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Citations de Jean-Claude Marguerite (17)


Anton entreprit de cultiver l'amitié de Jack en le raccompagnant après l'école jusqu'au restaurant. Pour ne pas se séparer aussitôt, ils traînaient ensemble dans la ruelle qui contournait l'établissement, paressaient près de la margelle du puits où l'on venait encore puiser de l'eau. De temps à autre, contre une pièce ou deux, certains voisins, surtout de vieilles gens, confiaient à Jack la tâche ingrate de tourner la manivelle pour remonter de quoi remplir deux grands seaux - vingt-sept tours, avait-il compté, pour chaque voyage du petit récipient cabossé qui brinquebalait au bout de sa longue corde rêche, et il fallait le faire quatre fois pour mériter salaire. Le gain était ridicule, mais il représentait son unique argent de poche.
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… à la coque si fine et aux voilures si puissantes qu'aucun voilier ne rivalisait de vitesse avec lui pour les courses vers la Scandinavie. Le bâtiment était un chef-d'œuvre de beauté et de puissance, une cathédrale de mâture, un pur joyau ciselé pour la course. Sa proue arrogante laissait courir les pires ragots et les légendes les plus imbéciles sur son jeune capitaine. Certains y dénonçaient une alliance diabolique, omettant que les gargouilles de leurs moindres églises présentent des figures autrement plus démoniaques que cette gueule monstrueuse d'où saillaient trois langues écaillées. Mais, dans le soleil couchant de ce soir d'été, tandis qu'il quittait le port, sa proue irradiée embrasait jusqu'à l'impalpable horizon, entre ciel et mer. Que ne pouvais-je partir avec lui, chevaucher ce dragon des mers et voler au ras de l'écume flamboyante...
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A quoi ressemblait Balafrée ? S'il pouvait rester encore au lit, ne serait-ce que dix minutes, il finirait par discerner son visage - enfin. Des fragments de tableaux, le drapé d'une statue d'une sainte dont le modèle devait avoir à peine seize ans, mais surtout une publicité à l'encre de Chine qui représentait une gaine renforcée sur une silhouette vaguement esquissée au fusain, se précipitaient derrière cette fugitive apparition - comme des ombres chinoises d'un branchage lubrique; trop volatiles pour satisfaire.
Sa mère cria, pour la seconde fois.
Se lever. Se laver. "Fuir" ?
A qui confesser ce désarroi d'entre les jambes ?
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… Mais, pas plus que je n'avais eu la satisfaction d'assister à son ultime soupir, je n'avais pu me régaler de ces frayeurs ni de leur emprise progressive sur son esprit. Je le regrettais avec une telle intensité que mes pensées se brouillèrent. Elles formaient un vortex douloureux qui m'épuisait sans m'accorder de délivrance; puis, elles s'organisèrent en une suite de conclusions énigmatiques qui me libérèrent cependant de mon tourment - le soldat qui braille à la taverne n'est que le pion d'un autre ; un nouveau-né ne peut embrasser le fantôme du roi ; la nuit de noces de l'empereur est gâchée par le vol incessant d'un seul moustique...
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" La tradition orale, c'est d'abord l'histoire d'une histoire. Chaque narrateur se l'approprie et la réinvente. N'y voyez aucune malice ! Un peu comme ces souvenirs qui glissent à notre avantage : à force de ressasser une scène vécue, nous la lissons, nous la polissons, nous la façonnons jusqu'à aboutir à une version plus… acceptable. C'est naturel, c'est même nécessaire. Une vieille histoire est une histoire trop vieille pour être tout à fait comprise ; or, moins pertinente, elle risque l'oubli… La mémoire la cultive au jour le jour : elle semble toujours la même, mais ce n'est jamais la même. "
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Quelques barques, légères et à la coque peu profonde, mouillaient au tout dernier ponton. Ses abords s'encombraient d'amas de paniers cassés et de casiers usés, de cordes oubliées ; ses planches, dont la peinture s'effritait depuis de nombreuses années, grinçaient des menaces absconses à chaque pas. Une cabane d'un gris-vert immémorial ne cessait de s'y effondrer, sans que nul ne s'enquit d'en retrouver la clé. Le vent qui s'engouffrait dans le port en suivant les vagues, chaque soir, longeait la promenade pour aboutir dans le cul-de-sac, où il tournoyait quelque peu avant de se décider à escalader les contreforts méridionaux sur lesquels s'épaulait l'ancienne jetée. Une exhalaison de vase, d'algue et de vieux poisson s'y concentrait, si bien que même au plus chaud de l'été y régnait une sensation de froid nocturne aussi malodorant que tenace.
