(un vétéran)
Larrey voyez-vous monsieur le ministre Bernard, c'est notre vieil ami des champs de batailles. Il a couru avec nous toute l'Europe. Il avait été où sifflaient les balles et les boulets, celui-là, et dans le temps où ça chauffait le plus. C'est pour cela peut-être que vous ne le connaissez pas, monsieur Bernard ?
A la nation a été dévolu son véritable héritage moral et artistique. Sans lui, nous n'aurions ni le Louvre actuel, ni la primeur de la recherche égyptologique, ni la colonne Vendôme, et le musée de Versailles n'abriterait pas l'iconographie picturale du Premier Empire dont il avait su inspirer les commandes. De nos jours, l'exposition de ses dessins au Louvre en 1999-2000, le comité Vivant-Denon, le musée Denon de Chalon sur Saône perpétuent de façon heureuse le souvenir de l'homme et de l'artiste qui, par le choix des oeuvres et leur présentation muséographique, a légué son état d'esprit à ses brillants successeurs et offert son âme au Louvre devenu le plus beau musée du monde. (p. 299)
"Vieux fou, s'exclame Madame Monge à l'adresse de son mari, n'es-tu pas las de courir le monde ?" et à Bonaparte : "Vous voulez donc le tuer !" Figure célèbre des mathématiques, l'illustre Gaspard Monge a en effet cinquante-deux ans. Son inséparable ami, le grand chimiste Berthollet en a cinquante. Denon vient d'avoir cinquante et un ans. Ils auraient pu en cette année 1798, faire communément figure de vieillards si leur allant, leur enthousiasme, leur fougue n'avaient éclipsé aux yeux de tous le fardeau apparent des années.
Par quel sortilège psychologique, par quelle fascination, par quel envoûtement, ces hommes mûrs, jouissant d'une notoriété bien établie et de situation supérieure, sont-ils tombés sous le charme d'un tout jeune général de vingt-neuf ans ? (Chapitre V, p. 115)
A quoi ressemble maintenant l'ancien palais des rois de France après plus de dix ans de laisser-aller? Au mieux à un campement de romanichels, au pire à une cour des Miracles!
Depuis Henri IV, plus de trois cents artistes, célèbres ou médiocres, y habitent en permanence, font leur cuisine, étendent leur linge, l'été recherchent la fraîcheur maintenue par les murs épais, l'hiver la chaleur ronronnante des grands poêles ; des vagabonds malpropres sont affalé sur les bancs. L'absence de ramassage des ordures crée des émanations pestilentielles et il n'est pas rare d'apercevoir quelques rats trottiner le long des couloirs. Escaliers, couloirs dérobés ou renfoncements servent de lattrines. Si on se hisse au niveau élevé des grandes fenêtres, que voit-on à l'extérieur? Un amas de constructions hétéroclites de cahutes, cabanons et bicoque dans la Cour carrée ou sur le parvis, hantées par des bandes de truands, tire-laine et vide-goussets, mendiants, prostituées qui tournoient et assaillent le badaud autour des tripots, friperies, cabarets, gargotes et rôtisseries en plein air. (Chapitre VI, p. 180-181)
Chez Madame Verdier, l'heure de passer à table est arrivée : Bonaparte, qui n'aime pas attendre, s'avance, s'apprête à s'asseoir lorsqu'il s’aperçoit de l’absence de Larrey et déclare alors qu'il ne dinera pas sans lui.
"Citoyen général, lui dit-elle, Larrey est encore auprès de ses blessés, vous savez bien que les médecins n'ont jamais d'heure !"
[...] Je me regarde quelquefois depuis quelques jours au miroir, je me trouve laid et vieux. Ajoute à cela que j'ai perdu mes dents et je n'en ai plus en devant. Je n'oserai plus te sourire, il n'y aura plus que mes lèvres qui te baiseront, les expressions de mon coeur jeune encore deviendront ridicules en passant par ma vieille bouche et mes regards qu'enflammeront le désir ne s'échapperont plus qu'à travers les rides qui les cernent. Quel triste tableau, qui est pourtant mon portrait fidèle ! (p. 105)
La devise républicaine "Vaincre ou mourir" n'est pas qu'un slogan pour la troupe, c'est aussi un ordre - ou un sursis - pour les généraux malheureux.
Denon a hérité d'un vieux théâtre décrépit à rénover de fond en comble, d'artistes hors pair, il lui revient à présent le rôle prestigieux de composer l'œuvre de sa vie, une pièce grandiose faite de multiples scènes où le faste jouera avec la splendeur, l'éclat avec le magnifique, cet ensemble inégalé devant constituer dans un esprit "une collection telle qu'on n'en verra probablement jamais de semblable dans aucun temps ni aucun pays.
Un fabuleux musée est né ou se concentre ce qu'il y a de plus beau, de plus rare, de plus noble depuis l'origine des temps. La splendeur, l'éclat, la gloire du louvre reflète celle de l'empire à son apogée.
Mystérieux insaisissable, déconcertant, secret, cet homme est pétri d’humanisme encyclopédique du XVIIIème siècle a fait de sa vie une aventure prodigieuse guidée par le génie et le talent.