de Story semble aggraver la situation de chaque personne qui gravite autour de lui. Le lecteur découvre peu à peu une organisation secrète tirant les ficelles de trafics à l'échelle mondiale, ayant noyauté les organisations de sécurité des États-Unis, envoyant des hommes en costume noir et lunettes de soleil pour effacer toute trace, et exécuter les témoins. En tant que fils d'Aza Arizona (le dirigeant de cette organisation), Story constitue une cible de choix, et son retour émeut beaucoup de factions, à commencer par son demi-frère. Jamie Delano raconte donc un thriller à base de complot mondial.



Comme il l'explicite dans son introduction, il nourrit son récit d'archétypes culturels divers et variés, plus ou moins ancrés dans la contre culture du pays et le mythe de sa fondation (la conquête de l'Ouest) : écrivain maudit, grands espaces sauvages désertiques, vieille Jeep découverte, opérations clandestines, tueries au milieu de nulle part, abus d'alcool pour noyer sa douleur existentielle, usage d'armes à feu en vente libre pour régler ses problèmes, voiture piégée, pendaison à la branche d'un arbre, infirmière pulpeuse et sexy, vétéran du Vietnam souffrant de troubles de stress post traumatique, mur de marbre noir pour le mémorial des vétérans du Vietnam, partie de poker truquée, agression d'un détenu en prison par d'autres détenus blancs tatoués de croix gammées, locomotive à vapeur, serveuse sans avenir dans une station service paumée, vieux shérif, collier d'oreilles, etc. Delano pioche aussi bien dans les figures mythiques du western que dans les situations violentes de séries télé. Pour un anglais, il manie avec justesse ces archétypes en leur donnant un sens propre dans le cadre de sa narration, et en les amalgamant de manière organique.



Petit à petit, le lecteur s'attache à ces personnages moralement ambigus, imparfaits, dont l'altruisme relatif bénéficie surtout à eux-mêmes et une partie de leurs proches. Ils n'ont rien de héros prêts à sauver le monde. Ils entretiennent des relations complexes entre eux, des relations d'adultes, et même intergénérationnelles (des relations père/fils pour l'essentiel). Ils ont besoin de soutien affectif, ou de substances plus ou moins psychotropes pour surmonter les coups durs, ou simplement supporter le quotidien (une consommation de bédos très élevée, avec un peu d'amphétamines -speed- pour rompre la monotonie du cannabis). Cette consommation de drogue et d'alcool n'a pas beaucoup d'effet sur les Johnson du fait de la résistance de leur organisme, mais quelques remarques attirent l'attention sur le comportement irresponsable qui en découle, et la perte de concentration (sans moralisme, mais sans les transformer en porte d'accès vers une réalité supérieure). Malgré ces éléments, "Outlaw nation" ne s'apparente pas dans la forme à un récit brutal et vicieux comme ceux de Garth Ennis. En particulier cette résistance aux blessures tend à dédramatiser les affrontements physiques et à introduire une distanciation vis-à-vis de ces personnages. L'implication viscérale des récits d'Ennis ne peut pas exister dans ces conditions.



De même, la nature de cette communauté de margoulins n'est pas très développée. S'il est fait plusieurs fois référence à une sorte de code de l'honneur, il n'est jamais explicité et enfreindre ce code ne prête pas à grande conséquence. Ces valeurs semblent plutôt relever de convictions intimes des individus, que d'un projet de société. De même les ressources pour la subsistance de cette communauté restent des plus vagues. Par contraste, Delano est beaucoup plus convaincant quant il évoque le pouvoir des livres et de l'écriture, la communion d'esprit qui peut s'établir entre un lecteur et l'écrivain par le biais du livre (Sonny et le roman de Drifter), allant même jusqu'à faire de l'aeuvre de Drifter la matérialisation tangible d'un mouvement culturel (à l'instar de celle de William Burroughs). De ci de là, le lecteur est saisi par une image ou une situation capturant parfaitement une facette de la société. Il y a cette infirmière en bikini avec des mensurations affolantes, mais bardée de diplômes, que les hommes de voit que comme un objet sexuel. Il y a le discours de ce politicien sur une estrade en plein champ, face à un électorat de paysans, avec la mise en lumière du décalage total par rapport aux attentes d'électeurs urbains. Il y a la découverte du collier d'oreilles qui rappelle les trophées les plus barbares de la guerre du Vietnam (fait réel).



Les dessins ne souffrent pas trop de la reprographie en noir & blanc. Goran Sudzuka définit le style graphique de la série dans les 4 premiers épisodes : réaliste, sans être photoréaliste, avec des expressions de visages un peu exagérées mais sans être caricaturales, et une nette volonté de retranscrire l'impression donnée par les décors naturels. Dans ces épisodes 1 à 4, il réalise un encrage qui s'attache à apporter des informations sur la texture de chaque surface, au point que le lecteur a la sensation qu'il a réalisé ses dessins pour une édition en noir & blanc. Il donne une apparence distincte et facilement reconnaissable à chaque personnage. Il a choisi des tenues vestimentaires simples, et cohérentes avec les conditions météorologiques, tout en tenant compte des finances limitées des protagonistes. Le soin apporté aux décors évite l'effet carte postale stéréotypée, pour donner l'impression au lecteur d'évoluer dans un lieu réel, en particulier les différents aspects du désert du Nouveau Mexique. L'encrage de Sebastijan Camagajevac perd un peu en texture, en particulier pour les personnages, sans que cela ne soit dramatique. L'arrivée de Goran Parlov permet à Sudzuka de peaufiner son encrage avec texture. Seules quelques cases souffrent de l'absence de couleur (tâches de sang, flaque de vomi ou ciel limpide). Globalement, Sudzuka et Parlov réalisent des images destinées à raconter l'histoire (plutôt que de se mettre en avant), créant des personnages inoubliables, évoluant dans des lieux crédibles, c'est-à-dire un travail discret et efficace.



"Outlaw nation" constitue un exercice de style pour Delano qui raconte un thriller dans une Amérique mythique à la lisière de la réalité, avec un suspense en partie diminué par la capacité surnaturelle des Johnson (survivre et guérir de la plupart des blessures, même graves). Sans se prendre au sérieux, Delano invite le lecteur à partager une vie alternative, en marge de la société, une vie de mecs obéissant à leurs propres valeurs, évoluant au milieu des mythes de la conquête de l'Ouest, survivant à des conflits physiques et violents, sous fond de complot.
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Hellblazer, tome 1

Le personnage de John Constantine a été créé par Alan Moore dans la série Swamp Thing. Il apparaît pour la première fois dans l'épisode 37 en juin 1985 (réédité dans Saga of the Swamp Thing 3). Le présent tome comprend les épisodes 1 à 13 de la série mensuelle, ainsi que les épisodes 76 & 77 de la série Swamp Thing.



Épisodes 1 à 9 - À New York, un responsable de bureau de poste est saisi d'une fringale inextinguible. Il mange une quantité de hamburgers incroyables, avant de dévorer plusieurs plats dans un restaurant, puis il essaye de manger l'une clientes, et succombe de malnutrition foudroyante. À Londres, John Constantine rentre chez lui et retrouve Gary Lester (un ami) dans sa baignoire. Pour trouver le fin mot de cette histoire, Constantine requiert l'aide de Chas (Francis Chandler, le chauffeur de taxi) et doit se rendre à New York pour travailler avec Papa Midnight.



Dans le troisième épisode, il doit mettre fin à une prolifération de yuppies soutenus par un démon. Ensuite il doit sauver Gemma Masters (sa nièce) d'un kidnapping avant qu'il ne soit trop tard. Il est ensuite confronté à une résurgence surnaturelle de conflits datant de la guerre du Viêt-Nam, puis à des skins bien fachos voulant débiter du pakistanais, à un cas de combustion humaine spontanée, à l'enlèvement de sa copine par un groupuscule religieux intégriste, etc.



Alan Moore avait fait de Constantine un personnage mystérieux, très bien renseigné, servant surtout à promener Swamp Thing d'une horreur surnaturelle à une autre, tout en rabaissant le monstre des marais pour sa naïveté et son intelligence limitée. Jamie Delano (scénariste anglais) a la lourde tâche de développer le personnage et de définir le ton de ses aventures. Il commence par définir rapidement sa vie antérieure au travers de 2 textes (reproduits en fin de volume) pastichant des articles de journaux. Il introduit des personnages qui auront la vie longue dans la série : Chas (il a même eu droit à sa propre minisérie : The Knowledge), Papa Midnight (il a également eu droit à sa minisérie : Papa Midnight), Emma Masters, Nergal, et les fantômes qui suivent Constantine, morts à l'occasion du fiasco de Newcastle.



Pour le ton de la série et la nature des aventures, Delano marie 3 ingrédients. Le premier est l'horreur issue des forces surnaturelles et des démons. Cela donne lieu à des scènes assez répugnantes, renforcées par les illustrations éloignées de l'esthétisme des superhéros. Il mélange cette horreur de carnaval avec un deuxième ingrédient que sont les horreurs de la société anglaise, anxiogènes ou révoltantes. C'est ainsi que John Constantine côtoie le libéralisme sauvage et la réélection de Margaret Thatcher, l'intégrisme religieux, la haine raciale, les traumatismes des soldats, la faim dans les pays sous-développés d'Afrique Noire, le début des années SIDA, etc. Le troisième élément définissant ces aventures réside dans le flux de pensée de John Constantine. Delano fait partager au lecteur les pensées du personnage principal, ce qui donne un accès à la perception de Constantine et aux sentiments qu'il éprouve devant chaque obstacle, et chaque catastrophe. Lion d'être artificiel, ce dispositif narratif rapproche le personnage du lecteur, et lui montre que son cynisme provient de son expérience avec les catastrophes (au début de la série, Constantine a 35 ans), et constitue l'armure sans laquelle il ne pourrait pas continuer. Ces 3 ingrédients s'amalgament pour former des histoires horrifiques à plus d'un titre, avec quelques rares pincées d'humour qui font ressortir, par contraste, l'horreur des événements.



Les épisodes 1 à 7 sont illustrés par John Ridgway, les épisodes 8& 9 sont dessinés par Ridgway et encrés par Alfredo Alcala. Ridgway utilise une esthétique assez réaliste et terre à terre, avec quelques cases renforçant l'horreur visuelle. Son style n'est pas très plaisant à l'oeil car il privilégie un encrage à base de traits fins un peu sec qui donne un aspect d'esquisse à certains visages, ou certains vêtements. Du coup, le lecteur n'a jamais l'impression de se rincer l'oeil sur des images complaisantes ; il est plutôt contraint d'affronter des visions peu avenantes. Pour la séquestration d'Emma Masters, le lecteur se retrouve dans une masure comportant des équipements récents (tels qu'un four à micro-ondes), mais qui évoque aussi l'insalubrité des taudis du dix-neuvième siècle. Quand les hallucinations de la guerre du Viêt-Nam prennent le dessus, la moiteur et la peur deviennent palpables. Quand Papa Midnight sacrifie un poulet, le sang tâche avec réalisme et quand ses zombies s'affrontent le choc du poing dans le visage fait mal à voir. Il n'y a peut être que le rendu des démons qui ne soit pas tout à fait à la hauteur. L'encrage d'Alfredo Alcala est moins précis, mais il fait mieux ressortir les textures.



Cette nouvelle édition de 2011 comprend également les épisodes 76 (scénario et dessins de Rick Veitch, encrage d'Alcala) & 77 de Swamp Thing (scénario de Delano, dessins de Tom Mandrake, encrage d'Alcala) qui constituent la fin de l'intrigue commencée dans Hellblazer. Ils sont moins denses en écriture et ils font référence de manière astucieuse à l'affrontement décisif entre le Ciel et l'Enfer raconté dans Saga of the Swamp Thing 4.



La densité de la narration et le mélange des éléments horrifiques surnaturels avec les horreurs quotidiennes de l'Angleterre des années 1980 permettent à ce récit d'être toujours aussi prenant et dérangeant.



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Épisodes 10 à 13 (dessins de Richard Piers Rayner, encrage de Mark Buckingham) - John Constantine effectue un voyage forcé dans le plan astral, pendant qu'Alec Holland utilise son corps. Il y croise un démon qui essaye de le détruire, et qui évoque le drame de Newcastle. Constantine se souvient de se qui s'est passé dans cette ville quelques années auparavant. Ce drame a déclenché plusieurs crises de démence qui ont conduit à l'internement de Constantine dans l'asile de Ravenscar.



Avec ces épisodes, Delano continue de développer le personnage de John Constantine ; il est même possible d'apercevoir son frère (une future histoire) dans la troisième page de l'épisode 10. Mais Delano s'éloigne du registre qu'il maîtrise pour consacrer 2 épisodes à un combat contre un démon (Nergal). Ce n'est pas le registre d'horreur qu'il maîtrise le mieux. Par comparaison, l'histoire de Newcastle est déjà plus organique, plus convaincante. Le cauchemar endormi sur la plage de l'épisode 13 (consacré à la peur du nucléaire) montre que Delano reste meilleur quand il parle d'horreur concrète et réelle, de peur inconsciente qui a marqué une génération.



Les illustrations sont réalisées par Richard Piers Rayner dans un style très propre sur lui, avec des lignes fines et un grand niveau de détails. Ce rendu contraste fortement avec celui de John Ridgway (épisodes précédents) parce que plus agréable à regarder. Il perd un peu en puissance d'évocation en étant trop descriptif, moins de choses tapies dans l'ombre.
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John Constantine - Hellblazer, tome 1 : Péchés ..

Le personnage de John Constantine a été créé par Alan Moore dans la série Swamp Thing. Il apparaît pour la première fois dans l'épisode 37 en juin 1985 (réédité dans "Saga of the Swamp Thing" 3). Le présent tome comprend les épisodes 1 à 9 de la série mensuelle, ainsi que les épisodes 76 & 77 de la série Swamp Thing.



À New York, un responsable de bureau de poste est saisi d'une fringale inextinguible. Il mange une quantité de hamburgers incroyables, avant de dévorer plusieurs plats dans un restaurant, puis il essaye de manger l'une clientes, et succombe de malnutrition foudroyante. À Londres, John Constantine rentre chez lui et retrouve Gary Lester (un ami) dans sa baignoire. Pour trouver le fin mot de cette histoire, Constantine requiert l'aide de Chas (Francis Chandler, le chauffeur de taxi) et doit se rendre à New York pour travailler avec Papa Midnight.



