Imaginez un premier roman comme un uppercut, non pas contre un adversaire, juste contre soi-même, contre ce narrateur qui s’appelle comme son écrivain, Jarred McGinnis !
Le Lâche, avec ses majuscules doublées, raconte comment un fauteuil roulant redonne à son propriétaire l’envie de revivre, allégé des entraves de son passé, réconcilié avec lui-même à travers une relation de fils à son père apaisée.
Après un accident de voiture, Jarred se réveille à l’hôpital insensible du bas de son corps et complétement esseulé. On lui annonce, abruptement, le décès de sa passagère. Ce n’est pas sa petite amie comme tout le monde le pense.
Mélissa était bien plus : la compagne de ses années d’adolescence et d’errance après la mort de sa mère. Son soutien, son soleil, sa rédemption ! Sans elle, la culpabilité en plus, c’est sa colère brute et froide qui le mine !
A la sortie de l’hôpital, sans logement et sans autonomie, il est contraint de retourner chez son père dont il s’est enfui dix ans plus tôt sans donner de nouvelle.
Le Lâche est l’histoire de ces lents moments de reconstruction d’un homme de vingt-six ans qui doit réapprendre à apprivoiser ses colères, ses peurs et ses souffrances. Mais ce roman raconte surtout la relation avec ce père qu’il a terriblement haï au point de se perdre lui-même dans des déviances et diverses addictions.
Petit à petit, au fur et à mesure que son père lui prouve sa fiabilité, son sevrage alcoolique notamment, il retrouve son admiration et son amour. En même temps il s’ouvre de nouveau au futur grâce à la présence particulière d’une femme serveuse dans le café de son refuge. Ne penser pas que ce récit puisse être une romance, c’est un cri que l’on peut enfin entendre !
Après le décès de la mère, de leur relation à trois, les deux hommes n’ont pas pu construire celle à deux. De rendez-vous manqués, de violences plus ou moins larvées, de cris non entendus, le fils est arrivé à la détestation de son père.
L’accident va redistribuer les cartes entre ses deux protagonistes, leur donnant une nouvelle chance de vivre ensemble de façon apaisée.
Jarred McGinnis propose un premier roman d’une remarquable intensité. Son récit fait de culpabilité, de destruction et de colère pourrait devenir inconsommable s’il n’y mettait pas dans son quotidien, dans ses dialogues et mêmes dans les scènes très imagées la dérision et l’humour nécessaires au recul et à l’analyse.
Pirouettes pour détourner la bêtise d’un regard ! Pirouette encore pour cacher sa déception de ne pas être autonome ! Jusqu’au moment, où elles ne suffisent plus pour affronter une réalité qu’il faut, à un moment ou à un autre, assumée pour pouvoir la dépasser.
Car, ici, ce n’est pas que la réalité du handicap physique que la narrateur doit surmonter. La souffrance du deuil de sa mère a réveillée des fragilités dont il n’avait pas connaissance. Les accepter furent un plus long combat que d’accepter de se déplacer en fauteuil roulant !
Et au contraire, sans ce fauteuil comme béquilles, le narrateur serait resté à jamais quelqu’un de « bordeline » ne cessant de se mettre en danger pour soulager la souffrance de sa dépression.
Alors, c’est peut-être sur ce point que réside la principale nouveauté de ce roman, c’est en plaçant le handicap physique, et l’image du fauteuil, au centre d’une guérison de l’âme. Le fauteuil roulant pour se stabiliser ! Le fauteuil roulant comme engin de vie !
Le Lâche est aussi le récit d’une société libérale qui oublie de protéger ceux qui en ont besoin. En plantant son décor au cœur de l’Amérique, Jarred McGinnis dénonce la santé payante, les boulots pour survivre et les avocats touts puissants.
Le Lâche raconte la lente reconstruction physique mais aussi psychique d’un jeune homme de vingt-six ans parti de chez lui depuis plus de dix ans. Jarred McGinnis manie un humour au vitriol pour ce récit parfaitement émouvant et bien écrit, très réussi. Pour un premier roman, Le Lâche s’impose comme un incontournable en cette rentrée littéraire !
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