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" Mes notes sont ainsi allées s'intercaler dans un classeur destiné aux brouillons et aux cours, où se retrouvaient déjà quelques poèmes oubliés et diverses considérations philosophiques ; classeur qui rejoindrait bientôt toute une caisse de devoirs scolaires, d'opuscules chargés de remarques et une collection complète de carnets de notes ; caisse dont le couvercle serait cloué avant d'aller se terrer dans une cave pour le seul divertissement de quelques bataillons d'araignées incrédules qui y dresseraient des embuscades redoutables… "
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" Le ciel était couvert de nuages que déchiraient parfois des éclairs heureusement lointains, poursuivait l'ivrogne. Nos moteurs à pleine puissance n'y pouvaient rien. J'ai proposé d'accompagner le mouvement et de gagner de la vitesse dans l'espoir de lui échapper à sa première faiblesse, mais on ne m'a pas écouté. Ils luttaient contre les forces de la nature en lui opposant des chevaux-vapeur. Pauvres fous ! Mais comment leur donner tord ? Cent fois, la mécanique les avait sauvés, ils se croyaient intouchables… Je me suis campé à la proue pour défier l'horizon : autant voir la mort en face ! Dans la nuit noire, une tâche claire m'est lentement apparue. De l'écume hérissait les crêtes fatales d'un ensemble de récifs. Nous nous dirigions en sa direction. J'ai alerté mes compagnons d'infortune et les ai suppliés de m'écouter. Ils se sont entêtés et j'ai regagné mon poste de vigie. La mort montre-t-elle les dents ? Pour mordre ou pour sourire ? "
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La voilà : la réalité est brutale et entière. Etre pirate, c'est perdre sa famille, ses proches, ses amis, ses voisins. Tout homme armé cherchera à vous ôter la vie pour gagner l'or qu'il vous suppose avoir ; tout homme non armé cherchera à vous trahir pour une récompense dérisoire ou sous prétexte de vengeance d'un lointain cousin. A qui se fier ? A ses amis ? Mais quels amis ? Des compagnons d'orgie, de carnage…
Non, Morne-mer, ne secoue pas ainsi la tête. Pirate, tu n'as pas plus d'amis que de famille. Flibustier ou favorite d'une nuit, tous et toutes veilleront à t'extirper tes secrets avant de te planter un poignard à travers le cœur. A moins que tu ne sois déjà tombé si bas que tu espionneras l'ancien camarade à qui tu auras juré fidélité éternelle.
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J'avançai avec lenteur vers son corps étendu en levant mon célèbre poignard et l'abattis droit dans le dos de Géant. Je hurlai le nom de Balafrée et, quand elle me regarda, je dressai la tête de son amant à hauteur de ses yeux et égorgeai sans faillir le long cou tendre et fin. Puis, je tournai tout autour d'elle, sans me presser, convaincu d'être invincible comme si seule ma lame participait à la réalité de ce monde, distribuant mes coups sans épargner aucun des Estropiés. Je vivais dans une folie étrange. Tout mon corps se mouvait dans le strict accomplissement de mon dessein, précis, efficace, si lent. Je ne percevais du carnage que des visions fantasmagoriques, aussi fuyantes que dans l'ivresse mais parfaitement cohérentes et plausibles. Aucune émotion, aucune pensée ne m'atteignait. J'accédais à cet état de grâce où le temps semble infini, les contingences résolues. Je procédais à ma mission, tout simplement. Si je ne déniais pas le danger, je ne le redoutais pas non plus. Une part de moi restait vigilante, non pour conjurer la douleur, mais pour mener ma tâche à son terme. Combien je chérissais cette condition singulière, cette fluidité du corps, cette humilité de l'esprit, et la distance qui me distinguait de ce monde de chair, de sang et de pleurs.