Dans le troisième épisode, il doit mettre fin à une prolifération de yuppies soutenus par un démon. Ensuite il doit sauver Gemma Masters (sa nièce) d'un kidnapping avant qu'il ne soit trop tard. Il est ensuite confronté à une résurgence surnaturelle de conflits datant de la guerre du Viêt-Nam, puis à des skins bien fachos voulant débiter du pakistanais, à un cas de combustion humaine spontanée, à l'enlèvement de sa copine par un groupuscule religieux intégriste, etc.



Alan Moore avait fait de Constantine un personnage mystérieux, très bien renseigné, servant surtout à promener Swamp Thing d'une horreur surnaturelle à une autre, tout en rabaissant le monstre des marais pour sa naïveté et son intelligence limitée. Jamie Delano (scénariste anglais) a la lourde tâche de développer le personnage et de définir le ton de ses aventures. Il commence par définir rapidement sa vie antérieure au travers de 2 textes (reproduits en fin de volume) pastichant des articles de journaux. Il introduit des personnages qui auront la vie longue dans la série : Chas (il a même eu droit à sa propre minisérie : The Knowledge), Papa Midnight (il a également eu droit à sa minisérie : Papa Midnight), Emma Masters, Nergal, et les fantômes qui suivent Constantine, morts à l'occasion du fiasco de Newcastle.



Pour le ton de la série et la nature des aventures, Delano marie 3 ingrédients. Le premier est l'horreur issue des forces surnaturelles et des démons. Cela donne lieu à des scènes assez répugnantes, renforcées par les illustrations éloignées de l'esthétisme des superhéros. Il mélange cette horreur de carnaval avec un deuxième ingrédient que sont les horreurs de la société anglaise, anxiogènes ou révoltantes. C'est ainsi que John Constantine côtoie le libéralisme sauvage et la réélection de Margaret Thatcher, l'intégrisme religieux, la haine raciale, les traumatismes des soldats, la faim dans les pays sous-développés d'Afrique Noire, le début des années SIDA, etc. Le troisième élément définissant ces aventures réside dans le flux de pensée de John Constantine. Delano fait partager au lecteur les pensées du personnage principal, ce qui donne un accès à la perception de Constantine et aux sentiments qu'il éprouve devant chaque obstacle, et chaque catastrophe. Lion d'être artificiel, ce dispositif narratif rapproche le personnage du lecteur, et lui montre que son cynisme provient de son expérience avec les catastrophes (au début de la série, Constantine a 35 ans), et constitue l'armure sans laquelle il ne pourrait pas continuer. Ces 3 ingrédients s'amalgament pour former des histoires horrifiques à plus d'un titre, avec quelques rares pincées d'humour qui font ressortir, par contraste, l'horreur des événements.



Les épisodes 1 à 7 sont illustrés par John Ridgway, les épisodes 8& 9 sont dessinés par Ridgway et encrés par Alfredo Alcala. Ridgway utilise une esthétique assez réaliste et terre à terre, avec quelques cases renforçant l'horreur visuelle. Son style n'est pas très plaisant à l'oeil car il privilégie un encrage à base de traits fins un peu sec qui donne un aspect d'esquisse à certains visages, ou certains vêtements. Du coup, le lecteur n'a jamais l'impression de se rincer l'oeil sur des images complaisantes ; il est plutôt contraint d'affronter des visions peu avenantes. Pour la séquestration d'Emma Masters, le lecteur se retrouve dans une masure comportant des équipements récents (tels qu'un four à micro-ondes), mais qui évoque aussi l'insalubrité des taudis du dix-neuvième siècle. Quand les hallucinations de la guerre du Viêt-Nam prennent le dessus, la moiteur et la peur deviennent palpables. Quand Papa Midnight sacrifie un poulet, le sang tâche avec réalisme et quand ses zombies s'affrontent le choc du poing dans le visage fait mal à voir. Il n'y a peut être que le rendu des démons qui ne soit pas tout à fait à la hauteur. L'encrage d'Alfredo Alcala est moins précis, mais il fait mieux ressortir les textures.



Cette nouvelle édition de 2011 comprend également les épisodes 76 (scénario et dessins de Rick Veitch, encrage d'Alcala) & 77 de Swamp Thing (scénario de Delano, dessins de Tom Mandrake, encrage d'Alcala) qui constituent la fin de l'intrigue commencée dans Hellblazer. Ils sont moins denses en écriture et ils font référence de manière astucieuse à l'affrontement décisif entre le Ciel et l'Enfer raconté dans Saga of the Swamp Thing 4.



Le tome se conclut avec la reproduction des couvertures de Dave McKean (qui passera ensuite aux couvertures de Sandman, et aux textes originaux qui figuraient sur la deuxième de couverture des 4 premiers épisodes (évoqués plus haut).



La densité de la narration et le mélange des éléments horrifiques surnaturels avec les horreurs quotidiennes de l'Angleterre des années 1980 permettent à ce récit d'être toujours aussi prenant et dérangeant. DC Comics continue la réédition de cette série avec "The Devil you know" qui contient les épisodes 10 à 13, et la minisérie "The horrorist" 1 & 2 (Illustrée par David Lloyd), ainsi que le numéro annual 1.
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Hellblazer, tome 2

Ce tome contient Hellblazer Annual 1, The Horrorist 1 & 2, Hellblazer 14 à 24. Il vaut mieux avoir lu le premier tome pour comprendre les intrigues. Tous les scénarios ont été écrits par Jamie Delano



* Annual 1 (illustrations de Bryan Talbot) - Comme tout le monde, John Constantine a des ancêtres et il est ici question de l'un d'entre eux qui a connu Merlin pendant ses dernières années. Ce long épisode (48 pages) se termine avec 6 pages dessinées par Dean Motter illustrant la chanson Venus of the hardsell des Mucous Membrane (le groupe de punk de Constantine).



Jamie Delano prend son lecteur à contrepied : il commence par évoquer le malaise de son époque au travers de la guerre des Falklands, pour se lancer ensuite dans un récit fantastique où un ancêtre de Constantine essaye de défendre le paganisme contre l'oppression totalitaire du christianisme. Jamie Delano prend à cœur de montrer que John Constantine a une lourde hérédité à porter et que la magie à l'oeuvre dans la série Hellblazer ne découle pas d'une opposition basique et binaire Dieu/Satan, mais qu'elle prend ses racines dans une vision du monde plus ancienne.



Bryan Talbot baigne dans son élément et évoque avec conviction cette époque moyenâgeuse, sans tomber dans le carton pâte. Il réalise des dessins détaillés et son encrage apporte une forte patine à chaque case avec de nombreux petits traits fins qui délimitent les contours ou soulignent les textures. Chaque case semble fortement chargée et nécessite un temps de déchiffrage significativement plus long que les dessins de Piers Rayner. 4 étoiles.



* Horrorist (illustrations de David Lloyd) - Quelque part en Illinois, une jeune femme fait surgir les horreurs les plus intimes des individus, qu'elles soient spectaculaires ou très ordinaires. En Angleterre, Constantine n'éprouve plus aucune empathie, le cynisme l'a coupé de ses sensations et de ses sentiments. Le visage de la jeune femme quand elle était enfant à servi d'image de communication de masse. Frappé par son regard sur la photographie, Constantine se met à la recherche du reporter photo qui a pris le cliché.



C'est la meilleure histoire du lot. Jamie Delano sait fouiller comme personne l'inconscient collectif pour mettre en lumière l'horreur du quotidien, la solitude, la culpabilité, l'insensibilité. Tous les individus sont condamnés par leur névrose ordinaire, par l'irrationalité de la vie, par l'omniprésence de la souffrance humaine. Il n'y a pas d'échappatoire possible, si ce n'est la mort. Delano écrit un récit très noir, désespéré, dans lequel il donne vie aux clichés mêmes les plus usés. Impossible de ne pas ressentir de l'effroi au passage de ce train avec des wagons à bestiaux et des bras suppliant qui en dépassent.



C'est vrai qu'il bénéficie des illustrations de David Lloyd très inspiré. Le dessinateur de V for Vendetta maîtrise merveilleusement chaque case, évoluant avec grâce entre le détail réaliste et l'abstraction conceptuelle. La pleine page d'ouverture semble une aquarelle abstraite jusqu'à ce que le texte en fasse apparaître la signification : quelques tracés de routes de campagne sous la neige, vus du ciel. La deuxième case procède du même pouvoir évocateur, un délicieux exercice de paréidolie, et bientôt le lecteur découvre les formes des bâtiments sous la neige. De la même manière, Lloyd s'amuse avec un rond blanc et un rond rouge sur fond vert, le reste de la page ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit de 2 boules de billard. Mais pris à part cette case relève d'une composition abstraite étonnante. Lloyd maîtrise parfaitement ses aquarelles : la case d'après, quelques touches de blanc, de gris et de marron se transforment en un verre de whisky en train d'être versé. Chaque page est un enchantement, un travail d'artiste interprétant la réalité pour en donner sa vision, ou plutôt une vision en accord avec le scénario et cases de texte maîtrisées et comptées. Dans cette histoire, Delano a mis de coté ses longues cellules de texte et ses copieux exposés de monologues intérieurs pour laisser Lloyd raconter l'histoire, établir l'ambiance, donner les détails.



La complémentarité entre les 2 artistes saute aux yeux et transforme cette histoire en une plongée dans l'horreur ordinaire éprouvante, vivifiante, sans hypocrisie. 5 étoiles. Ce recueil est indispensable du fait de ce récit terrifiant.



* Épisodes 10 à 13 (dessins de Richard Piers Rayner, encrage de Mark Buckingham) - John Constantine effectue un voyage forcé dans le plan astral, pendant qu'Alec Holland utilise son corps. Il y croise un démon qui essaye de le détruire, et qui évoque le drame de Newcastle. Constantine se souvient de se qui s'est passé dans cette ville quelques années auparavant. Ce drame a déclenché plusieurs crises de démence qui ont conduit à l'internement de Constantine dans l'asile de Ravenscar.



Avec ces épisodes, Delano continue de développer le personnage de John Constantine ; il est même possible d'apercevoir son frère (une future histoire) dans la troisième page de l'épisode 10. Mais Delano s'éloigne du registre qu'il maîtrise pour consacrer 2 épisodes à un combat contre un démon (Nergal). Ce n'est pas le registre d'horreur qu'il maîtrise le mieux. Par comparaison, l'histoire de Newcastle est déjà plus organique, plus convaincante. Le cauchemar endormi sur la plage de l'épisode 13 (consacré à la peur du nucléaire) montre que Delano reste meilleur quand il parle d'horreur concrète et réelle, de peur inconsciente qui a marqué une génération.



Les illustrations sont réalisées par Richard Piers Rayner dans un style très propre sur lui, avec des lignes fines et un grand niveau de détails. Ce rendu contraste fortement avec celui de John Ridgway (épisodes précédents) parce que plus agréable à regarder. Il perd un peu en puissance d'évocation en étant trop descriptif, moins de choses tapies dans l'ombre.



* John Constantine s'éveille dans la chambre d'une employée d'hôtel. Il se lève et part en catimini. En prenant le journal du matin, il découvre qu'il est recherché par la police pour avoir commis un meurtre sataniste. Il décide de se mettre au vert en s'éloignant de Londres. Après quelques heures d'autostop, il s'enfonce dans des sous-bois et arrive à un camp d'hippies itinérants. N'ayant pas d'autres projets en tête, il décide d'accepter leur hospitalité pour un temps, en particulier celle de Mercury et de sa mère Marj qui voyagent à bord d'un van conduit par Eddy, un sorte de shaman new-age intéressé par les lignes Ley (appelées aussi alignements de sites). Ils rejoignent un groupe plus nombreux. Mais leur campement est mis à sac par les forces de l'ordre et Mercury est enlevée par une faction indéterminée. John Constantine promet à Marj de la retrouver et de la ramener.



Jamie Delano a une vision personnelle de la société anglaise à l'époque de Margaret Thatcher, et il entend bien utiliser la série "Hellblazer" pour en parler en y mêlant des thèmes horrifiques. Il procède d'ailleurs plutôt dans l'autre sens : il raconte avant tout une histoire mêlant horreur et fantastique, et les pérégrinations de Constantine l'amène à poser son regard sur les gens qui l'entourent et la manière dont ils agissent dans la société. Pour cette histoire, Jamie Delano va piocher dans les croyances relatives aux lignes Ley et au réseau qu'elles constituent pour transporter l'énergie mystique. Tout naturellement, le pouvoir associé à ces transmetteurs ésotériques est convoité par une organisation mystérieuse. Tout aussi naturellement ces lignes attirent des individus souhaitant s'éloigner d'une vie urbaine et artificielle pour renouer un contact direct avec Mère Nature. Écrit comme ça, cela peut donner l'impression d'individus naïfs et crédules. En fait Jamie Delano ne se moque jamais des uns ou des autres. Il s'attache avant tout à mettre en scène des êtres humains avec leurs particularités, tout à fait plausibles. La communauté que rejoint Constantine souhaite juste échapper à l'aliénation de la ville. Les individus la composant ont choisi un mode de vie itinérant subvenant à ses besoins en vendant leur force de travail en fonction des besoins saisonniers des éleveurs et des agriculteurs. Delano décrit un mode de vie alternatif de personnes ayant adopté des valeurs différentes de celles des consuméristes de base (et ce des années avant que l'idée d'altermondialisation ne devienne à la mode). Son approche n'est ni angélique (le mythe rousseauiste du retour à la nature), ni sardonique (pauvres hippies trop défoncés pour comprendre l'impasse évolutive de leur mode de vie).



Dans le camp des ennemis, Delano évite également les clichés en faisant reposer son histoire à nouveau sur des individus avec des motivations plausibles et crédibles. Il entrelace habilement les horreurs ordinaires et les éléments horrifiques de nature fantastique. Tout au long du récit, le lecteur a accès aux sentiments et aux pensées de Constantine. Delano les présente sous la forme d'un monologue intérieur très écrit. C'est donc avec la sensibilité prolétarienne de Constantine et son refus de l'autorité que le lecteur assiste au saccage du camp des itinérants, à la violence policière, à la corruption des élites, aux manigances d'opérette de quelques francs-maçons, et à la violence d'individus bornés. Cette forme d'écriture presque littéraire peut rebuter, mais elle présente l'avantage incomparable de porter un point de vue et d'intensifier la narration. Le lecteur plonge à corps perdu dans un monde où il ne fait pas bon être différent que l'on soit du bon ou du mauvais coté de l'ordre moral, que l'on soit installé et nanti, ou prolétaire et précaire. Delano utilise à plein le genre de l'horreur pour commenter l'état de la société et la difficulté de la condition humaine. Il met en évidence l'horreur ordinaire du quotidien, l'abjection du banal et l'aliénation de la vie en société.



