Jérôme Kerviel

La patronne du département Risque [...] chantonna langoureusement : "On prend des risques au-dessus des lois..."

Dans un autre sketch, le patron des vendeurs jouait au bonneteau. "Mesdames et messieurs, il s'agit pour vous comme pour les clients de trouver la marge... Où elle est passée, la marge ? Ni là... Ni là... Ah ! Elle est dans ma poche !" Les rires tournèrent à l'hystérie.

"Qu'est-ce qui vous intéresse le plus dans la finance [Christophe Mianné, responsable de la salle des marchés] ?", la personne qui l'incarnait n'hésita pas à répondre, avec le plus grand calme : "Le pognon." Hurlements de joie dans la salle.

Le 7 juillet 2005, je décidai de me jeter à l'eau et réalisai un première grosse opération qui permit à la banque d'empocher en quelques heures un gain de 500 000 euros ; une opération à haut risque, malgré les calculs dont je l'avais entourée.

... je me jurai de ne plus jamais participer à un week-end d'entreprise ; une promesse qui sera tenue.

"On a voulu faire quelque chose de fou, on a loué cinq avions pour faire vivre à sept cents personnes un week-end de rêve." Ce devait être aussi ça, l'esprit "corporate".

Les traders n'ont pas le droit de dépasser un certain plafond d'engagement ; mais dans les faits ils sont poussés à le faire. Ont-ils réalisé des gains en spéculant ? On leur rappelle qu'il ne faut pas prendre ce genre d'initiatives, tout en les félicitant de les avoir prises. Leur stratégie se révèle dangereuse ? On leur demande de l'expliquer à leurs responsables afin que ceux-ci puissent la modéliser. Celui qui perd se retrouve-t-il dans une situation difficile ? Plus ses pertes sont importantes, et mieux hiérarchie et contrôleurs s'emploient à les dissimuler ou feignent de ne pas être au courant.

"Tu peux allers à un peu plus de 2 ou 3 millions [...]", m'annonça-t-il, sans confirmer cette autorisation par écrit.

Il était à mes côtés, le jour où j'ai effectué les cinq spiels qui générèrent un total de 1,5 million d'euros - le tout en une heure montre en main.

... mais une banque gagne toujours, même en cas d'erreur de son fait. La Bourse a annulé certaine des transactions passées pendant ce deux jours [...] organe de régulation impartial, elle ne peut se permettre de mécontenter un partenaire de l'importance de la Société Générale.

J'avais réalisé un gain total de 55 millions, c'est-à-dire plus de la moitié du résultat des huit traders de l'activité.

"Ton bonus sera de l'ordre de 300 000 euros" [...] j'ai appris les bonus qu'avaient demandés certains de mes collègues ou responsables en 2007. [...] Éric Cordelle, mon responsable direct, avait négocier 700 000 euros, et Martial Rouyère [N+2], un peu plus de 2 millions... cela laissait supposer les montants astronomiques auxquels prétendaient les autres membres de la hiérarchie, au-delà du n+2.

À la question sur les aspects de son métier [trader] qui lui plaisaient le plus, elle répondit : "1, le côté ludique ; 2, la rémunération ; 3, le risque = jeu amusant ; 4, le côté euphorisant quand je gagne."

Mon objectif pour 2007 ayant été fixé à 10 millions, je l'avais doublé en seulement un mois et demi. J'étais donc tranquille.

Dominent dans une salle des marchés trois conduites. L’omerta, qui interdit d’évoquer les points qui pourraient fâcher tandis que sont mis en place des procédés naguère considérés comme relevant de l’escroquerie institutionnelle au préjudice des épargnants. L’autisme qui permet à chacun de faire semblant de ne pas comprendre ce qui se passe. La cécité, parce que tous ceux qui devraient voir ne voient rien, alors que la vérité éclate quotidiennement sous leurs yeux. 

Tout étant traçable dans l'outil informatique, le bon comme le moins bon, il était facile de vérifier la source des profits, de se pencher sur le book d'un trader et de le décortiquer.

Avant de me rendre à Rome, j'avais l'impression d'être le diable décri par certains, et j'ai vu dans les yeux du pape François que je ne l'était pas.

Je suis l'homme le plus endetté que l'humanité ait jamais porté car pèse sur mes seules épaules une condamnation judiciaire inique de 4 915 610 154 euros.

C'est là que tout le pognon se fait, sous un bon stress, avec beaucoup d'adrénaline, un truc hyper rythmé et actif, enthousiasmant, challengeant, à proximité de têtes très bien faites.

Je ne suis qu'un homme qui a commis des erreurs au sein d'une banque qui les a longtemps admises, parce qu'elle en tirait profit.