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Sa technique me fascina. Il ne disait rien, se courbait exagérément et serrait les dents, comme si sa dignité l'incitait à masquer une souffrance terrible. Il affichait une mine misérable, grotesque parfois à force d'outrance, mais cette démesure échappait totalement aux bons chrétiens. Ceux-ci ne voyaient qu'une main aux doigts torturés qui ne se tendait pas pour demander l'obole mais, agitée par un opportun tremblement pour me désigner. Son geste s'accompagnait d'un sifflement tragique propre aux tuberculeux, qu'il lâchait en dressant une commissure de lèvres en une douloureuse esquisse de sourire. Je me calquais sur son attitude, cachant mal mes yeux si aisément larmoyants, reniflant et toussotant sourdement. Mon teint naturellement pâle contribuait à parachever le tableau : nous étions pitoyables.
Après avoir conduit le regard de son humble épave au spectacle de la mienne, sa main revenait battre sur sa poitrine, à hauteur de cœur. Un râle l'obligeait à se pencher davantage et son poignet se tordait jusqu'à présenter sa paume grande ouverte vers le ciel. Elle accueillait une pièce ou deux, qui disparaissaient immédiatement dans un tour de passe-passe auquel je ne comprenais rien, pour se tendre à nouveau vers le fidèle suivant, comme s'il n'avait rien engrangé jusque-là.
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Ma mère redoutait chaque semaine sa visite, mais elle ne disait rien. Comment pouvait-elle supporter ce rustre qui empestait la bière et le tabac froid quand il martelait notre porte, le jeudi à l'heure du souper, braillant un "Loyer !" sans appel ? Mes yeux d'enfant trop sensible se noyaient aussitôt de lourdes larmes. Je détestais les jeudis puants. Mon estomac se nouait dès la fin de l'après-midi. Ma mère se contentait de lui ouvrir la porte et me chassait en essayant de me rassurer d'un "Ce n'est rien…" Mes pieds nus battaient la rue. J'étais incapable de rester en place, je n'arrivais pas à m'éloigner assez pour ne rien entendre. Ecumant de sueur, il repartait peu après, rougeaud, reboutonnant son pourpoint, et tentait systématiquement de m'ébouriffer la tignasse comme si j'étais son gentil chien. J'esquivais sa caresse et filais la rejoindre. "Ce n'est rien…", poursuivait-elle en déplissant mille et mille fois sa robe du plat de la main. M'avait-elle seulement vu rentrer ? Pouvais-je me borner à réclamer à manger comme si de rien n'était ? Je ne sais combien de fois j'ai hurlé qu'elle mentait, jusqu'à ce qu'elle me regardât. "Ce n'est rien…", disait-elle alors.
Elle m'avait regardé ce jeudi-là, longuement, la main sur la poignée, au moment où elle me poussait ordinairement vers la rue pour le laisser entrer. Je ne parvins pas davantage que d'habitude à endiguer le flot de mes larmes. "Loyer !" Elle me regardait toujours, sans sourire, sans une parole. Mes pleurs redoublèrent. L'homme cognait de plus belle. Sa main s'éloigna de la porte et prit nos deux écuelles, qu'elle disposa sur la table. Elle se dirigea vers le feu et plongea dans la marmite une grande cuiller qu'elle tourna jusqu'à emplir la pièce des effluves de la soupe. "Loyer !" N'a t'elle jamais prononcé ce soir-là son "Ce n'est rien…" ?
L'homme s'était mis à hurler. Il frappait si fort que je ne pouvais pas avaler une seule cuillerée. Et puis ce fut le silence. Nous avons fini notre diner sans un mot. Je guettais les bruits qui annonceraient le retour du logeur, j'observais l'étrange indifférence de ma mère, je cachais mon triomphe - j'étais son héros.
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-C'est beau, dit l'enfant d'un ton habité de gravité.
-La beauté est dans nos yeux, Manu. Si tu remarques les belles choses qui sont autour de toi, tu deviendras une belle personne, une personne qui a un beau regard.... 
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Encore une fois, marin stupide, tu perds et meurs d'être cupide. La chance n'est pas pour les pirates, j'en suis le pire, et je m'en flatte ! Grands capitaines, marchands, bedeaux : tous veulent y croire, et tombent de haut. Un peu d'or et la raison choit ; c'est la même chose chaque fois.
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(« Ô, cette imprécision du trait, ô ces formes confuses et floues aux teintes délavées, qui évoquent sans décrire… C’est cela qu’il faut dessiner… ») (p. 29).