Les illustrations se partagent en 2 styles très différents. Les épisodes 14 à 17 sont mis en image par Mark Buckingham et Richard Piers Rayner. Ils utilisent des traits très fin pour délimiter les contours, d'une épaisseur régulière. Le résultat est très facile à lire, avec une qualité quasi photographique. Ce parti pris graphique permet de rendre compte de la banalité et de la normalité des individus qui composent la communauté itinérante. La contrepartie est que les quelques scènes où apparaît le surnaturel tombent complètement à plat, avec des visuels dépourvus d'imagination baignant dans des effets de lumière inintéressants et artificiels. L'épisode 18 est illustré par Mike Hoffman : il sert de transition entre les 2 équipes de dessinateurs. Il utilise plus d'ombrage, commence à insérer des textures sur les surfaces, tout en restant réaliste, mais à un degré plus simplifié que Buckingham et Rayners. Mark Buckigham revient aux dessins, mais cette fois-ci avec l'encrage du vétéran Alfredo Alcala, expert en textures suintantes. Le style graphique semble alors changer du tout au tout. Fini l'aspect délicat et réaliste, passage au réalisme un peu gras et vulgaire. La comparaison avec le travail de Piers Rayner permet de constater qu'Alcala respecte les crayonnés de Buckingham, tout en les alourdissant par le biais d'un encrage un peu appuyé, et de traits non significatifs qui apportent un aspect tactile à chaque surface. Le lecteur côtoie alors une humanité besogneuse qui transpire par tous les pores, qui est accablée du fardeau du quotidien, de ses limites physiques et intellectuelles. Les images acquièrent une dimension charnelle pleine de sensations primaires.



Jamie Delano et ses illustrateurs invitent le lecteur à voir le monde par les yeux de John Constantine. Il s'agit d'une expérience à la fois familière et déroutante, dangereuse du fait de manifestations surnaturelles malveillantes, mais aussi révélatrice de composantes sociales et psychologiques inéluctables avec lesquelles il n'est pas toujours facile de vivre.
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Gangland

Ce tome est une anthologie d'histoires courtes autour du thème des criminels. Il regroupe les 4 numéros initialement parus en 1998. Chaque couverture est réalisée par un artiste différent : Tim Bradstreet, Brian Bolland, Glenn Fabry, Dave Gibbons. En 1999, l'éditeur Vertigo a reconduit ce format l'année suivante sur le thème de l'horreur avec la série Flinch en 8 épisodes. Pour le détail des auteurs, se reporter à la fin du commentaire.



Alphonse Capriccio est un ancien mafieux qui a vendu ses chefs pour éviter une peine de prison et qui bénéficie du programme de protection des témoins, mais il rentre chez lui pour trouver son chien égorgé et sa femme tuée. En Amérique du Sud un homme récolte du pavot et le vend dans une chaîne qui aboutit au trafic de drogue. C'est l'histoire d'un tueur à gages anonyme qui intervient dans la cérémonie de mariage de la fille d'un parrain. Mishka est un parrain de la mafia russe et il revient en ville confronter celui qui l'a laissé pour mort. Rico Jansci fuit la police et trouve refuge dans l'immeuble où il a parlé à son frère pour la dernière fois. Ce parrain est arrivé au sommet des affaires et s'y est maintenu pendant des années, avec Stella à ses côtés, mais ce matin il se sent vieux. Chapo est un petit malfrat des quartiers, mais ce matin il a reçu par courrier une carte bleue sans plafond et son pote Reggie le convainc de s'en servir pour louer une chambre d'hôtel dans les beaux quartiers et se faire approvisionner en poules de luxe et en drogues.



Le dentiste Harvey Lowry reçoit la visite nocturne de Mickey Dolan dans son cabinet, et il le supplie d'accepter qu'il l'accompagne dans ses activités criminelles, car il n'en peut plus de sa vie rangée et monotone. Déjà à l'époque préhistorique des tribus en pillaient d'autres en les massacrant. Cet employé de bureau est un voleur mesquin qui pioche dans les fournitures de bureau, depuis qu'enfant il a découvert que tout le monde se sert comme il peut. Monsieur Melchizedek est persuadé que des individus observent ses moindres faits et gestes et il s'en protège comme il peut. Dino est un Berger allemand, élevé à coups de pied par un truand, mais récupéré par un policier qui l'intègre à la brigade canine. 2 frangins vont faire des courses pour leur mère, saluent Jezebel, un garçon manqué dont ils moquent, puis croisent les mauvais garçons du quartier. 2 hommes de main vont manger dans un restaurant asiatique et expliquent au patron qu'ils ne bénéficient plus de la protection du parrain local, et qu'il doit lui céder son bail.



Ces 14 brefs synopsis correspondent aux histoires des 4 numéros. Chacune de ces histoires courtes est différente et autonome. Le cadre de cette anthologie semble d'avoir été de raconter des histoires majoritairement contemporaines, avec quelques rares récits dans un passé récent comme les années 1950/1960, sans science-fiction ou anticipation. Le titre de l'anthologie renvoie au milieu, aux gangs criminels. Il s'agit donc de raconter des histoires criminelles, de voleurs et d'organisation criminelle. Dans les années 1960 et 1970, les éditeurs principaux de comics (Marvel et DC) publiaient des anthologies mais plutôt de type horreur, sur le principe de plusieurs histoires courtes, tradition héritée des EC Comics, puis de Warren (Creepy et Eerie). Chaque décennie l'éditeur DC essaye de relancer le format de l'anthologie, souvent dans sa branche adulte Vertigo, ce qui présente l'avantage d'attirer des auteurs qui ne souhaitent pas investir le temps nécessaire à réaliser une histoire en plusieurs épisodes.



Avant de se lancer dans la lecture de ce recueil, le lecteur jette un coup d'œil aux noms des créateurs. Il en ressort alléché par le fait qu'il s'agit du haut du panier, et que les responsables éditoriaux ont été solliciter des créateurs renommés dans issus des comics indépendants (James Romberger, Simon Revelsroke, Joe R. Lansdale, Randy DuBurke), ou ayant connu leur heure de gloire dans les années 1970/1980 (Richard Corben, Dave Gibbons, Eric Shanower, Tony Salmons), voire ayant déjà régulièrement travaillé pour Vertigo (Brian Azzarello, Tim Bradstreet, Jamie Delano, David Lloyd). Il ne peut pas estimer la qualité des histoires d'un coup d'œil. En effet, l'art de l'histoire courte est très délicat. Il faut savoir nourrir suffisamment le récit pour que le lecteur ait la sensation d'une histoire complète, mais ne pas le noyer de phylactères d'exposition pour compenser sa brièveté. L'exercice est rendu encore plus compliqué, car le lecteur sait qu'il est en train de lire une histoire avec une chute, et il en a lu d'autres. Réussir à le surprendre suppose une maîtrise du rythme et un art de prestidigitateur pour monopoliser la concentration du lecteur sur l'intrigue, et détourner son attention de l'arrivée de la chute.



Par la force des choses, il y a de tout dans 14 récits, et il y en a pour tous les goûts. Il y a bien une ou deux histoires avec un simple scénario de vengeance, linéaire et basique comme celui écrit par Dave Gibbons, ou le dernier du recueil par Richard Brunning. Il y a également un hommage très appuyé à Edgar Allan Poe réalisé par Simon Revelstroke. Mais la majeure partie des auteurs écrivent un récit personnel, que ce soit dans la situation, ou dans le thème. Il y a aussi bien un témoin sous protection, que la chaîne de production et de vente de drogue, en passant par un voleur de fourniture de bureau et un duo de gamins qui se font intimider par des plus grands qu'eux, d'une année ou deux. Au travers de ces histoires, les auteurs écrivent de vrais polars qui s'inscrivent dans le milieu où l'histoire se déroule, et cet environnement exerce une incidence directe sur l'histoire, agissant comme un révélateur de cette société particulière. Il y a des problématiques de rentabilités et de ressources limitées, d'obsolescence, de confiance, de paranoïa, de préjugés, et de stéréotypes raciaux. Les histoires les plus cruelles ou les plus pénétrantes ne sont pas forcément les plus violentes ou les plus gores. Lucius Shepard et James Romberger montrent un jeune homme qui décroche la timbale en recevant une carte platinium sans plafond. L'usage qu'ils en font reflète leur culture et leur condition sociale, et ils se heurtent au fait que l'argent ne fait pas le bonheur. L'histoire personnelle du petit employé de bureau qui pique dans les fournitures et commet d'autre larcins mesquins (par Ed Brubaker & Eric Shanower) met en scène le fait que tout le monde gruge à sa manière, reflétant l'imperfection de l'être humain. Rapidement, le lecteur s'aperçoit que l'histoire du chien Dino (par David Lloyd) provoque chez le lecteur l'impression que le comportement de ce chien pourrait également être celui d'un homme un peu confiant et balloté par les circonstances.



Outre la qualité potentielle des histoires, il est probable également que le lecteur ait été attiré par la liste des dessinateurs. Tim Bradstreet réalise des dessins photoréalistes âpres, complétés par des couleurs crépusculaires, décrivant un monde sans pitié. Peter Kuper réalise 3 pages sans texte, au pochoir, comme il l'avait fait pour The System, d'une grande richesse. Frank Quitely est en mode descriptif, sans la délicatesse romantique qu'il développera par la suite, pour des dessins exhalant une ironie savoureuse. Dave Gibbons est égal à lui-même avec des dessins faussement simples, comportant un degré élevé d'informations visuelles. Ce premier numéro est un régal visuel de bout en bout, un sans-faute. Dans les épisodes suivants, le lecteur se repaît des dessins de Richard Corben, toujours aussi épatant avec des volumes qui sortent presque de la page, et des textures sur le lecteur croit pouvoir toucher de ses doigts. La fête visuelle continue avec Kilian Plunkett dans un registre également descriptif mais émaillé de traits non ébarbés évoquant la rugosité d'une réalité non adoucie. Le lecteur plonge dans un monde où les ténèbres menacent d'engloutir le personnage, dans les pages toujours aussi envoutantes de Danijel Zezelj. Les ombres représentées par David Lloyd sont plus expressionnistes, mais tout aussi inquiétantes. Mark Chiarello joue à la fois sur les contrastes forts entre les zones noircies et les autres, mais aussi sur l'épure des formes.



Le lecteur se régale donc à retrouver les artistes à la forte personnalité qu'il connaît déjà, et il apprécie que les autres disposent d'une personnalité graphique tout aussi prononcée. Randy DuBurke présente lui aussi une réalité un peu torturée, du fait des lignes de contours irrégulières. James Romberger sait montrer 2 latinos naturels, dans leurs gestes et dans leurs tenues. Comme Peter Kuper, Tayyar Ozkan réalise une histoire sans parole avec des dessins plus traditionnels, et un humour noir plein d'entrain. Eric Shanower réalise des planches en apparence inoffensive dans leur naturel, mais finalement subversive par le naturel, la banalité et l'évidence des situations. Les dessins de Tony Salmons sont moins léchés, mais ils savent montrer la vivacité des personnages et la force de leurs réactions émotionnelles.



Le ressenti à la lecture d'une telle anthologie peut vite se révéler trompeur, en sautant rapidement d'une histoire à l'autre, et en enchaînant les artistes à une grande vitesse. Mais en prenant un peu de recul, le lecteur constate que chaque histoire est consistante, avec sa propre saveur, sa propre tonalité, à la fois grâce à l'intrigue et grâce aux dessins, avec un niveau élevé pour chaque et une majorité de pépites. 5 étoiles.



Épisode 1 : (1) Brian Azzarello + Tim Bradstreet, (2) Peter Kuper, (3) Doselle Young + Frank Quitely, (4) Dave Gibbons

Épisode 2 : (1) Simon Revelstroke + Richard Corben, (2) Jamie Delano + Randy DuBurke, (3) Lucius Shepard + James Romberger

Épisode 3 : (1) Darko Macan + Kilian Plunkett, (2) Tayyar Ozkan, (3) Ed Brubaker + Eric Shanower, (4) Scott Cunnigham + Danijel Zezelj

Épisode 4 : (1) David Lloyd, (2) Joe Lansdale & Rick Klaw + Tony Salmons, (3) Richard Brunning + Mark Chiarello
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Captain Britain - Marvel Omnibus

Ce tome réunit le travail commun de deux Alan, Moore et Davis, sur le personnage méconnu de Captain Britain. Une aventure 100% British, avec une ou deux allusions au S.H.I.E.L.D. et aux Avengers histoire de connecter l’ensemble au grand tout du Marvel Universe.



Le présent tome contient les numéros 387 et 388 de Marvel Superheroes (1982), les numéros 01 à 11 de The Daredevils (1983) et les numéros 07 à 13 de The Mighty World of Marvel (1984).



Bien qu’il ne soit pas aisé d’entrer dans l’histoire, celle-ci est rapidement captivante. Alan Moore s’approprie un personnage préexistant pour le remodeler, lui et son univers, tout en les dépoussiérant pour en relancer les bases. Un travail complexe qui confère à ce héros l’impulsion nécessaire pour s’étoffer.



Multivers, magie, dystopie, déformation de la réalité, personnages multiples et étranges, Alan Moore s’accompagne d’Alan Davis pour un cocktail aussi atypique que coloré. Un condensé d’imagination qui évacue la réalité le temps de quelques 200 pages.
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John Constantine - Hellblazer, tome 2 : Le ..

Ce tome fait suite à Original sins (épisodes 1 à 9 + Swamp Thing 76 & 77). Il contient les épisodes 10 à 13, le numéro annuel 1, et les 2 épisodes de la minisérie "Horrorist", parus en 1988/1989. C'est le même contenu que la précédente édition The devil you know datant de 2007, avec une nouvelle couverture de John Cassaday. Tous les scénarios sont de Jamie Delano.



Épisodes 10 à 13 (dessins de Richard Piers Rayner, encrage de Mark Buckingham) - John Constantine effectue un voyage forcé dans le plan astral, pendant qu'Alec Holland utilise son corps. Il y croise un démon qui essaye de le détruire, et qui évoque le drame de Newcastle. Constantine se souvient de se qui s'est passé dans cette ville quelques années auparavant. Ce drame a déclenché plusieurs crises de démence qui ont conduit à l'internement de Constantine dans l'asile de Ravenscar.



