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Citations de Jean-Pierre Enard (40)


Il se mit à nettoyer son pistolet Mauser. Un souvenir de guerre. Il en était assez fier. Churchill avait le même. Pierre fit jouer la détente. Aucun doute, c'était une belle arme. Elle l'avait tiré de pas mal de sales draps. Mais elle ne lui servait pas à grand chose contre les maris volages, les J3 fugueuses et les déportés au chômage.
Mon père soupira. Avant de s'établir flic privé, il avait lu une collection de bouquins à couverture jaune et noire où les détectives, comme lui, démasquent les combines des politicards, s'envoient de fortes rasades de dry-martinis et succombent aux charmes de blondes platinées mais opulentes. La France était décidément en retard sur l'Amérique.
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Belles moralités.
Dashiell Hammet, interrogé par une commission maccarthyste. On lui demande de livrer des noms. Il n'en connaît aucun. Il pourrait le dire. Il préfère se taire et se laisser mettre en prison. Par respect de soi mais aussi pour défendre son idée de la démocratie.
Georges Perros, après quelques années de galères parisiennes, TNP et Gallimard, s'installe à Douarnenez. Pour se mettre au vert de l'océan, peut-être. Surtout pour rester fidèle à soi-même. Face à la mer, dans la solitude et la pauvreté, on ne se berce plus de vains mots. Une vie sans illusions et une écriture nue.
Moralité de ces moralités: une morale n'a de sens que traduite en actes. L'écrivain est le plus mal placé pour se contenter de paroles.

(Idées blanches, p.62)
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Le plaisir du nouvel album et ce rien de tristesse: dans une heure, on aura tout lu. On a beau s'attarder sur les images, lire mot à mot, l'histoire va trop vite. On tourne les pages, jusqu'à la dernière.

(Quand j'étais Tintin, p.112)
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Les vrais lecteurs ont le temps. Ils savent dénicher sur les rayons du libraire les ouvrages négligés de Follain, Fombeure, Robin ou Hyvernaud. C'est pour ceux-là que j'écris.
Les autres, dont, hélas, la plupart des critiques professionnels, se fient aux mots d'ordre que crée la rumeur éditoriale. Paresse, manque de curiosité, désenchantement: il y a un peu de tout cela et beaucoup de vanité. A quoi leur servirait d'écrire sur un livre dont personne ne parle? L'importance du sujet donne de l'importance au journaliste. L'enflure des mots gonfle la grenouille critique...

(Idées blanches, p.67)
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Les romans sont comme les enfants. Personne ne sait au juste d'où ils viennent. Les scientifiques prétendent que c'est la petite graine linguistique de papa qui s'est glissée dans le ventre de maman écriture. Ils parlent de matrice et ils sont sûrs qu'ils ont tout dit. Les psychanalystes pensent qu'ils poussent dans les choux du passé et qu'en fouillant le champ de sa mémoire, on en déterre ici ou là. C'est faire du neuf avec du vieux. Les idéalistes croiraient plutôt aux cigognes de la pure imagination. Discours antique, qui fait sourire.
Au fond, je préfère ne pas savoir. Si je pouvais connaître les mécanismes, les réactions chimiques, les influx nerveux et physiologiques, les enchaînements linguistiques, j'arrêterais. Si je savais comment j'écris mes livres, je n'en écrirais plus.

Roman n°1, septembre 1982
Extrait de La cigogne et le roman

(Idées blanches, p.71-72)
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Qui veut le succès ne dois pas brouiller sa piste. Il faut rentrer dans le rang. Observer les règles. Choisir son genre: saga familiale, souvenirs d'enfance, récit historique, confession cul. Ce dernier, recommandé pour les auteurs femmes et pour les goujats qui laissent deviner les noms et les pratiques de leurs partenaires.
Deux manières d'écrire sont acceptées. La distinguée, vocabulaire puisé dans le Robert en neuf volumes, imparfait du subjonctif et citations incluses dans le texte sans guillemets. La torrentielle, argot piqué chez Simonin, énumérations pittoresques, points de suspension et invocation de Saint Céline. L'essentiel, dans un cas comme dans l'autre, c'est d'éviter le réel. La crudité, la nudité, l'absence d'alibis font fuir.
Cela ne se limite pas à l'écriture de l'érotisme.

