"Emmanuel le Magnifique" (Grasset, 2019)
Un soleil nouveau s?est levé sur la France. Est-ce Austerlitz ? Ou bien le sacre ? Au printemps de l?an de grâce 2017, Emmanuel le Magnifique est entré dans l?histoire, costume de banquier et sceptre à la main : jeune prince à la voix grêle, aux régiments start-up, annonçant un monde rénové. Fini, les rois fainéants ! Adieu, les rois chevelus ! Aux oubliettes, François le Petit, gaffeur, trempé, roi de la parlotte à l?embonpoint d?employé modèle. Aux barbaresques, Nicolas le Flambard, et son cortège d?embrouilles à talonnettes !
Après le dernier règne socialiste, voici la nouvelle saison du Royaume made in France : inattendue, pleine d?espoirs, impérieuse. Make France great again ! Dans le temps nouveau, Arcole est sur le câble, et les ennemis se nomment Plenel et Bourdin, non Mélenchon et Olivier Faure...Entre House of cards et Game of thrones, voici la chronique facétieuse, attendue, hilarante, d?un règne si neuf qu?il ressemble au précédent. Petit guépard deviendra peluche ?
Patrick Rambaud est l?auteur d?une ?uvre romanesque importante. On lui doit entre autres, une célèbre série sur Napoléon. Derniers livres publiés : Quand Dieu apprenait le dessin (2018) et Chronique d?une fin de règne (2017).
+ Lire la suite
Voit-on une mouette grelotter sous la pluie ? Jamais. L'eau glisse sur son plumage blanc. Il en était ainsi des colères populaires sur le veston du Prince.
"Si on ne rit pas, qu’est-ce qu’on fait? On se flingue...
C’est la consternation qui domine, en ce moment, quand on regarde la classe politique."
Interview Bibliobs 21 février 2015
- Faut-il ne croire en rien ?
- Bien sûr, si tu as l’esprit totalement libre. Rejette la mémoire qui t’encombre, le passé, les souvenir, considère le monde avec un œil neuf et dépouillé de ces oripeaux. La mémoire masque la réalité. Ce qui est connu est connu, et nous empêche de poser un regard frais sur la réalité.
C’est la tradition qui nourrit les guerres, la tradition qui force les hommes à des travaux épuisants, la tradition qui creuse le fossé entre riches et pauvres, la tradition encore qui invente des cultes pour séparer les hommes. N’est-ce pas de la barbarie ?
Un homme voulait être saint. Il s’enferma dans une grotte pour s’éloigner des embarras du monde. Il méditait toute la journée, c'est-à-dire qu’il s’efforçait d’établir en lui un certain silence mais ne parvenait, en réalité, qu’à un état de complète hébétude. Il ne mangeait que des orties bouillies, pliait son corps à des pénitences et n’écoutait pas chanter son estomac. Quand il se crut conforme à son désir de sainteté, il consentit à mettre le nez dehors. Surgi de la jungle, un tigre le dévora en une bouchée. « Il aurait mieux fait de vivre », disait Tchouang.
Justinien veut imiter Rome.
Il veut reprendre l’héritage des Césars, malgré Byzance, malgré les Francs grossiers et malgré les papes du Latran qui se détrônent l’un l’autre sans dignité et s’égorgent au nom de saint Pierre pour régner au sommet d’une Église omniprésente.
Dans toute l’Europe l’Église tient les écoles. L’Église tient les cités dont elle a élevé les remparts contre des vagues d’envahisseurs. Partout elle s’est substituée à une Rome décadente, à ses fonctionnaires pléthoriques et ineptes, à ses soldats sans cervelle finalement recrutés chez les pires des barbares.
Pendant plusieurs siècles des tribus ont saccagé un continent cultivé et clément. Pires que les Huns, les Lombards ont rançonné et tué pour s’emparer du sol et y prendre racine. Autour des lagunes : l’anarchie, la violence, le meurtre, l’incendie, le massacre. L’invraisemblable duché de Venise que protège Byzance a été épargné : un barbare miséreux ne vient pas au sud pour cultiver la boue.
François IV ne s'inquiétait pas outre mesure de la percée du Front populiste ; il se concentrait sur ses chiffres et ses courbes qui ne s'infléchissaient point, et il pensait qu'à force de les regarder elles finiraient par bouger dans le bon sens, selon une recette d’auto-persuasion qui ressemblait aux incantations magiques des marabouts.
Nous devons l'emporter demain, Marbot, et à n'importe quel prix !
-Si vous le dites, ce sera ainsi.
-Oh, ne me flatte pas !
-Je vous ai vu à l'attaque cent fois, et l'armée vous aime.
-Je les offre aux canons et aux baionnettes et ils m'aiment ! Parfois, je ne comprend plus.
-Votre Excellence, c'est bien la première fois que je vous entends douter.
-Ah bon ? En Espagne, je devais douter en silence.
Une lépreuse accoucha d'un enfant au beau milieu de la nuit. Anxieuse, elle se saisit d'une chandelle pour l'éclairer : "Pourvu qu'il me ressemble !"
En face, c’est Torcello. Dans cette étendue d’eau verte et mouvante, de l’émeraude au tendre, on note les taches mauves des bruyères, le chaume des toits, la masse blanche des églises en pierre d’Istrie. C’est une poussière d’îlots que relient des ponts souvent sommaires, un vaste marécage où les hommes et les bêtes paraissent flotter à l’aise.