Avec ces épisodes, Delano continue de développer le personnage de John Constantine ; il est même possible d'apercevoir son frère (une future histoire) dans la troisième page de l'épisode 10. Mais Delano s'éloigne du registre qu'il maîtrise pour consacrer 2 épisodes à un combat contre un démon (Nergal). Ce n'est pas le registre d'horreur qu'il maîtrise le mieux. Par comparaison, l'histoire de Newcastle est déjà plus organique, plus convaincante. Le cauchemar endormi sur la plage de l'épisode 13 (consacré à la peur du nucléaire) montre que Delano reste meilleur quand il parle d'horreur concrète et réelle, de peur inconsciente qui a marqué une génération.



Les illustrations sont réalisées par Richard Piers Rayner dans un style très propre sur lui, avec des lignes fines et un grand niveau de détails. Ce rendu contraste fortement avec celui de John Ridgway (épisodes précédents) parce que plus agréable à regarder. Il perd un peu en puissance d'évocation en étant trop descriptif, moins de choses tapies dans l'ombre. 4 étoiles.

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Annual 1 (illustrations de Bryan Talbot) - Comme tout le monde, John Constantine a des ancêtres et il est ici question de l'un d'entre eux qui a connu Merlin pendant ses dernières années. Ce long épisode (48 pages) se termine avec 6 pages dessinées par Dean Motter illustrant la chanson "Venus of the hardsell" des Mucous Membrane (le groupe de punk de Constantine).



Jamie Delano prend son lecteur à contrepied : il commence par évoquer le malaise de son époque au travers de la guerre des Falklands, pour se lancer ensuite dans un récit fantastique où un ancêtre de Constantine essaye de défendre le paganisme contre l'oppression totalitaire du christianisme. Jamie Delano prend à coeur de montrer que John Constantine a une lourde hérédité à porter et que la magie à l'oeuvre dans la série Hellblazer ne découle pas d'une opposition basique et binaire Dieu/Satan, mais qu'elle prend ses racines dans une vision du monde plus ancienne.



Bryan Talbot baigne dans son élément et évoque avec conviction cette époque moyenâgeuse, sans tomber dans le carton pâte. Il réalise des dessins détaillés et son encrage apporte une forte patine à chaque case avec de nombreux petits traits fins qui délimitent les contours ou soulignent les textures. Chaque case semble fortement chargée et nécessite un temps de déchiffrage significativement plus long que les dessins de Piers Rayner. 4 étoiles.

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Horrorist (illustrations de David Lloyd) - Quelque part en Illinois, une jeune femme fait surgir les horreurs les plus intimes des individus, qu'elles soient spectaculaires ou très ordinaires. En Angleterre, Constantine n'éprouve plus aucune empathie, le cynisme l'a coupé de ses sensations et de ses sentiments. Le visage de la jeune femme quand elle était enfant à servi d'image de communication de masse. Frappé par son regard sur la photographie, Constantine se met à la recherche du reporter photo qui a pris le cliché.



C'est la meilleure histoire du lot. Jamie Delano sait fouiller comme personne l'inconscient collectif pour mettre en lumière l'horreur du quotidien, la solitude, la culpabilité, l'insensibilité. Tous les individus sont condamnés par leur névrose ordinaire, par l'irrationalité de la vie, par l'omniprésence de la souffrance humaine. Il n'y a pas d'échappatoire possible, si ce n'est la mort. Delano écrit un récit très noir, désespéré, dans lequel il donne vie aux clichés mêmes les plus usés. Impossible de ne pas ressentir de l'effroi au passage de ce train avec des wagons à bestiaux et des bras suppliant qui en dépassent.



C'est vrai qu'il bénéficie des illustrations de David Lloyd très inspiré. Le dessinateur de V for Vendetta maîtrise merveilleusement chaque case, évoluant avec grâce entre le détail réaliste et l'abstraction conceptuelle. La pleine page d'ouverture semble une aquarelle abstraite jusqu'à ce que le texte en fasse apparaître la signification : quelques tracés de routes de campagne sous la neige, vus du ciel. La deuxième case procède du même pouvoir évocateur, un délicieux exercice de paréidolie, et bientôt le lecteur découvre les formes des bâtiments sous la neige. De la même manière, Lloyd s'amuse avec un rond blanc et un rond rouge sur fond vert, le reste de la page ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit de 2 boules de billard. Mais pris à part cette case relève d'une composition abstraite étonnante. Lloyd maîtrise parfaitement ses aquarelles : la case d'après, quelques touches de blanc, de gris et de marron se transforment en un verre de whisky en train d'être versé. Chaque page est un enchantement, un travail d'artiste interprétant la réalité pour en donner sa vision, ou plutôt une vision en accord avec le scénario et cases de texte maîtrisées et comptées. Dans cette histoire, Delano a mis de coté ses longues cellules de texte et ses copieux exposés de monologues intérieurs pour laisser Lloyd raconter l'histoire, établir l'ambiance, donner les détails.



La complémentarité entre les 2 artistes saute aux yeux et transforme cette histoire en une plongée dans l'horreur ordinaire éprouvante, vivifiante, sans hypocrisie. 5 étoiles. Ce recueil est indispensable du fait de ce récit terrifiant. La suite des épisodes écrits par Jamie Delano a été réédités dans The fear machine (épisodes 14 à 22).
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Cruel And Unusual

Il s'agit d'un récit complet et indépendant de tout autre. Ce recueil comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1999, coécrits par Tom Peyer & Jamie Delano, dessinés par John McCrea et encrés par Andy Chiu. Ce tome est en noir & blanc, sans les couleurs initiales de Tatjana Wood. Il comprend également une introduction de 3 pages sous la forme d'un dialogue en gros caractères, entre Delano et Peyer, pas très intéressant. Il se termine avec 9 pages de croquis de John McCrea.



Bobbie Flint était la responsable et l'animatrice d'une émission de télévision trash retraçant la vie de Jésus Christ, mais de nos jours aux États-Unis, et il finit exécuté sur la chaise électrique. Malheureusement elle a commis une bévue en mettant le sénateur Benny Guevara dans l'embarras. Marion Meach (le propriétaire de la chaîne de télévision) n'hésite pas une seule seconde à la virer et à l'affecter en tant que responsable d'une prison privée (appelée Paradisio Bay) dont il est également le propriétaire. En outre Chloe réclame à sa mère Bobbie Flint de l'argent pour payer son loyer et ses études d'artiste corporelle, car son père n'a pas versé sa pension. Alors qu'elle ramasse ses affaires, Marion Meach lui fait des avances, qu'elle repousse agressivement.



Bobbie Flint doit se rendre par elle-même (en avion) à la prison proche de Miami. Sur place son accueil est entièrement automatisé, depuis le déshabillage jusqu'au à la fouille corporelle, en passant par la douche. Elle a la surprise de découvrir que le premier contact se fait avec les prisonniers dont certains pas très bien dans leur tête. Le parcours pour rejoindre son bureau s'avère long et semé d'embûches, avec des rencontres risquées. Elle n'a aucune intention de se plier au règlement sans rien dire. De son côté, Marion Meach se rend à un rendez-vous avec le sénateur Benny Guevara, sur son yacht privé.



La couverture annonce la couleur : sexe et mort, l'exécution capitale devenant un spectacle. Jamie Delano est un auteur anglais qui fut le scénariste initial de la série John Constantine Hellblazer (à commencer par Original Sins) qui a écrit quelques histoires de superhéros peu conformistes, ainsi que de nombreux récits indépendants comme World without end (illustré par John Higgins), Animal Man (illustré par Steve Pugh), The Territory (illustré par David Lloyd), ou encore Outlaw Nation (illustré par Goran Parlov & Goran Sudzuka). Tom Peyer est également un scénariste de comics de superhéros (essentiellement pour DC Comics) et il fut un responsable éditorial pour Vertigo.



Le récit constitue une satire virulente contre la délégation de l'incarcération à des entreprises, du monde du spectacle, et également des accointances entre les entreprises et les politiques. Les auteurs n'hésitent pas à grossir le trait pour un effet entre comique et horreur, mais le lecteur reconnaît des pratiques bien réelles. Aux États-Unis, la population carcérale représente 1% de la population du pays, le plaçant ainsi en tête du taux d'incarcération mondial. En outre entre 8% et 9% de ces prisons sont des établissements privés. Les coscénaristes disposent donc ainsi d'un boulevard pour se livrer à une critique vitriolée des dérives potentielles, et pour certaines bien réelles. Ils s'en donnent à cœur joie avec un système qui favorise le profit avant tout. S'ils partent bien du fait qu'il existe un contrat entre l'état et la prison privée, cette dernière a pour objectif de minimiser les coûts, en faisant réaliser une partie de prestations par les prisonniers eux-mêmes, y compris le maintien de l'ordre à l'intérieur de la prison, et en automatisant le maximum de fonctions possibles, respectant la lettre du contrat, mais pas l'esprit. Une fois que Bobbie Flint a réussi à prendre ses fonctions de chef de l'établissement pénitentiaire, elle cherche à alerter la population civile sur la réalité des conditions de détention. Mais dans un système capitaliste, une telle forme d'alerte ne peut qu'être médiatique.



Bobbie Flint organise donc une émission de téléréalité, sur la base de l'élément le plus spectaculaire : les exécutions capitales. Son émission trouve immédiatement son public, et le système étant ce qu'il est, le public ne retient que la dimension du divertissement, sans aucune intention de s'impliquer dans la dimension sociale. Les intentions de Bobbie Flint sont neutralisées, parce qu'incompatibles avec le fonctionnement systémique de la société. Un prisonnier lui fait d'ailleurs observer que la société a souhaité se débarrasser de ses éléments toxiques (les criminels), ce n'est pas pour devoir s'inquiéter de leur sort, une fois qu'ils ont disparu de sa vue. En plus de cette analyse systémique pénétrante et décillée, les auteurs ajoutent une couche de sexe et de voyeurisme, sur le principe des émissions de téléréalité, avec des caméras dans les douches des détenus, et des détenus apprenant des textes par cœur pour un service de conversations téléphoniques payantes et piquantes.



Delano et Peyer n'oublient pas de raconter une vraie histoire, avec une intrigue et une résolution. Bobbie Flint est une carriériste qui a su capter l'air du temps dans une série de films provocateurs, sur la base du plus petit commun dénominateur. Il est donc hors de question pour elle de baisser les bras ou d'adopter une posture de victime. Le lecteur la voit privilégier les moyens pour atteindre ses fins, dans un monde sans foi ni loi. Les auteurs lui donnent l'occasion de voir comment Marion Meach doit lui aussi avaler des couleuvres pour rester dans les affaires. C'est l'occasion d'en rajouter une couche sur l'absence de moralité des avocats, avec les personnages d'Orin et Lucius. Comme il s'agit d'une satire, le sénateur Benny Guevara se comporte sur le mode de faites ce que je dis, pas ce que je fais, projetant une image vertueuse et menant une vie dissolue. Au regard des scandales politiques qui secouent les États-Unis (et d'autres pays comme la France), le lecteur se dit que la caricature n'est peut-être pas si éloignée que ça de la réalité. Il éprouve une forte empathie pour cette femme forte qui essaye de survivre dans un milieu de requins capitalistes, et de truands dangereux.



S'il ne le sait pas par avance, le lecteur ne se doute pas que cette bande dessinée ait pu être en couleurs, car elle ne présente pas de difficultés de compréhension, ou de formes difficilement distinguables des autres. John McCrea dessine de manière réaliste, avec une exagération dans les expressions des visages et dans les situations, qui accentuent la dimension comique du récit et évite le reportage trop racoleur. Ainsi les hanches de Bobbie Flint sont un peu trop fines, la bimbo siliconée sur le yacht a un tour de poitrine trop important, les personnages semblent toujours dans l'émotion vive qui se lit sur leur visage. La mise en scène est également exagérée pour aboutir à des images sensationnalistes quand la séquence s'y prête (le détenu mangé par les alligators).



Les 2 ou 3 individus qui crament sur la chaise électrique sont parcourus de violents soubresauts et relâchent des fluides corporels, alors que les lanières de cuir mordent dans la chair. Dans ces moments-là, John McCrea sait conserver l'horreur de l'acte, la narration visuelle bifurquant vers l'humour bien noir. Ses dessins oscillent entre la grosse farce et le drame, passant de l'un à l'autre avec naturel. La dame sur la couverture est Bobbie Flint et elle porte bien cette tenue dans les pages intérieures, et même avec un fouet de dominatrice en plus. Mais à l'intérieur, McCrea dessine dans une veine moins réaliste et plus parodique, neutralisant toute dimension érotique pour ne plus laisser que la farce. Le lecteur constate également l'enthousiasme de l'artiste pour le récit, dans les détails de certaines cases : le torse velu de Marion Meach, la séquence de rasage de la tête du copain de Chloe Flint, les sex-toys dans la chambre de Meach, les logos sur le bureau du chef de la sécurité du pénitencier, etc. Il est visible que McCrea a pris plaisir à étoffer certains lieux.



Depuis sa création en 1993, le label Vertigo de DC Comics a publié de nombreux récits sortant de l'ordinaire, mais pas toujours réédités sous forme de recueil. C'est un vrai plaisir de pouvoir découvrir ainsi une histoire complète coécrite par Jamie Delano, l'un des pionniers du label Vertigo. Le lecteur constate que Tom Peyer a dû l'aider à se lâcher pour aller vers un humour plus graveleux, et une farce satirique aussi drôle que méchante. Les dessins de John McCrea racontent l'histoire avec efficacité, et avec une touche d'exagération qui participe à maintenir le récit sur le terrain de l'humour, certes souvent très noir. Derrière la grosse farce, le lecteur découvre une intrigue qui tient la route et qui n'est pas juste un prétexte à aligner les critiques, ainsi que des personnages adultes et attachants par certains aspects de leur personnalité, repoussants par d'autres. Il se rend également compte que les auteurs savent intégrer avec fluidité leur avis sur le système carcéral livré au capitalisme, un avis réfléchi et perspicace.
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Crossed 04

Ce tome contient les épisodes 1 à 9 de la série Badlands, soit 2 histoires indépendantes, parues en 2012. Il n'est nul besoin d'avoir lu un autre tome de la série Crossed avant de lire celui-ci. Il est référencé comme étant le tome 4 de la série après (1) Crossed 1, (2) Family values et (3) Psychopath. Pour une raison indéterminée, la série Crossed wish you were here fait l'objet d'une numérotation séparée.



