Matthias, qui mène une petite vie tranquille avec son job de jardinier et la même copine depuis plus de dix ans, voit pourtant tout s'effondrer autour de lui quand il perd presque en même temps le job et la copine en question. Alors qu'il est en voyage avec des amis, il se retrouve sans souvenir aucun sur une route des Îles Féroé, avec un tas d'argent en poche. Il ne sait pas comment il est arrivé là mais ça lui convient très bien parce qu'il n'en peut plus, il veut qu'on l'oublie encore plus, lui qui s'est toujours évertué à ne pas attirer l'attention. Il est récupéré par Havstein, directeur d'un havre de paix bien particulier...
Mais... il ne se passe rien dans ce roman !!! Enfin... presque on va dire. Et c'est bien dommage, car la description absolument inutile de la vie du héros sur place et les dialogues pour la majorité totalement superflus se fondent dans une écriture remarquable, proche parfois d'une oralité littéraire dans laquelle je me retrouve, doublée d'un travail de traduction incroyable à la langue hyper fraîche et vraie (on ne souligne jamais assez le travail des traducteurs, surtout quand il est impeccable).
Et ce mélange d'inutilité et de qualité narrative a de quoi déboussoler un peu, alors que ce n'est semble-t-il pas l'effet recherché par l'auteur.
On attend, beaucoup, et on apprend, peu. La fin tarde largement à venir et l'on ne comprend pas vraiment pourquoi Matthias se perd à ce point-là, est épuisé à ce point-là, se contente du vide à ce point-là, s'éloigne de tout à ce point-là. Sa recherche de la deuxième place (comme Buzz Aldrin) qui plus est ne se révèle jamais vraiment fructueuse, lui qui se rend intéressant dès qu'il ingurgite trop d'alcool, ou prend le leadership d'une troupe cabossée. C'est un paradoxe qui a du mal à passer tout au long de la lecture, il y a comme une chose qui ne colle pas.
Quelques menus mystères ponctuent le récit ici ou là mais sans non plus rendre le bouquin intéressant. Le seul passage marquant (tardif pour le coup) sera peut-être le passage en toute fin d'ouvrage où le personnage de Carl raconte son expérience traumatique en Bosnie pendant et après la guerre. Donc pas grand chose à voir avec le héros en somme.
C'est une lecture longue, qui apporte peu au final. Car si les personnages semblent se chercher et pour certains plus ou moins se (re)trouver dans cette Usine où Matthias réside, le lecteur, lui, se perd, s'est perdu au cours du texte. Et cette attente d'une éventuelle action ou d'un éventuel rebondissement n'ont rien à voir avec une expérience de lecture particulière puisque le narrateur prend le lecteur à témoin, non ne lui propose de vivre son expérience. On est loin d'un effet à la Désert des Tartares de Buzzati, qui, lui, mêlait pleinement le lecteur au sort de son personnage principal.
Y a pas vraiment de raison de lire ce livre (et c'est bien triste vu les talents d'écriture de l'auteur). Si vous vous sentez paumé et seul, vous vous sentirez encore plus paumé et seul après ça. Peut-être, seulement et avec du recul, ce livre nous apprend-il qu'il faut du temps pour guérir et que chacun a ses propres traumatismes ; voire que singularité ne rime pas forcément avec folie... Mais trop de phrases et de dialogues menant nulle part ruinent le peu d'intérêt dégagé.
En ce qui me concerne, je me retrouve aujourd'hui avec ce livre entre les mains parce que c'est moi, il y a dix ans, qui ai trouvé ces images pour la couv' et la quatrième de couv', moi la petite stagiaire (j'aurais voulu faire rimer avec "pas chère" mais non, gratuite la stagiaire, comme d'hab à l'époque et encore trop souvent aujourd'hui). Et pour le coup, j'en étais fière, elle est class cette couverture. Mais je n'avais pas lu, pas le temps. Je sais aujourd'hui dix ans plus tard que cette couverture n'a rien à voir avec le texte. Et pourtant, les éditrices étaient super enthousiastes quand elles ont vu mes propositions, elles qui avaient lu le livre. Allez comprendre... Tout ça pour dire que le plus intéressant finalement dans cet ouvrage, c'est sa gueule. Dommage on a dit...
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