L'éthique d'un écrivain, c'est son style. La structure du récit, la syntaxe, le vocabulaire, la ponctuation.
Ne pas céder au tape-à-l’œil, à la mode, à la facilité, à la convention. Ne pas écrire dans le moule. Renoncer au brillant toc. Être, quel qu'en soit le prix à payer, fidèle à l'idée qu'on se fait de la littérature et de soi-même.
Tout le reste en découle: imagine-t-on Beckett un dimanche après-midi à la télévision?

Éviter les compromissions: c'est l’œuvre même qui doit être irréductible. Le reste n'a aucune importance. Ainsi Cocteau.

(Idées blanches, p.69-70)
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Le langage, c'est comme le bois ou la pierre : un matériau. Écrire, c'est le travailler. On admet qu'un sculpteur apprenne sa technique. Et qu'un acteur fasse de la gymnastique ou place sa voix avant de monter sur scène. C'est pareil pour l'écrivain. Il doit s'exercer. Et, avant tout, pour désacraliser l'écriture.
D'où l'utilité des travaux alimentaires. Ils ont l'avantage de permettre de gagner, plus ou moins bien, sa vie et de donner l'occasion de travailler à brut le matériau. Écrire les mémoires d'un chanteur, rédiger un récit véridique de deux cents feuillets sur des amours de stars, composer les légendes d'un conte pour enfants, traduire un ouvrage économique sur la crise du pétrole, découper un scénario de bandes dessinées, c'est utiliser l'écriture. La plier pour la rendre souple et se soumettre à des lois pour s'adresser à des publics différents. Connaître, attraper, rejeter des mots, des tournures, des liaisons, des trucs de métier, en somme, qui entreront, ou non, dans le façonnement de son style personnel. Bref, apprendre à écrire.

(Nous ne dormons jamais, p.44-45)
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D'où ce besoin de publier notes, journaux intimes, souvenirs d'enfance. On sait bien, au fond, que c'est là, face à sa propre vérité, à sa plus ou moins grande audace dans le dévoilement, à sa virtuosité dans la confession, qu'un écrivain joue, à la vie, à la mort, son œuvre.
Avec beaucoup de travail, on peut produire une masse aussi impressionnante que "Les travailleurs de la mer". Mais "Choses vues", non. Il faut l’essentiel, ce qui ne s’acquiert pas: l’œil, l’oreille, le toucher. Le style. Ou, comme dit Beckett, la manière.

(14 juillet 1956 - Vence, p.97)
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La tendresse, l'ironie, et, surtout, quelqu'un qui s'exprime avec sa propre voix, sans autre souci que de parler juste: c'était cela la littérature. Si l'on n'atteignait pas à ce degré d'émotion sans artifice, ce n'était pas la peine d'écrire.

(La place du cœur, p.77)
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L'éditeur ne fait que répéter une conception issue des écoles, lycées ou facultés. Une vision mystique de l'écriture, où l'écrivain naît avec une plume au bout du bras et, d'une façon tout à fait désintéressée, se met à pratiquer l'art noble de conter des histoires avec des mots. Les profs et les éditeurs se bouchent les oreilles quand ils entendent Brecht, Balzac ou Beaumarchais clamer qu'ils écrivent aussi pour gagner de l'argent. [...]
Dans cette image pieuse, il vaut mieux que l'écrivain souffre, évidemment. [...] Le prof, le critique, l'éditeur, au chaud devant leur demi de bière, glosent à l'infini sur la misère de la littérature et la littérature de la misère. Quelques écrivains se trémoussent, à l'infini eux aussi, pour recueillir leurs applaudissements. [...]
Sacrée, l'écriture ne peut venir que par illuminations successives. Voyez comme c'est commode quand on écrit "Guerre et Paix" ou "Panique".

(Nous ne dormons jamais, p.42-43)
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[...] il n'existe plus de règles romanesques. Les romanciers du XIXe siècle, Balzac comme Dostoïevski, respectaient les lois du feuilleton. Leur art s'exprimait à l'intérieur de conventions qui permettaient de le reconnaître immédiatement.
Nous devons, nous, inventer nos propres règles. Cela comporte un danger: en arriver à un point où le jeu est connu du seul auteur et n'intéresse plus que lui. Guyotat, si vous voulez. Mais Narcisse finit toujours par se noyer dans un verre d'eau.
Le romancier doit donc, plus que jamais, jouer franc jeu. Tout lui est permis à condition de ne pas tricher. Ou, s'il le fait, que cela ne se voie pas. Cela suppose, mais oui, qu'il devienne un virtuose.
Et s'il a du cœur, il a partie gagnée.

