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Citations de José Luís Peixoto (80)


J'avais le corps si léger, je ne reconnaissais pas mes jambes en marchant. Je les voyais faire un pas après l'autre, mais elles me semblaient extérieures à moi. Mes jambes étaient quelque chose qui se passait. Je regardais ce mécanisme de loin. J'étais capable d'entendre mes pieds sur le sol en terre, mais je flottais, comparable à un nuage, comme si mon corps n'avait pas de forme, comme si j'étais sorti en débordant des mes propres contours. Makarov m'a souri et j'ai compris qu'il ressentait la même chose. Le massage nous avait régénérés. Nous étions deux êtres rénovés.
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Lentement, dans un geste délicat, on approche le nez de la région du visage de l'autre personne - en le touchant ou pas - et l'on inspire.
Comme un baiser, les mères et les pères respirent leurs enfants, tout le monde respire les enfants, les amoureux se respirent l'un l'autre, normalement en privé. C'est un geste de tendresse en Thaïlande.
Aussi bien sur les avenues de Bangkok que dans les rues des petits villages ruraux, personne n'affiche de marques d'affections en public. À l'exception des Farangs, évidemment.
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Le tourisme, c'est comme regarder une télénovela dans une langue qu'on ne comprend pas. On voit des personnages, leurs traits physiques, on entend le ton sur lequel ils parlent et l'on tente d'interpréter tout le reste. On attrape un épisode au hasard, on ne sait pas ce qu'il va se passer avant ni ce qu'il se passera après. Les certitudes concernant ce à quoi l'on est en train d'assister varient en fonction de la confiance que chacun accorde à ses propres spéculations.
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Les mots sont des miroirs imparfaits. Écrire, malgré toutes les insuffisances, c'est ce que je sais faire pour découvrir qui je suis.
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Le moteur du bateau était vorace. Nous glissions sur la surface du Mékong, comme si nous étions une flèche imaginaire, uniquement composé de ciel et de fleuve - ciel immense, fleuve marron. Il y avait les berges, il y avait l'horizon, mais je tournais le visage avec difficulté.
L'air me faisait sourire. Ou peut-être que j'ai souri à cause de l'éclat des eaux bourbeuses du fleuve. Enveloppé par ce moteur, par l'après-midi, par ciel et Mékong, je souriais tout seul, peut-être sans raison.
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On a l'habitude d'appeler silence les sons tels que ceux-là - le chant transparent d'un oiseau ; l'existence universelle des insectes, inséparable de tout ; une brise très ténue qui passe à la surface des étendues de riz.
Le vert se mêlait au jaune dans le lointain. Le son de mes pas dans le riz, dans les broussailles, c'était également du silence. Mon poids s'affaissait lentement sur ce sol capitonné. J'ai saisi un brin entre les doigts. Ils étaient gros ces grains de riz, enveloppés d'une gousse verte, ils étaient délicats au toucher.
Au fond, loin, on distinguait quelques maisons entre les arbres - on aurait dit qu'elles se cachaient. Ces rizières sentaient la terre, elles étaient traversées par une route fine sur laquelle un vélo pourrait à peine passer.
J'aurais pu rester là pour toujours, spectateur du passage de lourdes gouttes ; puis l'air plus chaud et sec ; ensuite, plus frais, presque frais. Comme les rizières, moi aussi je me mettrais a l'heure de cet état d'être. La vie ne serait pas seulement facile, elle ne l'est jamais, mais il m'a semblé un instant qu'elle serait plus simple.
Là - sans touk-touks, sans autels, sans pad thaï, sans plages de cette couleur ou mer de cette couleur, sans les multitudes qui veulent la même chose -, c'était aussi la Thaïlande.
Ce silence, c'était aussi la Thaïlande.