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Épisodes 1 à 3 "Badlands" (scénario de Garth Ennis, dessins et encrage de Jacen Burrows) - Un groupe de 9 personnes se déplacent en Écosse pour se tenir à l'écart des Crossed (ces zombies brutaux et vicieux). Il y a Mark et Anya (frère et soeur, elle est enceinte et le père est mort), Rob et Alec (2 potes assez bavards), John (un homme solide et stable), Harry (il prétend être le prince Harry), Ricky (un homme avec une formation paramédicale), Pat (un jeune homme de la ville) et Ian. L'histoire est racontée du point de vue d'Ian, par le biais de ses pensées. Il a été contraint d'abandonner Penny (sa femme) aux mains des Crossed. Le groupe croise bientôt le chemin d'un groupe de Crossed et le terme de la grossesse d'Anya approche.



Après le premier tome, Garth Ennis avait promis qu'il ne reviendrait à cet univers envahis de zombies dégénérés qu'à condition d'avoir une nouvelle histoire à raconter. C'est la raison pour laquelle il avait laissé d'autres créateurs inventer leurs propres histoires dans ce monde ravagé. Avec cette histoire, il passe de scènes paisibles dans la nature écossaise, à des scènes de massacres immondes. Jacen Burrows s'est fortement amélioré en tant que dessinateur et il bénéficie d'un excellent metteur en couleurs nommé Juanmar. Ce dernier complète les dessins en apportant des textures léchées et des couleurs réalistes subtilement nuancées. À ce titre la séquence d'ouverture avec l'eau de la rivière donne l'impression au lecteur de pouvoir plonger la main dans cette onde pure et fraîche. Comme à son habitude, Burrows n'éprouve aucun scrupule, ni aucune difficulté à représenter les actes les plus abjects, les plus immondes de manière pragmatique et détaillée, sans en rajouter. Le lecteur a donc l'impression de marcher aux cotés de ce groupe de survivants que ce soit sur des collines verdoyantes, ou des plaines enneigées.



Au fil du monologue intérieur d'Ian, le lecteur découvre un individu normal, presque banal, contraint de s'adapter pour survivre. Ian est un individu pragmatique très doué pour déterminer les options dans chaque situation et trouver celle qui lui assure la meilleure chance de survie. Les barbaries commises par les crossed n'ont pas pour fonction de racoler et d'en appeler aux pires instincts du lecteur, mais de rappeler sans espoir d'échappatoire l'annihilation de la société et la forte probabilité d'une fin atroce et brutale. Face à ce constat, Ian incarne le pragmatisme ordinaire, sans sentimentalisme, mais sans cynisme. Ennis s'attache à faire ressentir au lecteur ce que peut être l'adaptation psychologique de cet homme. Le résultat est rationnel, plein de bon sens, et pourtant insoutenable et d'une noirceur sans fond. Malgré la brièveté du récit, Ennis réussit à impliquer son lecteur jusqu'au malaise, pour d'autres motifs que les actes des crossed. 5 étoiles.



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Épisodes 4 à 9 "Homo superior" (scénario de Jamie Delano, dessins et encrage de Leandro Rizzo) - L'action se situe dans les Everglades (en Floride). Greg se déplace en vélo vers une destination mal définie quand il aperçoit une jeune femme au loin. Il tombe dans le piège qu'elle lui a tendu, elle le ligote et l'interroge comme un prisonnier de guerre. Elle s'appelle Steve et était un soldat ayant connu le combat et la vie en caserne. Dans le même secteur se trouve un camp retranché occupé par une poignée de bouseux (rednecks) très portés sur les armes à feu et la défonce (ils ont installé un petit laboratoire pour fabriquer leur dope). Leon (un jeune homme) va devoir quitter l'abri de ce camp et il va croiser la route de Steve et Greg. Ashley et Ashlynne sont soeurs jumelles et elles ont fuit la ville proche à bord de 2 canoës kayak, avec des armes à feu. Elles se déplacent en veillant l'une sur l'autre, 2 gosses de riches dont le père avait des penchants incestueux. Elles aussi vont rejoindre Greg et Steve.



Leandro Rizzo a un style qui ressemble fortement à celui de Burrows en un peu moins léger, et un peu plus racoleur. Il dessine avec la même franchise que Burrows les atrocités les plus immondes, et le scénario embrasse pleinement les caractéristiques les plus sadiques des crossed. À nouveau les images sont parfois insoutenables et l'histoire est à réserver à un lectorat comprenant bien la nature de l'histoire, et consentant.



Le début de l'histoire déconcerte parce que Delano (surtout connu pour ses histoires de John Constantine, par exemple Hellblazer Vol 1 ou Pandemonium) semble se contenter d'accumuler les personnages stéréotypés (un individu uniquement préoccupé de lui-même, une ex-soldat en parfaite forme physique, portée sur les armes à feu, avec un penchant prononcé pour la violence malsaine, 2 jeunes écervelées habiles avec une arme à feu, avec une relation flirtant avec l'inceste, un jeune homme dépourvu de toute inhibition uniquement préoccupé par la défonce et la possibilité de tirer un coup. Ça fait quand même beaucoup de clichés. Petit à petit, le lecteur se rend compte que cette histoire est l'occasion pour Delano de ridiculiser tous ces clichés, de massacrer ces impostures de personnages, en les confrontant aux monstruosités des crossed, à leur inéluctabilité immonde, en poussant la logique de ces caricatures jusqu'au bout, avec une résolution d'une noirceur terrifiante. Delano s'est approprié les spécificités de ces zombies pour narrer un récit à la fois parodique et premier degré sans pitié. À nouveau les atrocités commises par les crossed dépassent l'entendement et les comportements des individus exposent au grand jour les imperfections flagrantes de l'être humain. 5 étoiles.



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Ce recueil comprend 2 histoires complètes indépendantes, reflétant la personnalité de leurs scénaristes respectifs. Elles sont toutes les 2 à réserver à un public averti et consentant, avec des horreurs aussi graphiques, que psychologiques. David Lapham et David Hine écrivent chacun une histoire dans le tome suivant Crossed 5.
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Animal Man Vol. 7 : Red Plague

Ce tome fait suite à Flesh and blood (épisodes 51 à 63) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les épisodes 64 à 79, ainsi que le numéro annuel 1 de 1993, initialement parus entre 1993 et 1995, tous écrits par Jamie Delano. Steve Pugh a dessiné et encré les épisodes 66 à 70, 72, 73, 75, 76, 78 et 79. L'épisode 64 est dessiné par Will Simpson et encré par Dan Steffan. L'épisode 65 est dessiné et encré par Will Simpson. Le numéro annuel 1 est dessiné par Russell Braun, encré par Tom Sutton et Rafael Kayanan. Les épisodes 71 et 74 sont dessinés par Russell Braun (avec l'aide de Fred Harper pour 74), encré par Tom Sutton (71), et par Gene Fama (74). L'épisode 77 est dessiné et encré par Peter Snejbjerg.



Dans ce tome très conséquent (16 épisodes, plus le numéro annuel), il se passe plein de choses. Dans le premier épisode, Mary Frazier (la mère d'Ellen Baker) réfléchit à sa vie, à la situation dans laquelle elle se trouve, elle, sa fille, son mari, leurs enfants. Par la suite, Buddy Baker (Animal Man) et Ellen ont une discussion à cœur ouvert dans les bois. Maxine accueille à la ferme Myra et Sélène, 2 lesbiennes.



Buddy se retrouve à essayer de rattraper le peuple des Marcheurs Silencieux, des créatures mi-homme, mi-bête. À leur contact il subit une nouvelle évolution, le rapprochant plus de l'état animal que de l'état d'humain. Maxine est victime d'un grave accident. Ellen prend de la distance d'avec sa famille, ayant perdu sa fibre maternelle. Maxine et Buddy prennent conscience qu'ils doivent attirer l'attention du grand public sur la condition animale, et les maltraitances associées. Avec l'aide de Lucy Patterson, ils décident de fonder une église dont Maxine est le porte-parole, et Animal Man le symbole. Une longue marche commence à travers les États-Unis.



Il est impossible de résumer en quelques phrases la richesse des intrigues de ces 450 pages, ou même les différentes émotions générées par cette lecture, et par les personnages. Dans le tome précédent, Jamie Delano prenait du temps pour trouver ses marques avec ce personnage, sans verser dans le rapport entre créature et créateur (ce qu'avait Grant Morrison au début de la série), ni transformer la série en un prêche écologique.



Ce tome et le précédent regroupe l'ensemble des épisodes que Delano a écrit pour le personnage. Dans ce deuxième tome, l'auteur a trouvé son mode narratif, avec une voix unique. D'épisode en épisode, le personnage de Buddy Baker s'efface de plus en plus, pour ne devenir qu'une présence, parfois l'incarnation de l'instinct de vie, parfois la pulsion animale, de plus en plus sauvage et primaire. Delano s'amuse à nouveau à décrire quelques scènes animalières du point de vue des animaux, transcrit par Buddy Baker. Il insère un poème en prose pour le début de l'épisode 69, transcrivant à merveille l'état altéré des personnages.



Ce qui marque plus le lecteur dans ces épisodes, est la chaleur humaine. Jamie Delano consacre au moins un épisode à chacun des principaux personnages : Buddy, Cliff, Maxine, Mary Frazier (il en avait consacré 1 à Ellen dans le tome précédent). Le lecteur peut ainsi se familiariser avec eux, les comprendre, les apprécier dans leur complexité, dans leurs contradictions. Il partage leurs peines et leurs tensions. Lorsque l'un d'eux vient à mourir, il ressent leur douleur. Contre toute attente (par opposition à ce qu'il a pu écrire dans la série Hellblazer, à commencer par Original sins), il dépeint une famille attachante, aux relations normales et chaleureuses, malgré les particularités du père, de la fille et du fils.



À ce titre le portrait de Maxine (la fille de Buddy Baker) est formidable de bout en bout. Elle promeut une tolérance totale entre êtres humains, et parmi les animaux. Son discours est à la foi naïf (comme peut l'être celui d'une fillette de cet âge, et à la fois touchant grâce aux valeurs évidentes et universelles qu'elle rappelle.



Delano se montre tout aussi généreux avec les personnages gravitant autour de ce noyau familial. La grand-mère bénéficie du premier épisode pour que le lecteur comprenne son état d'esprit, son consentement aux limites qui viennent avec l'âge. Lucy et Annie Cassidy sont attachantes, malgré le côté un peu foldingue et imprévisible de la première. Delano ne se contente pas de mettre en scène des individus en marge de la société ; il met également en scène des individus normaux (bien intégrés et productifs), et même croyants (sans une once de moquerie ou de mépris). Il ne dépeint pas tout le monde comme des individus angéliques, mais comme des personnes avec des bons et des mauvais côtés.



Au fil des épisodes, le lecteur prend également conscience de l'envergure de l'intrigue principale, et de la manière adulte avec laquelle elle est menée. Cette croisade pour le respect de la vie animale au sens large se heurte aux contingences matérielles attendues. Les instigateurs de cette religion ne sont pas dupes de l'issue de leur périple. Ils savent qu'ils restent dépendant de la société, et que leur belle aventure aura une fin.



Delano sait faire croire à la possibilité de ce mouvement solidaire, et montre les réactions d'individus d'horizon divers. Il peut s'agit d'adolescents persuadés de la possibilité du changement, en quête d'absolu, comme de Ray Dillinger (un agent du gouvernement) confrontée à des valeurs qui ne sont pas les siennes. Petit à petit elle constate que ces individus sont des êtres humains attachants, même si elle ne partage pas leur conviction, une belle fable sur la tolérance.



À l'évidence, l'élan de la narration provient du récit de Jamie Delano, bien plus que des dessins. Russell Braun réalise des images fonctionnelles, pas très jolies, mais avec un degré de réalisme suffisant pour faire croire à l'histoire racontée. C'est assez littéral comme mise en images, mais ça ne rentre pas en conflit avec le récit.



Steve Pugh a dessiné 11 épisodes (sur 17). Il utilise un encrage un peu appuyé et élancé qui insuffle une tonalité plus âpre aux dessins, plus en rapport avec le côté rustique du récit, avec les éléments sauvages (animaux, ou comportement d'Animal Man). Ses dessins dépassent la simple représentation fonctionnelle pour insuffler un esprit animal à bien des séquences, ou souligner l'amitié qui lie les personnages.



Alors que le tome précédent avait laissé le lecteur un peu perplexe sur la capacité de Jamie Delano à trouver un ton narratif spécifique pour cette série, celui-ci prouve qu'il lui suffisait de quelques épisodes de chauffe. Il réussit une histoire dépassant tout clivage bien/mal, pour mettre en scène des individus attachants et plausibles, dans des circonstances extraordinaires, évoluant autour d'un noyau familial formidable. La mise en images de ce récit oscille entre le fonctionnel correct (Russel Braun), et le descriptif rehaussé par une touche d'expressionisme en phase avec le récit.
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Animal Man Vol. 6 : Flesh and Blood

Ce tome fait suite à The meaning of flesh (épisodes 38 à 50) dont il poursuit 2 intrigues secondaires. Il contient les épisodes 51 à 63, initialement parus en 1992/1993, tous écrits par Jamie Delano. Steve Pugh a dessiné et encré les épisodes 51 à 57 et 61 à 63. La deuxième moitié de l'épisode double 56 a été dessinée par Scot Eaton et encré par Graham Higgins, la partie bonus (7 pages) a été dessinée par Russell Braun. L'épisode 58 a été dessiné et encré par John Higgins. Les épisodes 59 et 60 ont été dessinés par Russel Braun, et encré par Graham Higgins (59) et Tom Sutton (60).



Épisodes 51 à 56 – Flesh and Blood – Cliff Baker est toujours en fugue avec son oncle Dudley. Ils regardent par la fenêtre en pariant pour savoir si un vieux chien tout miteux réussira à traverser l'autoroute sans se faire écraser. Du résultat dépend le choix du film gore qu'ils regarderont. Buddy, Helen et Maxine logent toujours chez Mary Frazier (la mère d'Helen) qui a du mal à se faire aux bizarreries de son gendre. Oncle Dudley décide d'emmener Cliff se ressourcer en camping-car. Buddy se met enfin à la recherche de son fils.



Épisodes 57 à 60 – Helen doit se rendre à New York pour son travail, où elle loge chez une amie. Le mari de celle-ci lui fait des avances qu'elle repousse violemment. Elle se retrouve rapidement à la rue, où elle se fait voler toutes ses affaires, et finit par se faire embarquer en cellule. Pendant ce temps-là, Buddy doit s'occuper des enfants chez sa belle-mère.



Épisodes 61 à 63 – Helen et Buddy emmènent leurs enfants (Maxine et Cliff) en vacances à la plage qui s'avère trop polluée pour pouvoir s'y baigner. Non loin de la maison qu'ils ont loué, résident Annie (la mère) et Lucy (la fille atteinte d'une leucémie) Cassidy, dans un mobil home. La faune a un comportement étrange et même agressif.



