En prison, un homme appelé le Monstre rencontre un avocat d’Avocats sans frontières pour assurer sa défense lors de son procès. Le Monstre est accusé d’avoir tué plusieurs êtres humains durant la guerre sévissant autour de la ville de M… Cependant, Viktor, le Monstre, garde le silence, car il se sait coupable, ce qui amène François Chevalier, son avocat, à mener une enquête sur le terrain en allant rencontrer, entre autres, les parents du Monstre, les gens l’ayant connu, etc. Il fera ainsi des découvertes sur l’enfance du Monstre, sur ses rêves, ses amours, ses morts.
Mes impressions
Tout d’abord, ce livre s’avère magnifique. Jean Barbe a réussi à créer un univers fascinant, actuel, sur les méandres de l’âme humaine. Je m’explique. D’une part, des hommes se rebellent contre le pouvoir. Parmi ces derniers, il y a le Monstre. Ce dernier assiste au meurtre sordide du fils de son ami, Manu. De plus, en mangeant avec la famille de Manu, il se rend compte que cette dernière vit dans un état de famine et que l’horreur engendre l’horreur. Il décide de faire la guerre en compagnie de ceux avec qui il travaillait à la scierie (cette dernière a été brutalement fermée), comme Mistral, dont l’unique objectif est de tuer en temps de guerre et de semer l’anarchie. Là où l’univers m’apparaît fascinant, c’est que l’instance lectrice est amenée à réfléchir constamment sur les enjeux de la guerre et de ses horreurs. Voici deux citations illustrant bien ce que j’exprime :
«La chair des hommes est une autre histoire et la blessure infligée à un seul peut faire souffrir plusieurs générations». (p. 171)
«Les gens veulent améliorer leur sort, continua-t-il. Tout le malheur vient de là. On prend les armes pour faire un monde meilleur! Et on devient inhumain à force de rêver d’un peu plus d’humanité. » (p. 188)
Dans ce livre, des monstruosités sont commises au nom de la guerre. Pour moi, elles sont injustifiables, mais bon. Je n’ai jamais vécu la guerre. Je n’ai jamais connu ses atrocités. Alors, difficile pour moi, d’accepter ces dernières.
Le Monstre ne cesse de vivre des trahisons, dont une de celle qu’il aime, Maria. Il va vouloir se venger de celui qui lui a volé Maria, c’est-à-dire le patron de cette dernière. De plus, Maria va se servir des renseignements qu’il lui transmettait en les divulguant à son patron. En ce sens, Viktor se lance aussi dans une guerre personnelle.
Dans ce récit, l’instance lectrice peut relever des thèmes comme la fragilité des idéaux et de la condition humaine, la haine, l’amour, la résistance, la barbarie, la guerre.
D’autre part, que dire de la plume de Jean Barbe ? Cette dernière est vivante grâce aux descriptions et à la précision des termes. La lectrice ou le lecteur se sent faire partie du récit et elle ou il ressent du plaisir devant la richesse de la phrase. Elle ou il semble participer à l’histoire et elle ou il tente de comprendre comment on devient un monstre. Elle ou il rassemble les morceaux de l’enquête. Voici un exemple de la beauté de l’écriture de Jean Barbe. L’avocat se rend chez les parents du Monstre et il constate la puissance de l’amour maternel.
«Les larmes d’une mère. Quelle force prodigieuse en tire-t-elle! Je la regardais, intimidé. Je voyais ma mère, je voyais toutes les mères du monde. Je voyais Florence, la mère de mes enfants. L’immensité de l’amour maternel, l’immensité de l’impuissance de l’amour. Les mères, de leurs bras, veulent endiguer l’océan, de leurs larmes irriguer les déserts. L’amour est éternellement condamné à chercher un geste, une caresse, un mot, un baiser pour s’incarner. Fantôme d’amour qui soupire après la vie, c’était elle, c’était cette vieille-là, dans cette ruine-là, la maison de famille où le Monstre avait appris à marcher.» (p. 54-55)
J’ai tellement apprécié cette lecture que je ne peux que vous la recommander. En ce moment, notre monde semble habité par des monstres qui font la guerre au nom du pouvoir, d’une idéologie, d’un territoire, d’une religion ou de l’argent. Ce dernier est malade. Malade d’une folie meurtrière. La guerre et ses gentils et ses bourreaux et ses ruines. La guerre et son absurdité.
«Sur les montagnes de gravats, les enfants jouaient toujours en poussant de petit cris. Ils étaient une dizaine, aux vêtements déchirés, inconscients des luttes de leurs parents, de leurs sanglots refoulés. Sur les ruines de leur ville, ils jouaient. Ils n’étaient que des enfants, crottés, hirsutes, rêveurs. Des petits monstres. »
Jean Barbe est un très, mais un très grand écrivain. Je vais certainement lire Comment devenir un ange. Son livre est universel, car il relève de la condition humaine. Son écriture est celle de l’authenticité. À découvrir, absolument. Une de mes lectures préférées de 2024.
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