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Et Bangkok en fast-forward - bus rouges et verts, à la tôle épaisse, polie au marteau ; touk-touks effrontés comme des insectes ; personnes à l'arrêt sur le côté, qui attendent de pouvoir traverser, ou qui se lancent dans un parcours irréversible, calculé, au milieu de la circulation aléatoire ; hommes accroupis sur le trottoir, qui vendent une marchandise quelconque ; femmes en tablier et tongs, qui font frire de la nourriture, fumée dans les étals à roues de bicyclettes ; boutiques de fruits sur caisses, adossées contre des murs, sous de vieux parasols ; personnes chargées de sacs débordants ou avec des sachets enfilés au pli du doigt ; moines à sandales ; hommes assis sur des chaises en plastique, trônes en plastique, hommes en tricots de peau tenant des tapettes à mouches ; cabines téléphoniques avec le combiné décroché, pendant ou arraché ; visages parfaits sur des annonces publicitaires, peau excessivement lisse et excessivement blanche ; tas d'ordures dans des coins discrets, adossés au pied de poteaux électriques ; chantiers abandonnés sur les trottoirs, personnes pressées contournant des trous ; une affiche sur laquelle il était écrit : Hotel for sale ; plantes en survie dans des vases qui s'alimentent directement aux pots d'échappement ; agents de la circulation qui sifflent dans le vide ; personnes à moto, avec ou sans casque ; familles à moto, un tout petit bout de chou serré entre le père et la mère, qui me regarde, qui me déconcerte ; femmes assises en amazone sur des motos-taxis, leurs genoux ronds ; et stop - nous nous sommes arrêtés à un feu tricolore.
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A cette heure du début de la nuit, dans Bangla Road, à quelques mètres de la plage de Patong, à Phuket, il y avait de l'euphorie sur ces visages brûlés par le soleil, rouges, certains avec la marque des lunettes noires dessinée autour des yeux. Les enfants étaient effrayés par la jeune femme recouverte de scorpions, derrière un seau pour les pièces de monnaie. Les majeurs - femmes et hommes - étaient impressionnés par les bars grands ouverts sur la rue, les jeunes femmes presque nues perchées sur les comptoirs, les ladyboys presque nues, perchées sur les comptoirs, la suggestion de la sensualité, sexualité, pornographie, le bruit de la musique qui rendait tout plus théâtral, et les lumières tapageuses qui rendaient tout plus féérique.
Traversant ces courants, se frayant un chemin, des ladyboys ou de jeunes femmes trop maquillées, jupes courtes, chaussures à talon haut, émergeaient de la foule. Elles se baissaient jusqu'à s'accroupir devant un moine qui était assis en bordure du trottoir, entre des gobelets en plastique vides et des ordures, avec une petite statuette dorée de Bouddha devant lui.
À côté de la foule qui passait, ils étaient seuls. Ensevelis par le bruit, ils demeuraient dans un silence absolu. Elles. tête baissée, tenant des bâtons d'encens entre les doigts. ou juste les mains jointes, le moine remuant les lèvres en bénédictions - illuminés tour à tour de pourpre, rouge et bleu.
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On choisissait un plat sur l'un des grands plateaux en aluminium - plat rouge, plat orange, citronnelle, citron vert, lait de coco, piment, menthe, coriandre, basilic, cannelle, curcuma, cumin, ail, gingembre. Ou alors on commandait un plat à quelqu'un - une femme - qui le préparait sur-le-champ, dans un wok immense, profond, où elle cuisinait de tout, comme une machine où il suffirait de placer des ingrédients pour qu'elle les mélange, puis les serve juste après en un plat abouti.
Dans un coin, il y avait une femme aux manches retroussées, mèches de cheveux collées à la transpiration du front, qui avait un sourire affable quand des personnes s'approchaient pour lui demander de la soupe. Elle découvrait une casserole, se retrouvait enveloppée d'un nuage de vapeur, et servait des bols en plastique rose ou bleu. Puis, elle les saupoudrait de sauce piment, d'une cuillère de sauce noire, d'un brin de ciboulette haché, et les tendait avec ce même sourire bienveillant.