Jamie Delano a laissé une empreinte indélébile dans le monde des comics, avec la série "Hellblazer" qu'il a lancé (en 1988) à partir du personnage John Constantine créé par Alan Moore, et dont il a écrit une quarantaine d'épisodes (à commencer par Original sins). Par la suite il a continué à écrire des comics en pointillé, comme Outlaw Nation et The Territory. Il a même écrit une histoire pour les zombies obscènes de Garth Ennis, dans Crossed Volume 4 TP.



Cette réédition de ces épisodes pour la série Animal Man constitue une aubaine pour tout lecteur appréciant cet auteur. Elle se poursuit dans Red plague (épisodes 64 à 79 et numéro annuel 1).



Dès le premier épisode, le lecteur retrouve le ton narratif propre à Jamie Delano, à savoir des cellules de texte. Dans certaines séquences, il complète la narration visuelle du dessinateur par des bulles de dialogue, de petits rectangles contenant 2 ou 3 phrases concises. Ce texte n'a pas pour objet de dire ce que montrent les images, il vient apporter soit un point de vue complémentaire du narrateur omniscient, soit le flux de pensée du personnage principal. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut apprécier cet enrichissement de la narration, ou le trouver indigeste.



En reprenant cette série, Delano ne fait pas du sous Hellblazer calqué sur la série "Animal Man". Il avait décidé de quitter la série Hellblazer du fait du coût psychologique associé à creuser des horreurs réalistes et personnelles. Au cœur de ses intrigues pour "Animal Man", il place la cellule familiale de Buddy Baker. Il n'écrit pas une sitcom, mais l'amour réciproque que se portent Helen et Buddy est montré à fréquence régulière. Il ne s'agit pas pour autant d'un drame psychologique sur la famille. Il fait l'effort de mener à bien les intrigues secondaires laissées en suspens par Tom Veitch dans le tome précédent, sans les expédier pour s'en débarrasser (qu'il s'agisse du tricératops ou de la fugue de Cliff).



Dans la première histoire, Delano montre comment Buddy Baker doit revenir à une vie incarnée après avoir été victime d'un chauffard et que son corps ait été incinéré. Dans la deuxième, il écrit une histoire sur la fragilité de l'individu dans l'environnement cruel de la mégapole. Il termine sur une histoire de spiritisme qui aurait pu servir de point de départ à une aventure de John Constantine.



Chacune des 3 histoires développe une intrigue linéaire comportant son lot de suspense et d'action, même si Buddy Baker ne revêt que très occasionnellement son habit de superhéros (il y en a quand même une variation assez rustique réalisée par la grand-mère). Le premier opposant (oncle Dudley) est un vrai méchant inquiétant, aux convictions qui le rendent dangereux. Le deuxième opposant est la cité elle-même, avec ce qu'elle comporte d'individus prêts à profiter des faibles. Le troisième correspond à une personne peu gâtée par les hasards de la vie, et toujours très humaine.



Delano développe bien sûr le rapport à la nature, ou plutôt aux animaux, avec une approche qui n'a rien de simpliste. Il y a pour commencer cette montée en puissance de l'esprit de Buddy Baker dans des organismes de plus en plus complexe, accompagnée par le commentaire du narrateur omniscient, mélangeant lyrisme et mysticisme (à nouveau pas au goût de tout le monde, mais certainement pas fade). Puis dans les histoires suivantes, Delano ouvre chaque chapitre par une situation animalière évoquant celle de Buddy Baker au moment concerné. Il ne joue pas l'angélisme de l'écologie avec des petites fleurs, mais il ne se limite pas non plus à la noirceur de la chaine alimentaire.



10 épisodes sur 13 ont été dessinés par Steve Pugh, avec une approche réaliste, assez détaillée. Il est possible de reconnaitre aisément chaque espèce animale représentée, de l'insecte au mammifère. Pugh utilise un encrage légèrement appuyé et un peu charbonneux qui apporte une aura d'étrangeté inquiétante, parfaite pour les récits de Delano. Il donne une apparence mémorable et différente à chaque personnage.



Il est aussi à l'aise pour représenter la campagne, que les patelins de l'Amérique profonde, où les séquences plus ésotériques. Il s'avère l'artiste parfait pour chaque séquence, aussi différente l'une de l'autre qu'elles soient. Il représente avec la même conviction l'obscurité inquiétante d'une grotte, que le déchaînement de la pluie lors d'une tempête sur la grève.



Par comparaison, les 3 épisodes restants semblent un peu fades, du fait d'un encrage plus traditionnel se limitant à détourer les formes. Sans être mauvais, ils sont juste quelconques, les expressions des personnages manquant aussi de nuances par rapport aux dessins de Steve Pugh.



Cette (re)découverte des premiers épisodes de la série écrits par Jamie Delano montrent tout d'abord la grande versatilité de Steve Pugh, dessinateur fortement impliqué et doté d'une personnalité graphique intéressante, sans être écrasante. Le lecteur constate également que c'est au cours de cette époque que DC Comics crée sa branche Vertigo puisque ce logo n'apparait qu'à partir du numéro 57.



Jamie Delano commence ses histoires par un récit ambitieux en 7 épisodes qui joue sur des éléments auxquels le lecteur ne s'attend pas, qui parle de la relation de l'homme avec le règne animal sous une forme personnelle, dépourvue de stéréotypes. La longueur de ce premier récit joue un peu contre sa densité et contre la force du propos de l'auteur. Ce défaut disparaît avec les 2 récits suivants, plus ramassés (3 épisodes chacun), au cours desquels Delano s'écarte encore plus des sentiers battus pour des histoires humaines poignantes et chaleureuses, autour d'un personnage principal (et même 2 avec Helen), déstabilisant, amical et attachant.
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Les dossiers d'Hellblazer : Pandemonium

Ce tome comprend une histoire originale et complète, parue en 2010 sous la forme d'un album complet, sans prépublication, ainsi que l'épisode 181 de la série mensuelle.



Pandémonium (scénario de Jamie Delano, dessins et encrage de Jock, mise en couleurs de Lee Loughridge) - Il se passe de drôles de choses en Irak : pas seulement les conséquences de l'occupation par les États Unis, mais aussi une résurgence d'activité surnaturelle, des démons qui profitent du chaos et des affrontements. Les services secrets anglais y envoient John Constantine interroger un suspect récalcitrant qui en sait plus que ce que ses tortionnaires de base n'arrivent à lui faire dire. Et une iraquienne voilée semble impliquée dans ces agissements.



Le personnage de John Constantine apparaît pour la première fois dans le numéro 37 de Swamp Thing (écrit par Alan Moore) paru en juin 1985. En janvier 1988, Constantine a droit à sa propre série dont les premiers épisodes (1 à 9) sont regroupés dans Péchés originels. La lourde tâche de développer le personnage incomba à l'époque à Jamie Delano qui a écrit les épisodes 1 à 24, 28 à 31, 33 à 40 et 84. C'est donc avec plaisir que je le vois revenir pour une nouvelle aventure de Constantine (et aussi avec un peu d'appréhension).



Dès les premières pages, il est évident que Delano n'a pas perdu le lien qui l'unissait au personnage. Non seulement Constantine est toujours aussi mordant, de mauvais poil, peu regardant sur les méthodes à employer, doté d'une connaissance tentaculaire du fonctionnement du monde, mais en plus Delano a gagné en efficacité narrative. La première chose qui vous prend aux tripes sont les dialogues. Ils sont ciselés, ramassés et d'une efficacité redoutable. Ensuite, le lecteur découvre avec plaisir que Delano n'a rien perdu de son mordant sociétal et politique. Le Londres que parcourt Constantine est marqué par le tout sécuritaire, par les attentats meurtriers de 2005 et l'engagement dans la guerre en Irak aux cotés des États-Unis. Et tous les codes d'une histoire de Constantine sont respectés : mauvaise foi, manipulation, entités démoniaques, jolie jeune femme pas dupe. Il est vrai que c'est Delano lui-même qui a inventé ces codes.



Les illustrations présentent un style très marqué : à l'emporte pièce. Les formes et les visages sont taillés à coups de serpe et à coups de burin. Jock (Mark Simpson de son vrai nom) s'était déjà fait remarquer en illustrant la série des Losers (Losers tome 1 & Losers tome 2). Pour cette histoire, il réalise les illustrations (dessins + encrages) et la mise en couleurs. Son style mangé par les ombres lui permet de faire surgir des décors crédibles avec quelques éléments que ce soit les rues de Londres, le British Museum, le désert d'Irak ou les entrailles des enfers. John Constantine a eu une apparence qui est bien celle d'un homme d'une quarantaine d'années. Aseera al-Aswari a une allure de jeune femme tourmentée et déjà fort abîmée par la vie et l'utilisation de la burqa n'a rien de polémique. Lors de la partie de poker, les visages expriment la tension des joueurs. Seuls, peut être, les démons auraient mérité un travail de conception graphique un peu plus réfléchi.



La lecture de ce tome a été une très agréable surprise car il m'a permis de retrouver le John Constantine des débuts. Pour autant, ce récit n'a rien de passéiste. Jamie Delano écrit un récit qui fait écho aux événements géopolitiques récents qui impriment leur marque sur la vie quotidienne des londoniens. Et ses réflexions sur l'impact de la guerre en Irak, et en général, n'ont rien de manichéen. Effectivement, on peut déduire des propos de Constantine que les prises de position politique de Delano sont plutôt à gauche qu'à droite (bon franchement à gauche, c'est vrai). Il est vrai également qu'il évite soigneusement de prendre parti sur la religion islamique et que son point de vue sur le voile est très tiède. Jamie Delano prend bien soin aussi de ne pas transformer le récit en tribune politique, cette histoire est avant tout une aventure de John Constantine en bonne et due forme, sans persiflage sur les éléments démoniaques, sans mépris pour la bande dessinée ou le personnage de Constantine. Et cette histoire est vraiment bien mise en images par des dessins adultes qui ne tombent ni dans la facilité, ni dans le sensationnalisme pyrotechnique. 5 étoiles.



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*** Épisode 181 (scénario de Mike Carey, dessins et encrage de Jock) - À Londres, un officier de police contacte John Constantine pour qu'il se rende à la morgue. Un cadavre exige de lui parler. Ce cadavre lui donne une information sujette à caution. Constantine se prépare à essuyer une attaque des forces démoniaques. Il s'en suit une course poursuite dans Londres, Constantine étant poursuivi par 2 démons peu commodes.



Urban Comics a choisi d'étoffer la pagination de ce tome est y adjoignant un épisode (initialement paru en 2003) formant un tout et dessiné par Jock, l'artiste ayant illustré l'histoire principale. Le résultat est une course-poursuite haletante et bien pimentée, mais qui manque de la dimension sociale présente dans le récit de Delano. Les dessins de Jock sont dans un rendu plus traditionnel, moins conceptuel que "Pandémonium" qui sans être fades souffrent également de la comparaison avec l'histoire principale. 4 étoiles pour un Constantine farouche et malin dans des rues de Londres légèrement fantasmatiques.
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Batman - Manbat, tome 1

Je n'ai jamais été très amateur de l'univers des comics, mais voir cette relecture d'un Batman testostéroné enquêter dans une maison close est pour le moins déroutant et jouissif. C'est loin de l'univers de Tim Burton ; ici, c'est très sombre, sale, avec une ambiance très humaine, ça sent la sueur. Les dialogues oscillent habilement entre sarcasme et humour, ce qui habille subtilement le récit.



Ce premier tome pose le décor : un désert, une jeune fille fragile, une grotte, un scientifique, une épouse victime d'un étrange sérum, et Batman à l'investigation. L'ensemble est graphiquement d'une remarquable qualité.
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Captain Britain - Marvel Omnibus

Ce n'est pas très bon, même si ça va en s'améliorant.



Ça a quelque chose de rassurant de voir que même Alan Moore, que je considère comme l'un des plus grands artistes des 50 dernières années, peinait à trouver comment s'exprimer à ses débuts.



Et c'est certainement intéressant de lire Capitain Britain pour de le voir, petit à petit, débloquer son potentiel.
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The Territory

Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, initialement parue sous la forme de 4 épisodes en 1999, écrite par Jamie Delano, dessinée, encrée et mise en couleurs par David Lloyd.



Quelque part en pleine mer, un homme est coincé sur un éperon rocheux, avec des tentacules émergeant de l'eau, essayant de le happer. Son regard indique qu'il est proche de sombrer dans la folie. Alors que les tentacules disparaissent, il aperçoit au loin un navire. Recueilli à bord, il se rend compte qu'il a perdu la mémoire ; il choisit le prénom d'Ishmael sur l'inspiration du moment (la version anglaise d'Ismaël, prénom biblique et popularisé dans Moby Dick d'Herman Melville). Il est jeté à fond de cale avec les autres esclaves pour être vendu au marché. Il finit comme gladiateur dans l'arène où il se révèle un combattant redoutable. Il est repéré par Max qui l'achète comme homme de main, et par sa femme Scarlett qui semble fascinée par lui. Après plusieurs péripéties, Ishmael finit par s'échapper et perdre connaissance au bord de la noyade. Il reprend conscience dans un autre monde, agressé par un ver géant.



Au premier niveau de lecture, Jamie Delano a construit un scénario qui peut sembler un peu facile. Le vaillant et viril héros se retrouve dans une situation dangereuse. Il triomphe des périls dans des affrontements physiques mettant en valeur sa force et son courage. Il se démène pour obtenir l'attention de la belle jeune femme. Alors qu'il semble sur le point de triompher de l'adversité, la victoire lui échappe et il se retrouve dans une autre situation périlleuse. Tout se termine par une chute un peu prévisible, avec justice poétique, comme un EC comics du temps jadis. Les dessins de David Lloyd sont fortement encrés avec une tendance à la dramatisation pour renforcer l'impression de destin implacable, mais avec des visages manquant de finesse.



