Citations de Jenny Zhang (52)
Ma maman lui a couru après pour s’excuser pour son patron, qui était un connard et demi, et les deux femmes ont sympathisé en évoquant tous les connards et demi que la vie les avait amenées à fréquenter.
J’aurais voulu avoir des parents blancs qui se moquent de l’endroit où j’allais et de ce que je faisais, des parents qui m’encouragent à quitter la maison au lieu de me faire culpabiliser pour que je demeure leur enfant à jamais.
À présent mon père était beaucoup moins charmant avec ma mère, mais c’est pour ça que la boisson était à ce point cruciale – pour lui permettre d’effacer la liste en perpétuelle expansion des dettes qui s’étaient accumulées entre eux et, pour une fois, se sentir libres de s’amuser.
Tic avait un cousin au premier degré que tout le monde appelait Nigaud, et qui avait été si mal nourri quand il était bébé qu’il boitait et qu’il avait tendance à répéter la même phrase pendant une semaine d’affilée.
Le pire c’est quand j’avais cinq ans et qu’on habitait à Washington Heights dans une chambre qu’on partageait avec d’autres familles et où il y avait tellement de matelas qu’on ne voyait plus le sol, et ma peau me grattait comme s’il y avait des petites fourmis armées de brindilles enflammées qui faisaient la roue et des triples saltos partout sur mon corps.
Les Martiniquais et les Trinidadiens étaient le genre de personne à se comporter comme si leur patrie allait toujours rester un petit os indispensable de leur corps, mais porté disparu, un os qui leur causerait des douleurs fantômes toute leur vie durant.
A l’époque où mes parent et moi vivions à Bushwick dans un immeuble pris en sandwich entre un squat de dealers et un autre squat de dealers qui ne différaient que parce que dans l’un, les dealers étaient aussi consommateurs et du coup plus imprévisibles, tandis que dans l’autre ils ne consommaient pas et étaient donc plus malins – à cette époque, on habitait dans un deux-pièces si insalubre qu’en se réveillant, on trouvait des cafards écrasés entre nos draps, parfois même trois ou quatre collés sur nos coudes, et un jour, j’en avais quatorze pressés contre mes mollets, et il n’y avait rien de beau à les secouer de là, même si nous nous efforcions de le faire avec grâce, en balançant nos bras en l’air comme des ballerines » p 7 (Incipit)
Elle s’aspergeait d’un lourd parfum qui lui donnait l’odeur des aisselles de quelqu’un qui vient de courir un demi-marathon et qui croit stupidement qu’en se frottant les dessous de bras avec un bouquet de fleurs, il la fera disparaître, mais comme disait souvent ma mère, « Tu ne peux pas laver un étron avec du savon et t’attendre à ce qu’il sente bon ». » p 15 a 17
… je voulais juste que ma mère se retourne pour regarder mon père et qu’elle se marre en voyant à quel point ses jambes étaient maigres, plantées sous sa bedaine dont on disait en plaisantant qu’elle abritait le melon le plus rond de la terre… C’était ça, la magie que je cherchais. » p 50 a 8
Minhee a fait genre « Waouh, c’est quoi ton problème ? » et moi j’ai dit « Waouh, c’est quoi ton problème ? », et c’était le premier signe de la défaite, quand tout ce que tu peux faire c’est répéter ce que quelqu’un vient de dire. » p 61 a – 1
Je suis désolée, lui disais-je tout le temps dans ma tête, mais jamais dans la vraie vie, tout comme elle, qui ne me disait jamais non plus dans la vraie vie qu’elle était désolée, bien que je ne sache pas si elle s’excusait aussi dans sa tête et si elle se rendait compte qu’elle pouvait me blesser et me décevoir tout autant que je la décevais, et qu’elle me faisait me sentir si seule parfois, je n’arrivais même plus à me reconnaître dans un miroir ou sur une photo. » p 68 a 1
… si elle avait gardé sa tristesse pour elle, celle-ci aurait disparu d’elle-même, ou du moins se serait atténuée, comme toutes les fois où je gardais ma colère pour moi en attendant qu’elle remarque que quelque chose allait de travers et que j’avais besoin qu’on m’embrasse, que j’avais besoin qu’elle me dise qu’elle m’aimait et que ça lui brisait le cœur de savoir qu’elle m’avait blessée. Mais en général, ma mère ne remarquait rien… » p 119 a – 12
C’était la première fois que quelqu’un faisait un toast en mo honneur et j’ai remarqué que tout le monde levait son verre, sauf ma mère. Assurément le prix à payer serait l’enfer. Ça allait ressortir plus tard, pendant une dispute qui n’aurait rien à voir avec tout ça, mais le souvenir de la façon dont elle s’était fait voler un moment important à cause de moi était certainement quelque chose qui lui ferait péter les plombs. » p 154 a – 15
Mon père nous a regardés comme si on était des patates qui voulaient se faire passer pour des oranges. La façon dont ma mère nous couvait, les promesses qu’elle nous arrachait explicitement et implicitement afin d’éviter ses dépressions nerveuses éminentes ou à venir devaient l’avoir agacé. » p 171 a – 13
J’ai croisé un instant le regard de mon père, puis j’ai baissé les yeux. Il devait se demander comment et pourquoi il avait contribué à me créer – quelle part de lui-même il m’avait léguée, et si j’allais la nourrir avec la même patience et la même attention que la part de ma mère en moi, ma mère qui jamais, au grand jamais, ne laissait jamais rien tranquille ? p 172 a 8
… parce que ma grand-mère ne serait jamais le genre de mère qui prend ses enfants dans ses bras pour leur dire à quel point ils sont magnifiques, intelligents et talentueux. Elle les réprimanderait toujours, elle les ferait se sentir inférieurs, elle leur montrerait que ce monde n’allait pas être tendre avec eux. Elle ne laisserait personne faire souffrir ses enfants ou les effrayer mieux qu’elle, et pour elle, c’était une forme de protection. » p 173 a 15
Je m’inquiétais d’un monde où mon existence n’avait presque aucune importance. D’un monde où je n’existais pas du tout. Peut-être était-ce le monde vers lequel je me dirigeais. Peut-être était-ce le monde que je méritais. » p 207 a 19
Pourtant, chaque jour qui s’ajoutait à la pile de jours où je n’étais pas en mesure de connaître mon père était un fardeau immense qui pesait sur moi comme une meule dans un conte de fées. » p 216 a 2
Plus mes parents s’inquiétaient pour ma survie, plus j’avais l’impression que je n’étais en vie qu’en vertu d’un miracle. » p 231 a – 5
C’était le secret que j’avais en moi, en ce temps-là : quand vous ne dites jamais rien, les gens pensent que vous ne savez rien, et quand les gens pensent que vous ne savez rien, ils parlent de tout devant vous, et finalement, tout entre en vous. A l’intérieur, j’étais vaste. Mais vue de l’extérieur, j’étais une idiote notoire. Rien de ce qui sortait de moi n’avait la moindre ressemblance avec ce que je pensais avoir en moi. » p 234 a – 12