En montrant du doigt, j'ai demandé une de ces soupes aux nouilles. Usant également de gestes, elle m'a demandé si je voulais du piment, de la sauce, un brin de ciboulette. Je voulais tout. J'ai reçu le bol et le sourire.
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Le canal reflétait le ciel et les arbres. Dans les eaux du canal, il y avait une ville différente, où seul existait le ciel, avec toute sa paix, et les arbres, penchés sur ce regard. Chiang Mai accélérait sur les routes parallèles au canal, son urgence n'ignorait pas ce tableau, elle se mêlait à lui - Chiang Mai et les eaux du canal s'équilibraient mutuellement.
J'étais sur une place avec beaucoup de gens qui cuisinaient et qui parlaient fort, il était midi passé, c'était la deuxième fois que je venais en Thaïlande et la première fois que j'étais à Chiang Mai.
En dissonance avec les odeurs et les couleurs, les voix, il y avait une mélancolie qui atténuait mes gestes, mes pensées, la façon dont je voyais ce qui m'entourait. C'est peut-être pour cela que je déployais mon regard vers l'animation de la route et que je cherchais le canal - lent, pondéré. Je n'étais pas triste, j'étais solennel.
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Un des moines rasait la tête aux autres. Il leur passait du savon à barbe sur la tête et faisait glisser la lame lentement - il avait beaucoup de temps. Là, non loin de la montagne Doi Sudep, la ville paraissait lointaine. A l'ombre d'arbres très hauts - ciel d'arbres -, les coqs flânaient sur des statues brisées de Bouddha et des racines grises, parmi les branches de jeunes plantes qui perçaient dans les intervalles entre les pierres - morceaux de Bouddha en position du lotus, sans tronc, ou sans bras, ou sans tête, recouverts de mousse.
La grande majorité des garçons thaïlandais sont ordonnés moines pendant un ou deux mois ou, plus rarement. pendant un ou deux ans. Encore enfants - moines novices - ou plus âgés, avant de se marier, ils passent par la rigueur monastique. C'est leur manière de faire montre de gratitude pour l'éducation qu'ils ont reçue et de faire des mérites pour leurs parents - surtout pour leurs mères étant donné qu'il n'y a pas de nonnes bouddhistes en Thaïlande et qu'elles ne peuvent donc pas accumuler ces mérites par elles-mêmes.
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L'air lui-même était lourd - épais, humide, chaud comme une soupe, comme une tom yam piment, citronnelle -, le ciel lui même était lourd.
La fumée de l'encens montait au ciel, se fondait en lui, le teintait. Bangkok tout entière montait au ciel - avenues débordant de circulation, millions de voix. Le temple Wat Traimit se trouve dans le chinatown, au cœur d'un labyrinthe. L'unique échappatoire, me sembla-t-il, était le ciel.
J'ai ouvert la porte de la cage. L'oiseau s'est recroquevillé quelques instants, apeuré par le firmament, il en connaissait bien mieux la vastitude que moi. Et, soudain, il a jailli. Sans laisser à Makarov le temps de prendre la photo. A ma demande, Makarov tenait l'appareil prêt pour fixer l'instant où j'allais relâcher 1'oiseau - vaniteux libérateur d'oiseaux-, mais cette seconde était passée trop vite. Nous n'avons pu que lever la tête et le voir disparaître.
Dans le bouddhisme thaïlandais, l'idée de karma a donné lieu à l'idée d'accumuler des mérites. L'idée d'accumuler des mérites a donné lieu à la libération d'oiseaux. La libération d'oiseaux engendre de la positivité qui rejaillira ultérieurement, sur son auteur.
Cette logique est dénaturée quand on sait qu'auparavant ces oiseaux étaient libres. Ils n'ont été capturés et emprisonnés que dans le but d'être vendus - cent bahts -et relâchés.
Mais, à ce moment-là, je n'y ai pas pensé.