À un deuxième niveau de lecture, dès la première scène, le lecteur sent bien que Delano écrit un hommage aux romans d'aventures à destination des adolescents et jeunes adultes mâles. La séquence d'ouverture évoque un personnage d'Howard Philips Lovecraft proche de basculer dans la folie face à la manifestation d'une créature venant des profondeurs. La séquence suivante évoque les films de gladiateurs, avec combats dans l'arène. Celle d'après rappelle Magnus, Robot fighter, avec un soupçon de John Carter. Entretemps Ishmael a profité du grand air à bord d'un dirigeable qui aurait fait envie à Robur le conquérant. Jamie Delano convoque donc les grandes figures des aventures de type pulp pour nourrir son récit. Comme Delano, Lloyd prend soin de citer visuellement ces références, sans tomber dans le plagiat, avec cette silhouette de jeune femme qui semble avoir été croquée par Russ Manning, sans rien sacrifier de son encrage appuyé. Delano et Lloyd inscrivent leur récit dans la tradition de ces récits où le héros triomphe de tous les périls grâce à sa force physique et sa détermination, dans un état d'esprit (une force de caractère permettant de tout faire plier à sa volonté) qui fait également honneur à Robert Erwin Howard.



Toutefois dès le premier épisode, Delano et Lloyd ont introduit 2 éléments qui déparent dans ces saynètes à la manière de..., suggérant ainsi un troisième niveau de lecture. Pour commencer, le héros n'arrive pas à conquérir la femme. Il y a bien cette composante de séduction, cet objet du désir, cette tension sexuelle, mais qui ne débouche jamais sur une satisfaction. Quel que soit le niveau de virilité du héros, il n'est pas en mesure d'aller jusqu'au bout, une forme de frustration exacerbant un désir inassouvi, niant la valeur de ses triomphes virils. La deuxième composante relève de l'absurde, puisqu'à chaque configuration, il se produit une occurrence pendant laquelle les figurants ou seconds rôles regardent un dessin animé à la télé, dans lequel Hapless Henry (un chien anthropomorphe) est humilié. Alors que tout le monde trouve ces avanies irrésistibles, Ishmael les trouve pathétiques. Alors qu'Ishmael est un homme triomphant des combats les plus risqués, il est incapable de partager ces moments de détente avec le reste de l'humanité.



À ce troisième niveau de lecture, en y regardant de plus près, les dessins de David Lloyd accentuent ce malaise. Il y a l'encrage qui se fait de plus en lourd au fur et à mesure que les pages se tournent. Il y a les visages qui expriment des sentiments intenses, incontrôlables par l'individu, déraisonnés. Il y a l'apparence du dessin animé Hapless Henry, trop en décalage par rapport avec le reste, mais aussi trop axé sur la résignation et l'humiliation d'Henry. Il y a ces séquences de sommeil ou de noyade pendant lesquelles Ishmael perd tout contrôle, sur son environnement, où il devient le jouet de forces arbitraires et néfastes. Plus l'intrigue progresse, plus les hauts faits sont représentés comme des actions brutales, perdant leur caractère héroïque au fur et à mesure. Le malaise s'installe et prend des proportions étouffantes.



Parti pour un récit d'aventures rendant hommage à aux œuvres majeures de ce genre du début du vingtième siècle, le lecteur sombre peu à peu dans une ambiance castratrice, des situations dans lesquelles toute la force et les ressources du héros ne permettent pas d'aboutir à une victoire significative, où tout est toujours à recommencer, sans espoir de résolution, évoquant une variation sur le mythe de Sisyphe. Alors que Delano et Lloyd donnaient l'impression de partir pour un récit d'aventures classiques, ils font apparaître la futilité des efforts du preux héros, son incapacité à faire une différence, son impuissance à triompher et à conquérir la belle. Le lecteur se retrouve pris dans les rets d'un récit poisseux et désespéré, un vrai roman noir implacable.



Le tome contient également 3 pages d'un autre récit de David Lloyd : Kickback (2006).



David Lloyd (dessinateur de V for Vendetta d'Alan Moore) et Jamie Delano avaient déjà collaboré ensemble pour une histoire de John Constantine d'une noirceur abyssale intitulée "The horrorist" (1995), rééditée dans The devil you know.
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Captain Britain 5 : End Game

Ce tome fait suite à Siege of Camelot et il contient la deuxième partie des épisodes écrits par Alan Moore. Il comprend "Mighty world of Marvel" 7 à 13 (scénario d'Alan Moore), 14 (scénario de Steve Craddock & Alan Davis), 15 (scénario d'Alan Davis) et 16 (scénario de Mike Collins & Alan Davis), ainsi que les épisodes 1 à 14 de "Captain Britain" (scénario de Jamie Delano). Tous les épisodes sont dessinés et encrés par Alan Davis.



Mighty world of Marvel 7 à 13 (63 pages d'Alan Moore) - L'Angleterre dispose d'un nouveau premier ministre : sir James Jaspers. Captain UK (Linda McQuillan) est toujours aussi désemparée. Captain Britain (Brian Braddock) décide d'affronter Mad Jim Jaspers directement au 10 rue Downing Street. Pendant ce temps, Fury (le cybiote) franchit les dimensions. Sur Otherworld, Roma et Merlyn disputent une partie d'échec acharnée.



Il s'agit de la fin de l'histoire débutée dans le tome précédent, à laquelle Alan Moore apporte une conclusion en bonne et due forme, en reliant tous les fils narratifs de manière propre et remarquable. Le niveau d'inventivité n'est pas comparable à la première moitié du récit, mais le niveau de divertissement est satisfaisant. Ce qui peut s'avérer un peu frustrant est que Moore privilégie l'intrigue aux dépends des personnages.



Les dessins d'Alan Davis sont toujours aussi vivants et sympathiques (avec de belles expressions sur les visages et une capacité impressionnante à rendre les paysages et les vêtements anglais dans le moindre détail). Il réussit une superbe création avec les membres du Crazy Gang, à mi-chemin entre les personnages inoffensifs pour enfants et une forme de perversion trahissant leur nature dégénérée. Lors de la procession funéraire sur Otherworld, il crée une vingtaine de variantes de Captain Britain, toutes aussi évidentes qu'originales. Par contre il semble fortement pressé par le temps et les décors sont absents de trois quarts des pages.



Avec cette histoire, Alan Moore aura marqué durablement le personnage et fourni de la matière première pour plusieurs scénaristes à venir, à commencer par Chris Claremont. Ce dernier commence à rapatrier les créations de Moore dans la série Uncanny X-Men à partir du procès de Magneto dans Ghosts, en introduisant le personnage de James Jaspers. Il poursuivra l'importation anglaise dans la série Excalibur (à commencer par The sword Is drawn), avec l'aide de son deuxième créateur : Alan Davis.



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Mighty world of Marvel 14 à 16 - il s'agit de 3 épisodes de transition dans lesquels Brian Braddock croise la route de Meggan qui était apparu dans la fin de l'histoire d'Alan Moore. Si cette partie est relativement brève, elle présente une scène irrésistible pendant laquelle Captain Britain prend le thé en compagnie de la mère d'un jeune adulte qu'il n'a pas réussi à sauver de la mort. Intérieur anglais garanti, il ne manque même pas les scones.



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Captain Britain 1 à 14 - Le Crazy Gang a survécu à la disparition de James Jaspers et ils ont trouvé un chef capable de coordonner leurs talents en la personne de Slaymaster, un ennemi de Captain Britain. La confrontation avec le superhéros s'annonce rude. À peine cette épreuve surmontée, un Captain Britain d'une autre dimension s'invite sur la Terre 616 et prend la place de celui originel. Puis Gatecrasher à la tête de son Technet vient enlever Captain Britain (pas celui-là l'autre, enfin ils se trompent) pour le ramener à une autre version d'Opal Saturnyne.



Dans l'introduction, Alan Davis explique que Jamie Delano (le père spirituel de John Constantine, à commencer par Original sins, recommandé par Alan Moore) avait du mal à s'investir complètement dans une histoire de superhéros et que lui (Davis) à dû arrondir les angles de ses scénarios. Avec le recul des années, il est possible de constater que plusieurs idées seront reprises et développées plus avant par Davis lors de sa reprise de la série Excalibur. Il continue à jouer avec les voyages entre les dimensions, tout en introduisant une composante sitcom, en particulier au travers de la relation entre Captain Britain et Meggan. Il s'agit d'aventures inventives, à destination d'un public de jeunes adolescents, avec une forme de bonne humeur très agréable. En particulier Gatecrasher (la matrone qui commande le Technet) dispose d'un caractère à la fois dirigiste et humoristique. La version nazie (pour rire) d'Opal Saturnyne est aussi séduisante que répugnante.
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John Constantine - Hellblazer, tome 9 : Cri..

Ce tome fait suite à Rake at the gates of Hell (épisodes 72 à 83, et spécial "Heartland"). Il contient les épisodes 84 à 96, initialement publiés en 1994/1995, tous dessinés et encrés par Sean Phillips, avec l'aide de Pat McEown pour l'épisode 94.



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- Épisode 84 (scénario de Jamie Delano) – Chas Chandler (le chauffeur de taxi) ramène John Constantine à Londres. Chas va chercher sa femme (Renée) et sa fille (Géraldine, 16 ans) à la maternité, car cette dernière vient d'enfanter. Il dépose Constantine dans la maison des Chandler en lui demandant d'attendre qu'il les ramène. Constantine se souvient de son premier séjour dans cette petite maison, quand la mère de Chas était alitée dans une chambre au dernier étage, avec son (animal) familier (un singe).



Jamie Delano (le premier scénariste de la série) revient le temps d'un épisode servi bien noir, mêlant harcèlement, humour noir et cynique et une pincée de magie. Il a diminué le volume de texte, même si le lecteur a toujours accès à la voix intérieure de Constantine. Le récit est un peu moins intense que les autres épisodes qu'il a écrit, du fait d'une composante grotesque (sous la forme de ce singe qui s'apparente plus au familier d'une sorcière qu'à un simple animal de compagnie). Par contre, le comportement abusif de Queenie (la mère de Chas) fait froid dans le dos du fait de son caractère plausible.



Sean Phillips décrit un environnement très familier, avec le papier peint à étoiles pour la chambre du nouveau-né, le matelas souillé pour Queenie, les lèvres lippues de la guenon. Il insère un niveau de détails assez élevé pour décrire chaque décor. Son usage d'un encrage un peu lâche permet de donner une apparence adulte à chaque personnage, avec des traits un peu tremblés, un peu secs qui montrent que les personnages ne sont pas des gravures de mode, ou des gens parfaits.



En 1 épisode, Delano et Phillips racontent une histoire de harcèlement tyrannique bien glauque, traitée sous forme de comédie noire et grinçante ce qui en atténue un peu son intensité. 4 étoiles.

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- Épisodes 85 à 88 (scénario d'Eddie Campbell) – Constantine est appelé par Sam (une amie) parce que son oncle est possédé par une entité qui lui fait proférer des visions de phénomènes paranormaux. Une fois sur place, il est surpris de constater que ces visions corroborent les siennes. Il se retrouve également face au fantôme de sir Francis Dashwood, accompagné par Murnarr (une déité mineure ayant la forme d'un chat anthropomorphe) et par Bona Dea (une voyante aveugle). Dashwood explique à Constantine qu'il faut remonter la piste de ces prophètes possédés, ce qui les emmène d'abord aux États-Unis, puis en Australie.



Eddie Campbell (le dessinateur de From Hell, et l'auteur complet de l'autofiction Alec: The years Have pants) compose une aventure sortant de l'ordinaire de John Constantine, tout en en respectant les codes (moments horrifiques, louche de références historiques), dans une localisation dont il est familier : l'Australie. Campbell tisse une toile mystérieuse dans laquelle le lecteur s'enfonce aux côtés de Constantine, appréciant les références culturelles, le détour par une forme de complot mondial, l'exotisme de l'aborigène, etc. Le lecteur essaye de devancer l'intrigue en déterminant l'identité du responsable et son objectif réel, puis en essayant de devancer les actions de Constantine lui-même.



Phillips est toujours tout aussi à l'aise pour représenter des individus crédibles et pétris de leurs soucis personnels. Matt Hollingworth réalise une mise en couleurs conceptuelle (en restreignant volontairement sa palette, pour une ambiance un peu sombre, un peu collante, en parfaite adéquation avec les dessins. L'histoire de Campbell lui permet de réaliser des images saisissantes comme les 3 individus étranges attendant Constantine dans le salon de son amie, l'apparition de l'aborigène avec ses peintures tribales, le serpent se dressant pour s'attaquer à Murnarr, ou encore la carlingue trouée d'un avion s'abattant vers Constantine.



Ce récit plonge le lecteur dans une ambiance glauque et poisseuse, dans une intrigue déstabilisante avec quelques moments horrifiques et magiques, du vrai Hellblazer. 5 étoiles.



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- Episodes 89 à 96 (scénario de Paul Jenkins) – Constantine se trouve toujours en Australie. Il décide de venir en aide à une petite communauté d'aborigènes dont les terres font l'objet d'un rachat musclé, alors qu'elles abritent une ancienne divinité. De retour en Angleterre, Constantine retrouve Rich, un vieux copain dans un pub, qui lui présente Michelle (sa femme) et Syder (son fils, 6 ou 7 ans). Constantine décide de les accompagner pour une marche de protestation sur le site d'une ancienne bataille (1642). Puis Muer, un démon, décide de prendre possession de Syder (le petit garçon) pour forcer Constantine à se donner la mort.



A partir de l'épisode 89, Paul Jenkins devient le nouveau scénariste régulier de la série jusqu'au numéro 128. Il s'agit d'un choix inattendu de la part des responsables éditoriaux de confier la série à un scénariste inconnu, et certainement très intimidant, puisqu'il doit succéder à 2 scénaristes à la forte personnalité narrative, à savoir Jamie Delano et Garth Ennis.



Premier constat : Jenkins s'inspire plus du mode narratif de Delano que de celui d'Ennis. Il utilise des cellules de texte assez écrites pour la voix intérieure de Constantine comme le faisait Delano. Deuxième constat : Jenkins maîtrise les expressions anglaises typiques aussi bien qu'Ennis, même s'il y a moins de grossièretés. Sans être châtié, les dialogues sont plus pausés, moins agressifs, moins pète-sec. Troisième constat, Jenkins sait intégrer des thèmes particuliers, en dépassant les clichés. Le sort des aborigènes est montré sous le jour de l'homme blanc s'appropriant ses terres, mais pas seulement. L'entrée à la matière de l'histoire intitulée "Critical mass" fait référence à un fait historique significatif. Enfin, il prouve également sa capacité à imaginer des stratégies risquées et matoises pour Constantine.



Grâce à ces particularités, les récits de Paul Jenkins ne sont pas ridicules par rapport aux tomes précédents. Constantine conserve ses caractéristiques, le cocktail Angleterre + prolétariat + magie + horreur est respecté. Jenkins réalise un récit correct pour un début, il reste à espérer que les sujets abordés deviennent plus personnels, et que la narration devienne plus viscérale. Il utilise l'existence des démons de manière pas tout à fait assez convaincante, qu'il s'agisse du serpent arc-en-ciel réduit à une entité démoniaque de plus, ou de Muer dont la stratégie et l'objectif laisse à désirer. De même lors de sa dernière apparition, le geste de défiance du Premier des Déchus est plus risible que pathétique.