Il ne voulait pas les reconduire trop vite parce qu’il désirait être aimé, lui aussi, de si poignante façon, d’inconditionnelle manière (p. 106).

- La beauté est dans nos yeux, Manu. Si tu remarques les belles choses qui sont autour de toi, tu deviendras une belle personne, une personne qui a un beau regard… (p. 112).

Il bruinait. La bruine, c’est l’indécision de la pluie. Des particules d’eau, ni brouillard ni ondée, qui stationnent à hauteur d’homme. Une illusion qui plie la volonté, une humiliation qui réclame de porter des œillères. De l’eau qui tombe ou qui grimpe, voire qui fle de travers. Suée des arbres et des pierres, essorage des feilles et des nuages, sang de la terre qui se mêle et qui appelle le sang des hommes, pauvres hères qui se diluent à leur tour dans cette saturation inépuisable…
Il détestait la bruine. Toute sa jeunesse, il l’avait subie. Il n’en voulait plus. Mais il était chez lui. De son plein gré. Bien que Dehors, à la porte de la Maison Hantée, gardien d’un enfant qu’il ne savait pas nourrir.
Il renonça à sonder la mélasse céleste : à cette heure, si les étoiles existaient encore, elles étaient elles-mêmes engluées. Les ténèbres poisseuses plaquaient ce qui restait de vie au sol, dont la glaise grise et brune se délectait. Elle dévorait jusqu’à la dernière place pour l’espoir, puisque l’homme ne survit que par résignation à ne pas crever tout de suite, cou rentré, front plissé, lèvres gercées. La bruine, la bruine (p. 123).

Lui, ce très vieil homme qui depuis l’enfance aspirait à la solitude, depuis vingt-quatre heures il s’évertuait à entrer en contact avec les autres — quelqu’un, n’importe qui —, et y échouait (p. 125).

Au premier coup d’œil, il n’avait toujours remarqué que les arbres dont les silhouettes évoquaient la détresse humaine, les chagrins, les tortures, les misères (p. 140).

Les quêtes initiatrices ne sont que des rituels littéraires, la bête réalité du monde procède autrement : chocs et changements (p. 145).

Ce n’était pas un dessin, mais une photographie, qui est une sorte de dessin avec trop de détail. En plissant les yeux, j’y distinguai l’humain que j’avais accompagné jusqu’à la mer, couché en rond, tout pelotonné autour d’un vieux chien, dans une barque défoncée au bord d’une rivière, près d’une belle pelouse où il devait faire bon courir (p. 159).
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Et si le vrai trésor ne s'enterrait pas? Si le vrai trésor n'était pas ce qui se cache, mais ce qui se partage? Pas ce qui s'achète, mais ce qui se donne? Rien qui s'enferme, mais qui libère…
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L'or n'est rien, eux sont tout.
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