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Les Portugais ont été les premiers Occidentaux à arriver au Siam. En 1511, ils naviguaient par le fleuve Chao Phraya, celui-là même que nous avions en face de nous.
Au XVIIIe siècle, quand Ayutthaya a capitulé face aux violentes invasions birmanes, les descendants des Portugais, qui avaient lutté au côté du Siam, ont été récompensés avec les terrains de Santa Cruz. C'est toujours-là, sur les rives du fleuve, que vit la communauté des descendants de Portugais, qu'on appelle Kudichin.
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Je suis allé à Las Vegas et à Bangkok sur un coup de tête. Avant les conversations que j'ai eues dans un studio de tatouage au Portugal - pour Las Vegas - et dans un bar à Macao - pour Bangkok -, jamais je n'avais pensé à faire ces voyages.
Ma vie a changé en raison de ces décisions prises en quelques secondes - je veux partir, je peux partir, je pars.
Ce livre n'existerait pas si ces décisions n'avaient pas existé.
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Voyager, c'est aussi dire plusieurs fois au revoir - distinguer d'autres vies, les envisager, et être obligé de reconnaître qu'on ne pourra jamais les vivre.
Voyager, c'est perdre aussi.
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C'étaient des bottes militaires d'occasion, achetées à la Feira da Ladra - je posais la semelle de l'une des deux contre le mur où je m'adossais. Je regardais insouciant de chacun des deux côtés, au fond, comme si j'attendais quelqu'un. Je portais un jean déchiré avec soin, mon meilleur T-shirt - Iron Maiden -, j'étais un type comme les autres à la porte de Gingao, dans le Bairro Alto.
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Aucun de mes grands-parents n'a jamais pris l'avion.
Mon père n'a pris l'avion qu'une seule et unique fois. Avec l'autorisation du médecin, il est allé à Madère. Il était en phase terminale d'un cancer.
J'ai pris l'avion pour la première fois à dix-neuf ans, pour aller à Londres. J'avais gagné le billet lors d'un jeu télévisé intitulé Palavra Puxa Palavra.
Mon fils cadet a pris l'avion pour la première fois à six mois, pour aller à Las Vegas.
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Les couloirs du centre commercial Fonte Nova dilapidaient lumière et enthousiasme. Les vitrines des boutiques étaient prétextes à examen minutieux et débat. Mon beau-frère - les mains dans le dos -, ma soeur et moi marchions sans nous presser. Je me souviens de détails. Ce devait-être une soirée où l'on avait droit au programme complet - promenade, dîner, cinéma. Nous venions d'arriver, le meilleur nous attendait.
Lisbonne exposait la grande différence entre son âge et le mien - on était presque à la fin des années quatre-vingt, j'avais peut-être quatorze ans. Pendant des mois, je rêvais de la ville et, ensuite, je la recevais par petites doses quand j'allais dans la Baixa avec mes parents - cordonneries, quincailleries - ou avec ma soeur aînée, par des nuits comme celle-là.
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Voyager c'est aussi dire plusieurs fois au revoir , distinguer d'autres vies , les envisager et être obligé de reconnaitre qu' on ne pourra jamais les vivre.
Voyager c'est perdre aussi.
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Dans l'une des boîtes en plastique se trouvait la tête d'un bébé. Une autre contenait le pied droit d'un enfant, coupé en trois morceaux. il y avait encore deux boîtes avec des bouts de peau tatouée et, dans la dernière, un coeur humain.
Les cinq boîtes en plastique ont été empaquetées en trois colis, déposés à la poste du centre commercial MBK, près de Siam Square, et libellés à trois adresses à Las Vegas - Eugene Johnson, 3070 W Post Road ; R. Jene, 2697 Ruthe Duarte Avenue ; et Ryan Edward McPherson, 2913 Bernardo Lane.
Ces paquets ont été expédiés en tant que "jouets pour enfants", mais ne sont pas parvenus à quitter Bangkok.
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