Tous ces épisodes sont à nouveau dessinés par Sean Phillips, avec l'aide de Pat McEown pour l'épisode 94. La première partie en Australie repose à part égale sur les textes et sur les visuels. A nouveau la coordination entre Phillips et Hollingworth est impressionnante, et les ambiances sont à couper au couteau. Phillips sait faire surgir une Australie convaincante, à la fois dans ses paysages et dans ses habitants.



Dans la deuxième partie, les dialogues prennent une place plus importante. Phillips conçoit des mises en scène qui permettent de les rendre vivants sur le plan visuel. Il joue sur la présence ou non d'arrières plans en fonction de la densité des dialogues. Les qualités d'artiste de Phillips lui permettent de trouver le bon dosage dans les décors, pas trop pour ne pas distraire l'attention du lecteur des paroles prononcées, sans pour autant donner l'impression que les personnages se tiennent comme des acteurs de théâtre sur une scène vide.



Grâce à la forte personnalité graphique des dessins de Sean Phillips et à la complémentarité conceptuelle de la mise en couleurs de Matt Hollingworth, les scénarios de Paul Jenkins acquièrent une consistance qui les rendent satisfaisant, malgré quelques maladresses et une narration pas tout encore tout à fait assez personnelle.
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John Constantine Hellblazer, tome 5 : Dange..

Ce tome fait suite à "The family man" (épisodes 23 à 33). Il comprend les épisodes 34 à 46 initialement parus en 1990/1991, c'est-à-dire les derniers écrits par Jamie Delano (épisodes 34 à 40), et les premiers écrits par Garth Ennis.



Épisode 34 - John Constantine a été retrouver Marj et sa fille Mercury. Il est au bord de la dépression et semble bien parti pour entraîner Marj à sa suite. Épisode 35 - Enfant, John Constantine avait dû se mesurer à un homme vivant à l'écart et incarnant pour lui le croque-mitaine (bogeyman). Épisode 36 - Mercury prend sur elle d'emmener John Constantine faire un tour dans son subconscient pour essayer de trouver la source de son mal être. Épisodes 37 et 38 - Le van de Marj tombe en panne en rase campagne, proche d'un abattoir. Marj et John se dirigent à pied vers la ville la plus proche pour trouver une pièce de rechange. Mercury recueille un adolescent (Martin Acland) sensible, en but à son père qui veut en faire un homme pour qu'il prenne sa suite en tant qu'égorgeur de cochons. Épisode 39 - Marj Mercury et John rejoignent le nouveau campement des hippies de la Freedom Mob où ils retrouvent Errol et Zed. Épisode 40 - John Constantine confronte son autre moi-même : le Magus.



Il s'agit de la dernière histoire de grande ampleur écrite par Jamie Delano pour ce personnage. Il y reviendra une fois dans la série régulière (épisode 84 en 1994), et une autre fois en 2010 pour une histoire complète Pandemonium. À cette occasion, il choisit de plonger au plus profond de la psyché du personnage. Le lecteur retrouve une histoire présentant la trame habituelle des récits de Constantine (épisodes 37 & 38), où une manifestation surnaturelle survient. Cette histoire est à nouveau l'occasion d'explorer les horreurs ordinaires de la vie, avec un père incapable d'accepter la différence de caractère de son fils, et imposant sa vision de la vie pour son bien. Les dessins et l'encrage de Steve Pugh sont toujours aussi noirs, griffés, plein de recoins noirs insondables, et d'individus grimaçant du fait de l'intensité de leurs émotions. Le malaise est étouffant.



Steve Pugh dessine également l'épisode 39, avec la même intensité, la même sensation d'horreur diffuse. Les épisodes 34 à 36 sont dessinés par un Sean Phillips débutant, s'encrant lui-même. Il utilise quelques photographies retouchées (avec les moyens de l'époque, c'est-à-dire des photocopies dont la définition a été volontairement dégradée) pour les arrières plans. Les personnages sont dessinés de manière un peu esquissée pour un coté brut bien adapté à l'ambiance de la série. Phillips réussit à trouver des mises en scène vivantes pour les 2 derniers épisodes ; par contre il n'est pas à la hauteur pour le premier réduisant les scènes de dialogues entre John et Marj à des têtes qui parlent, et l'isolement de Mercury à des cases très statiques qui n'apportent rien au texte. Il se révèle un peu meilleur dans le dernier épisode où il doit relever le défi d'imaginer le paysage visuel de l'intérieur de la psyché de Constantine, même si certaines images sont un peu trop littérales.



Jamie Delano s'est fixé un objectif très ambitieux avec ces derniers épisodes : mettre à nu la motivation intrinsèque de John Constantine. Il poursuit la thématique initiée dans "Family man" : l'horreur la plus viscérale, la plus noire est celle qui se tapit dans l'individu, dans sa confrontation brutale à la condition humaine. Les histoires de Jamie Delano sont très écrites, à la fois du point de vue du nombre de mots sur chaque page, mais aussi dans la progression narrative et dans la qualité de la réflexion. Ces derniers épisodes effectuent une plongée sans concession dans l'angoisse existentielle. Cela commence par une dépression amenant avec elle la culpabilité de ne pas réussir à faire mieux, de se laisser emporter par le poids des sentiments négatifs. Cela continue avec l'angoisse du rapport au corps, en tant que machine fragile fonctionnant indépendamment de la volonté de l'individu (un passage viscéral sur les battements de cœur, leur nombre fini). Constantine passe par l'épreuve de la réalisation qu'apprendre à vivre, c'est apprendre à mourir. La force de l'écriture de Delano est d'impliquer le lecteur au point de lui faire ressentir les émotions qui accompagnent cette prise de conscience.



Delano termine en beauté avec l'épisode le plus cruel, le plus magnifique et le plus intelligent. Il oppose John Constantine à une forme de double, déjà évoqué en filigrane dans la continuité par des indices qu'il avait saupoudrés auparavant. À l'opposé des doubles inversés littéraux, Constantine se retrouve à percevoir sa vie si elle avait été vécue par un autre lui-même ayant réussi. Pas de bagarre entre 2 individus que tout oppose, mais une fable noire et intense sur la condition humaine, et les valeurs humanistes. Cet épisode bénéficie des illustrations d'une richesse artistique épatante de Dave McKean. Il utilise moins le collage et la juxtaposition que ce qu'il fera par la suite, mais il apporte une dimension visuelle exceptionnelle à ce qui n'aurait pu être qu'un long monologue artificiel avec un autre artiste.



Dans des interviews postérieures, Delano déclarera que le monde très noir de Constantine l'a obligé à s'investir dans le développement de thématiques qui finirent par peser fortement sur son goût pour la vie. Après ces épisodes, le lecteur perçoit la véracité dans ces propos. Jamie Delano ne triche pas, ne fait pas semblant. Les explorations de Constantine dans les horreurs de la vie sont authentiques, vitales, un voyage sans fards et sans hypocrisie d'un auteur passionnant, utilisant les conventions du genre de l'horreur pour entreprendre un voyage philosophique et même métaphysique sur la condition humaine. 5 étoiles.



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Épisodes 41 à 46 - John Constantine est de retour à Londres dans une chambre minable. Un matin il se réveille et crache du sang dans le lavabo. Une visite chez le médecin confirme ce qu'il craignait : il a un cancer des poumons en phase terminale, avec quelques semaines à vivre. Un mauvais rêve prémonitoire confirme ce qu'il sait déjà : après la mort il est bon pour les Enfers où tous ceux dont il a causé la mort l'attendent de pied ferme. Il va visiter un service de cancéreux où il fait la connaissance de Matt alité en phase terminale. Il lui offre une clope. Il se rend à Dún Laoghaire, dans la banlieue de Dublin (Irlande), pour demander l'aide d'un ancien ami magicien, Brendan Finn. Le cancer progresse inexorablement.



Quand Garth Ennis reprend la série, il est confronté à plusieurs évidences. Pour commencer, Jamie Delano a fait sien John Constantine au point qu'il était possible d'identifier les questionnements du personnage avec l'auteur. Ennis ne peut pas se contenter de faire du sous-Delano. Ensuite, Delano a laissé le personnage sans aucune attache ni intrigue en cours. Ennis ne dispose pas de direction préétablie, ce qui peut s'avérer aussi pratique que paralysant. Avec cette première histoire, le hiatus d'avec Delano est incommensurable. Le lecteur passe de sommets métaphysiques, à une déchéance physique très ordinaire, très banale. Et pourtant...



Et pourtant, avec le recul, il est possible de constater que Garth Ennis utilise le personnage exactement comme Delano, en en faisant une sorte de prolongement de lui-même. Le lecteur retrouve bien cet individu cynique et sarcastique issu du prolétariat anglais, la dimension horrifique à la fois réelle (la maladie) et surnaturelle (les démons et les anges, avec de rares pratiques magiques). Avec le recul, il est possible également de distinguer une des thématiques principales de l'œuvre d'Ennis : l'amitié entre hommes. Ici il s'agit des relations que Constantine noue avec Matt, le malade alité, et des retrouvailles avec Brendan Finn. Ennis sait montrer l'investissement émotionnel de Constantine dans ces relations, ainsi que l'enrichissement affectif mutuel qui en découle pour les personnes concernées. Il est possible également de remarquer le rôle non négligeable joué par les bars et autres pubs.



À l'issue des 6 épisodes, le lecteur reste avec la sensation d'avoir partagé les épreuves de Constantine, et ses pensées tout du long. Or un retour en arrière montre qu'Ennis n'abuse pas de la voix off donnant accès au flux de pensée du personnage. Finalement la majeure partie de la personnalité et des états émotionnels de Constantine passent au travers de ses dialogues avec les individus qu'ils croisent de Matt, jusqu'à sa sœur Cheryl, sans oublier Chas Chandler le conducteur de taxi. Ennis fait d'ailleurs un effort visible pour citer la continuité établie par Delano dans les tomes précédents.



Dans le déroulement du récit, Ennis met en scène un ange et des démons. Il reprend le cadre de départ de la série, à base d'une religion catholique dans laquelle il existe un Paradis, et un Enfer, et toute la cohorte de créatures qui vont avec. Comme Delano, il s'en sert pour montrer en quoi Constantine est un rebelle qui refuse l'autorité des représentants du bien comme du mal, refusant de leur reconnaître quelque droit que ce soit sur les êtres humains. Il est possible d'y voir un refus des élites (politiques ou autres) décidant du sort des individus qui forment le peuple, un besoin viscéral de maintenir un regard critique sur ces élus et autres qui restent fondamentalement des êtres humains comme les autres, tout aussi faillibles.



Ces 6 épisodes sont dessinés par Will Simpson (artiste ayant travaillé pour 2000AD, ayant également dessiné Vamps d'Elaine Lee), et encrés par Mark Pennington (épisodes 41 et 42), Malcolm Jones III (43), Tom Sutton (44 & 45), et Mark Pennington, Mark McKenna, Kim DeMulder, et Stan Woch (épisode 46). Simpson n'a pas la tâche facile parce que le scénario d'Ennis comprend de longues, très longues plages de dialogues, sans action. Par exemple l'intégralité de l'épisode 45 se décompose en 3 séquences de dialogues, sans autres actions que les mouvements des personnages. Le lecteur découvre ainsi un numéro dépourvu d'arrières plans, à part 3 lattes de bois dans un coin de case, et une embrasure de porte dans une autre. Les visages ont beau être expressifs, cela ne suffit pas à maintenir l'intérêt visuel de la narration. Cette capacité à dessiner des visages réalistes avec des expressions parlantes participe pour beaucoup à rendre les personnages plus vivants. Ils sont ordinaires, facilement accessibles au lecteur. Ennis ayant fait le choix d'établir une partition étanche entre les scènes normales et les scènes surnaturelles, le style de Simpson est totalement adapté pour ces moments normaux, avec des personnages se conduisant comme dans la vie de tous les jours. Par contre, il est moins à l'aise quand le surnaturel devient majoritaire dans la scène. Il reste crédible lorsque le surnaturel (présence d'un ange ou d'un démon) n'est qu'un élément parmi d'autres. En fonction des goûts du lecteur, il pourra apprécier plus un encreur qu'un autre, leur travail donnant un aspect fini différent d'un épisode à l'autre. J'ai une préférence pour le travail rehaussant les textures de Malcolm Jones III; et pour celui de Sutton introduisant une forme de saleté ambiante.



À la première lecture, il est pourtant possible d'éprouver la sensation que ces dessins sont très fades et qu'il s'en dégage une impression d'uniformité plate. Il faut un peu de temps pour se rendre compte que cet effet provient de la mise en couleurs de Tom Ziuko. À cette époque, l'infographie est encore un outil balbutiant et une partie des metteurs en couleurs expérimente avec les techniques existantes en faisant tout pour s'éloigner des schémas habituels des comics de superhéros. Comme le fait remarquer Tornado dans son commentaire, Ziuko utilise une approche conceptuelle basée sur une palette restreinte, avec une teinte majeure en fonction de la scène. Ce choix a tendance à noyer toutes les cases dans une ambiance uniforme et insipide (à mes yeux).



À condition de pouvoir dépasser le départ de Jamie Delano, le lecteur découvre une histoire à nouveau bien noire, mêlant horreur quotidienne et surnaturelle, d'une façon très personnelle, propre au nouveau scénariste Garth Ennis. Le ton change et Ennis adapte le personnage en conservant les fondamentaux. Le récit est moins métaphysique, mais la réflexion n'a pas disparu, et l'intrigue recèle plusieurs surprises montrant que le personnage n'a rien perdu de ses talents de manipulateur. Les dessins restent dans un registre adulte, avec une approche différente, plutôt bien adaptée au récit. Ils souffrent de la conception du récit qui s'appuie sur d'abondants dialogues qui ne donnent pas grand-chose à voir. Tom Ziuko (metteur en couleurs) continue d'expérimenter avec les moyens à sa disposition pour un résultat très personnel plus ou moins convaincant. Entre 3 et 4 étoiles. Ennis et Simpson continuent de guider la destinée de John Constantine dans "Bloodlines" (épisodes 47 à 61).
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Et le désert disparaîtra

Qui est le personnage principal de l'histoire ?

Tewida
Samaa
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43 lecteurs ont répondu
Thème : Et le désert disparaîtra de Marie PavlenkoCréer un quiz sur cet auteur

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