(Nous ne dormons jamais, p.45-46)
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Le roman dérange parce qu'il est d'abord fruit de l'imagination. On a peur de cette "folle du logis". On ne sait jamais si on parviendra à la maîtriser.

(Idées blanches, p.63)
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La France, c’est connu, aime la littérature. Quel que soit son régime, elle est folle de ses écrivains. A une condition, une seule, minime, certes, mais indispensable: qu’ils soient morts. Pour les vivants, qu’ils crèvent. La postérité fera le tri.

(Un bon écrivain est un écrivain mort, p.13 ; et en couverture)
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— À quoi pensais-tu quand je suis rentrée ? m'a demandé mon amie.
— Je ne sais plus.
— Ne mens pas.
Justement, j'ai menti, pour lui faire plaisir :
— À toi.
Elle s'est écartée et j'ai laissé échapper un soupir de dépit. Elle a protesté :
— Tu dis n'importe quoi. Tu bandes lorsque tu penses à moi.
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On leur rafraîchissait la mémoire. L'étoile jaune. On leur lisait des décrets, on leur montrait des photos, on découpait des articles de journaux. Comment? [...] Eh oui, mes enfants, vous ne pouvez pas comprendre, vous n'étiez pas nés, ou si peu. C'était une drôle de guerre, une drôle d'occupation. Il valait mieux ne pas regarder les gens en face, on ne savait jamais à qui on avait affaire. Et puis, cette étoile jaune, n'exagérons pas, elle ne tenait pas tant de place. Les plus conscients détournaient les yeux, pour ne pas gêner. Ou ils trouvaient cela normal. C'était la loi. Et la loi, on la respecte. Surtout lorsqu'elle est celle du plus fort. Que des Français aient contresigné cette loi, que des Français l'aient appliquée, qu'ils en aient même fait un peu plus qu'on ne leur demandait, ne les gêne pas. C'était des chefs, des élus, des patriotes. Bref, des Français respectables et nos pères avaient la bosse du respect.

(No satisfaction, p.126-127)
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Nous nous étions promis de mourir jeunes ou de disparaître en Abyssinie. Nous devions enflammer le monde et nos enfants nous émerveilleraient. Ceux d'entre nous qui sont tout de même partis avaient de bonnes raisons de le faire: du commerce, de l'ethnologie, du tourisme en circuit organisé, avec deux nuits à la dure, sous la tente. Rien qui ressemble à nos ambitions.
Nous atteignons la quarantaine. [...]
[...] Nous comptons les cheveux gris, les rides sur le front, les enfants que nous n'avons pas osé avoir. Nous installons nos colères rassies dans des appartements trop chauffés, à la Bastille ou à Montrouge, à cinq minutes à pied de la ligne B du RER. Des lampes 1900, un canapé 50, quelques bibelots asiatiques nous rassurent. Nous n'avons pas d'histoire mais nous cultivons nos souvenirs.

(Banlieue chic, p.115-116)
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Tout cela pour dire que l'aventure, contrairement à ce qu'affirment les crétins, ne se trouve pas au coin de la rue mais qu'il faut, au contraire, aller la chercher. Faute de quoi, on passe à côté de tout et la vie s'en va sans qu'on en ait eu seulement le goût.

(Quand j'étais Tintin, p.110)
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Georges Perros savait que la moindre des politesses est de prendre la vie avec un sourire. Alors qu’il venait d’être laryngectomisé, ses proches s’étonnaient de sa bonne humeur. Il écrivit sur l’ardoise qui lui servait désormais à parler : « Autant être gai, je me le disais déjà avant. »
Je me le répète à mon tour tous les jours. Et à voix haute, pour l’amour de Perros.

(Georges Perros, mon oncle, p.92-93)
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Le système de l'édition, prix, à-valoir, liste des meilleures ventes, place l'écrivain dans un système de concurrence. On doit être celui qui tient le plus longtemps sur les listes et qui occupe les plus grosses piles, chez les libraires. Comportement d'écolier attardé. Et on sait que l'école n'est pas conçue pour exalter les singularités mais pour les faire disparaître dans le moule social.

(Idées blanches, p.65)
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Il n'empêche que les directeurs littéraires auront propagé, avec l'autorité du professionnel, une idée tout à fait fausse : on n'apprend pas à écrire. Or, justement, c'est le contraire. Le roman, comme le cinéma, le théâtre, la peinture ou n'importe quel mode d'expression, s'apprend. Ce qui ne signifie pas qu'il s'enseigne.

(Nous ne dormons jamais, p.42)
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